— Par Jean-Marie Nol, économiste —
[Ce vote] selon nous doit être analysé sous un angle inhabituel, car il tire son origine de l’ordre de l’inconscient, de l’irrationnel, du ressenti exacerbé d’une forme de souffrance sociale, et surtout de l’éclatement de l’identité ?
Depuis quelques jours, sociologues, politiciens, politologues, nationalistes, journalistes, etc… tout le monde y va de sa petite analyse à savoir, vote sanction, vote d’adhésion, vote représailles, vote Fann tchou, vote zafé tchouy, etc.
En fait, tout ce petit beau monde a tout faux, car tant aux Antilles/Guyane, qu’en France hexagonale, cette problématique du choix de vote qui nous préoccupe tant relève in fine de la puissance de l’inconscient corrélée à une certaine forme de souffrance sociale. Les mécanismes inconscients contrôlent la plupart de nos comportements, nos choix, nos émotions, nos décisions, comme le montrent de nombreuses expériences de psychologie. La conscience ne serait que la partie émergée de l’iceberg des processus cognitifs.
Et seuls, des éminents psychiatres comme Jacques Lacan et surtout le martiniquais Franz Fanon, par ailleurs fin connaisseur des tourments de l’âme antillaise, aurait eu la bonne interprétation de cette dichotomie du vote des antillo/ guyanais. Nous serions en effet, selon Fanon, en présence d’un vote névrose qui trouve sa source dans un désordre psychologique et des troubles de la personnalité, imputables à l’assimilation et à l’assistanat. La névrose est une affection caractérisée par des troubles affectifs et émotionnels sans cause anatomique, et intimement liée à la vie psychique du sujet. On retrouve cette névrose également dans la société française hexagonale. Une névrose se manifeste essentiellement par une anxiété importante, des symptômes d’hystérie, des phobies, des pulsions de violence, des symptômes obsessionnels et compulsifs et une dépression de type collective. Le diagnostic est clinique, il passe essentiellement par l’écoute du patient. Ainsi, notre identité sociale en tant qu’ancien colonisé est un mélange de caractères innés mais aussi de tout ce que nous avons acquis par l’expérience. Cette acquisition de référents culturels s’opère sous trois formes : L’acculturation, l’inculturation et l’imprégnation. On distingue l’inculturation qui est une méthode missionnaire d’évangélisation attentive aux mœurs, mentalités et traditions des peuples colonisés, de l’acculturation, qui désigne l’assimilation totale ou partielle de traits culturels exogènes par un groupe humain dans le contexte de son interaction avec un groupe de culture différente.
D’après Fanon,les causes et l’origine de la névrose chez un sujet ou un peuple est souvent relative à un traumatisme plus ou moins récent (esclavage, colonialisme en Guadeloupe, et servage, guerre de religion et révolution française en France hexagonale) ayant impacté l’état psychologique de la personne ou d’une population. Le patient n’a pas totalement conscience de ces troubles et paradoxalement n’est pas du tout « déconnecté » de la réalité. Les troubles psychologiques associés à la névrose sont généralement d’ordre affectif et identitaire. A propos de l’éclatement de l’identité, Paul Valéry (1871-1945) écrit dans ses Cahiers : «Mon idée la plus intime est de ne pouvoir être celui que je suis. Je ne puis me reconnaître dans une figure finie.» Si l’être ne peut se reconnaître dans une figure c’est-à-dire une forme extérieure, alors la forme de l’imagerie populaire non plus ne pourrait la représenter. Car le sujet est « ce qui connaît tout le reste sans être soi même connu » selon Schopenhauer. Pourtant le propre de l’humain est d’être conscient, c’est-à-dire qu’il connaît sa propre réalité et peut certes la juger, mais pas nécessairement de manière objective du fait de l’imprégnation qui est quant à elle inconsciente puisqu’elle fonctionne sur le principe de l’imitation. C’est ce mécanisme mental qui est à l’origine des dysfonctionnements de l’identité et des troubles affectifs.
Les troubles affectifs relèvent toujours selon Fanon de l’atavisme qui peut se définir par l’hérédité des caractères psychologiques. Se dit d’une disposition, d’une manière d’être héritée des parents et des ancêtres : Qui se maintient de génération en génération par tradition, par habitude : Cette hérédité relève dans le cas présent des antillo/ guyanais de l’affect.
On appelle affect une émotion éprouvée, réprimée ou inhibée, consciemment ou inconsciemment liée au cheminement d’un désir. Un désir de liberté et d’égalité. Pour la Guadeloupe, qui est à elle seule une France en miniature, dans la mesure où c’est le département d’outre-mer où le phénomène d’assimilation a été largement le plus abouti. De tout l’outre-mer, ce sont bien les guadeloupéens qui ont hérités de tous les principaux défauts et qualités des français. Pour mémoire, rappelons que le héros » national » de la Guadeloupe est le colonel Louis Delgres certes génétiquement un métis, mais totalement blanc de peau (selon les recherches de l’historien émérite guadeloupéen René Belenus ), et officier républicain qui s’est battu jusqu’à la mort contre le rétablissement de l’esclavage en Guadeloupe par Bonaparte au cri célèbre de » vivre libre ou mourir « . Cette histoire du panthéon des guadeloupéens trouve encore un prolongement dans l’inconscient collectif des Antillo/guyanais. Et, l’on pourrait ajouter que « Dieu se rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes » (Bossuet.)…
Les troubles actuels résultent de l’insatisfaction durable des besoins affectifs.Ces troubles névrotiques pris sur un plan individuel nécessitent une prise en charge psychiatrique, via des thérapies cognitivo-comportementales, et médicamenteuse si besoin. Et sur le plan collectif, le traitement peut être effectué à l’aide d’une catharsis qui est une méthode thérapeutique qui vise à obtenir une situation de crise émotionnelle telle que cette manifestation critique provoque une solution du problème que la crise met en scène. La catharsis est une purgation des passions (selon Aristote).
Une libération affective selon moi.
Et pour conclure ma démonstration, citons ce proverbe créole à méditer : « A pa jou pyébwa tonbé an dlo i ka pouri » dont la traduction française est : (L’arbre ne pourrit pas le jour même où il est tombé à l’eau )
post-scriptum : Proclamation du 10 mai 1802 – Louis Delgrès
« La résistance à l’oppression est un droit naturel.
À l’univers entier, le dernier cri de l’innocence et du désespoir.
Et toi, postérité, accorde une larme à nos malheurs, et nous mourrons satisfaits ! «
Jean Marie Nol économiste