— Par Roland Sabra—
On peut faire confiance à Patrick Chamoiseau pour ne pas livrer la réalisation du Grand Saint-Pierre aux seuls architectes, sociologues, économistes et tutti quanti. Démonstration avec l’inauguration des trente-deux totems à l’entrée sud de la ville. Le projet d’embellissement des entrées de la ville de Saint-Pierre a été confié à l’agence « « Interscène » fondée par le paysagiste, urbaniste et ethno-botaniste Thierry Huau qui a déjà réalisé de nombreux aménagements paysagers à travers le monde ( Liban, Madagascar, Nouvelle Zélande, Vietnam…) et dans l’hexagone. Son parti-pris pour Saint-Pierre ancienne capitale, détruite et renaissante à été de retenir un objet typique des cultures amérindiennes et africaines, le Totem en mahogany, qu’il a imposé dans le cahier des charges de l’appel d’offres. La charge symbolique est forte. L’arbre vivant a été coupé, séché pour renaître à la vie sous forme de Totem, être mythique fondateur d’une lignée qui survivra à la mort des éléments qui la composent. La verticalité invite à l’élévation du regard que la sculpture n’interrompt pas mais au contraire prolonge vers un ailleurs. Sept artistes ayant respecté ces critères ont été sélectionnés : Hervé Beuze, Claude Cauquil, Anabell Guerrero, Maure, Yolanda Narandjo, François Piquet et Laurent Valère.
La forme imposée relie dans une unité visuelle les trente deux œuvres exposées tout en favorisant l’expression de regards croisés, ceux des artistes à partir d’une thématique commune.
L’inauguration avait lieu samedi 28 septembre en présence d’une centaine d’invités. Les premières œuvres que l’on rencontre en venant du Carbet sont celles de Claude Cauquil : quatre « Totems « donc en bois sculptés et peints de ces visages familiers aux martiniquais et qui sont le fil conducteur de presque toute l’oeuvre de l’artiste. Il s’agit de visages d’anonymes, choisis à partir d’images d’archives, celles de Saint-Pierre dans ce cas précis, à peine transfigurées, pour que l’anonymat de cette foule sans nom soit préservé. Comme le dit l’auteur « Un leader sans troupe, ce n’est pas un leader. Il n’existe pas. » On sait combien la Martinique se reconnaît à travers ce discours et les œuvres qu’il accomplit. La superbe fresque devant un magasin de bricolage près du Rond-Point, faite d’une multitude de visages, est intacte ayant échappé aux années tumultueuses faites de campagnes électorales, de graffitis, de tag-gages et d’affichages sauvages. Comme si le peuple martiniquais s’était approprié cette œuvre l’avait faite sienne, avec comme mot d’ordre implicite : « On n’y touche pas ! » Espérons que le simple fait de l’avoir relevé n’incite pas un ababa bien borné à transgresser. Sur les Totems de Saint-Pierre deux clins d’œil, un visage qui ressemble à celui de Louis-Auguste Cyparis et un autre de dormeur pour l’éternité en hommage à la catastrophe de 1902.
Parmi les autres Totems on remarquera une œuvre dérangeante, (mais qu’est-ce qu’une œuvre qui ne dérangerait pas ?) celle de François Piquet qui présente un corps sculpté tout en effort, les pieds dressés vers le ciel la tête prise, enfoncée dans la verticalité massive du tronc. On notera pour finir le travail facétieux de Laurent Valère, l’auteur du célèbre « Cap 110 » à l’anse Cafard, qui dresse cinq totems conçus en deux parties, une basse en bois brute, une haute chapeautée des cinq branches du bois-lélé. L’emmêlement des cinq couleurs, bleu, blanc, rouge, vert et noir, invite bien sûr au dialogue.
Juste un regret : certaines œuvres sont parasitées par une signalétique routière, un mobilier urbain, des poteaux et des câbles électriques en piteux état qu’il serait bon de déplacer, remplacer, ou tout simplement supprimer.