— Par Roland Sabra —
Lors de sa première présentation en octobre 2020 la pièce suscitait déjà des réserves, 18 mois plus tard lors du Festival de Petites Formes de Fort-de-France la reprise les confirme et les amplifie. La pièce de Sophocle est sans doute une des pièces les plus montées, adaptées dans le monde. Antigone, la femme qui dit Non bénéficie en Martinique, terre de colonisation d’une réception très sensible. Et pourtant…
Le thème a été repris sous sous diverses formes musicales un nombre incalculable de fois parmi lesquelles on peut noter des opéras baroques, dont l’Antigona de Traetta (1772), des musiques de scène (Mendelssohn, Saint-Saëns), une tragédie musicale de Honegger sur un livret de Cocteau, sans oublier La trilogie d’Antigone de Raitio (1922), la Sinfonia de Antigona de Carlos Chavez (1933), l’Antigonae de Karl Orff (1949) etc. Tout récemment lors de la saison 2020-2021 au Festival Arsmondo au Liban le compositeur Zad Moultaka sur un livret de Paul Audi décide de montrer une Antigone du point de vue d’Hémon, son fiancé, dans un opéra en neuf tableaux programmé ensuite à l’Opéra National du Rhin. On objectera que l’appariement des dissemblables na pas lieu d’être. Certes, mais peut-on faire comme si l’on ne savait pas ? C’est ce que recommandait une spectatrice qui prétendait pouvoir entrer dans une salle en faisant abstraction de ce qu’elle connaissait du spectacle afin de pouvoir se laisser surprendre par ce qu’elle allait voir et entendre disait-elle. Bienheureuse est-elle!
Cela a déjà été écrit le parti pris de mise en scène est essentiellement formel. il s’agit d’étendre au théâtre des recettes de ces émissions dites d’infodivertissement (infotainment) dans lesquelles le public, trié sur le volet, est sommé d’obéir au doigt et à l’œil par un affichage invisible à l’écran, d’approuver, de se lever pour l’inévitable ovation debout (standing ovation), puisque applaudir impose désormais de devoir se lever, puis de se rasseoir. En un mot il faut que le public participe à ce qu’il est venu voir. Il s’agit d’effacer la possibilité d’un regard distancié, extérieur. Comment critiquer, en effet, ce dont on a été partie prenante ? Le comédien devient, un animateur, un G.O. de Club Med de seconde zone. On abandonne « Le paradoxe sur le comédien » de Denis Diderot pour plonger dans la « Dynamique de groupe » de Kurt Lewin à la sauce Mucchielli. Les références pour les comédiens ne sont plus Marlon Brando, Charlie Chaplin, Laurence Olivier, Robert De Niro, elles s’appellent désormais Dechavannes, Ardisson, Fogiel, Ruquier, Hanouna… Par delà le décloisonnement des genres on touche là à leur déconstruction interne, en ce qu’elle a de plus dérisoire, dans l’affirmation d’une jouissance transgressive qui, par définition, ne concerne que ceux qui la mettent en œuvre sur le plateau, à l’écart du spectateur maintenu dans la position de tiers exclu. Une reconstitution en quelque sorte du quatrième mur que la mise en scène prétendait abattre une fois pour toute. Une âme charitable dirait qu’en cela il y a fidélité au personnage d’Antigone!
A la première mouture s’est ajoutée sous forme de chansons une biographie détaillée d’une longueur infinie d’Antigone qui fait contraste, par son faible niveau d’écriture, avec le corpus central de la pièce. Corpus qui, déjà, dans un désir de faire populaire, d’être au plus près des gens, allait jusqu’à se vautrer dans la vulgarité. Œdipe n’aime pas Jocaste, c’est secondaire, ce que retient le texte c’est qu’il la baise ( Oooh! Il a dit pipi-caca-boudin!) et tout est à l’avenant. C’est dire!
Le plus invraisemblable c’est que cette pièce « Antigone, ma sœur » finira par trouver un public ravi d’avoir chanté, dansé, obéi sur commande et peu intéressé somme toute par le destin d’Antigone. A chacun son bonheur!
Fort-de-France,
le 24/03/2022
R.S.
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Antigone ma sœur
Création
D’après Sophocle
Écriture collective
Conception & mise en scène : Nelson-Rafaell Madel
Collaboration à la dramaturgie : Paul Nguyen
Musique : Yiannis Plastiras
Scénographie & lumières : Lucie Joliot
Costumes & assistante à la mise en scène : Emmanuelle Ramu
Création sonore & collaboration à la musique : Pierre Tanguy
Collaboration artistique : Néry Catineau & Karine Pédurand
Collaboration à l’écriture : Damien Dutrait
Régie générale : Samuel Bourdeix
Avec : Karine Pédurand, Pierre Tanguy, Néry Catineau, Paul Nguyen & Nelson-Rafaell Madel