Corps, objet en jeu dans diverses modalités d’appréhension de l’existence
— Par Victor Lina —
Résumé
L’usage courant des choses et des produits de la pensée illustre un terme possible du processus de la constitution du sujet. Son aliénation plus ou moins précoce à l’ordre qui le précède s’actualise dans un choix obligé. L’émergence du symbole en est une issue contrastée.
Mot clés Objet, corps, symbole
« Il y a de la violence au principe de toute valorisation »
C.L-STRAUSS
L’arbitraire décision de séparer et par conséquent de dégager la partie du tout participe de l’accès au symbolique. Cela est notamment amené par Freud quand il met en évidence, dans la dernière partie de son œuvre, le clivage, la spaltung, la refente pour rendre compte d’un fait clinique qui est la perversion fétichiste. « Celle-ci révèle une double position du sujet, la coexistence d’une double affirmation contradictoire : l’absence du pénis chez la femme et son démenti par la création d’un fétiche qui rend la femme acceptable comme objet sexuel. » Instaurant la consistance de ce bout virtuellement détaché, cet artifice permet au sujet d’admettre que la femme, sinon de l’avoir, puisse l’être, être un objet sexuel, mais également être le phallus.
Cette soustraction opère donc par une double substitution : le déni et l’affirmation de la castration.
Par le truchement de cette opération nous abandonnons le sentier de l’angoisse provoquée, par l’expérience effroyable de la rencontre de l’Autre ou, dans une perspective plus réduite, par celle de la différence des sexes, pour emprunter celui du désir. Mais gardons nous de dire que c’est le bonheur au bout du chemin car si c’est bien ce que vise le désir, ce qu’il heurte a pour nom jouissance et ce qu’il atteint se dévoile sous le signe de l’insatisfaction.
La séparation concerne un sujet divisé, à partir de son rapport au signifiant et à propos de l’objet détachable, elle se traduit par l’aliénation du sujet au signifiant permettant ainsi de l’identifier grâce à ce mode d’inscription. Roland CHEMAMA souligne le fait qu’à la lumière de l’œuvre de LACAN « le concept de clivage est assimilé à la division subjective, division qui est celle du sujet du fait même qu’il parle ». La division est définie comme une aliénation. Le sujet est écartelé entre l’être et le sens, S’il choisit l’être, refusant d’en passer par les signifiants de l’Autre, il perd tout. S’il choisit le sens, celui-ci sera amputé de cette partie de non-sens qui constitue la place même du sujet. Nous sommes invités à penser que le sujet pervers fétichiste du fait qu’il nie fermement la division nous instruit sur ce mécanisme plus transversal qui structure toute subjectivité.
Ainsi passons nous du magma chaotique à une échappée du sens, entre autre, à partir du principe d’alternance présence – absence ou du clivage présence substitutive – absence inadmissible. L’alternative animale qui serait de se confiner au registre imaginaire ne nous donne pas accès au monde sans une sévère claudication. Le dilemme paraît se nouer autour de l’idée d’admettre la perte, le vide, le manque tout en conservant intacte l’illusion chérie d’infini, de totalité, de continuité, de toute conscience.
Les éléments de « la langue » de Ferdinand SAUSSURE se présentant sous forme d’entités oppositives, relatives et négatives dans leur fondement. « Dans la langue il n’y a que des différences. Bien plus : une différence suppose en général des termes positifs entre lesquels elle s’établit ; mais dans la langue il n’y a que des différences sans termes positifs ». Jacques COURSIL se référant au système phonologique de SAUSSURE ajoute « …les entités (négatives) uniquement construites à partir d’opération mentales strictement différentielles. Ces entités sont des valeurs pures… Dans la langue il n’y a de un que construit. »
Or admettre la première opposition, faire du souffle humain un élément pouvant être perçu comme une mesure, la première pierre de l’édifice au creux duquel se loge le trait de différence, relève tout simplement de l’arbitraire …de la rencontre avec l’Autre.
L’exemple du Fort-Da constitue le paradigme de cette invention renouvelée de génération en génération. On s’en souvient plutôt que de subir l’inconstance du tout au rien, l’enfant rejoue la situation se joue de la prégnance de la réalité du moment en introduisant un espace fantasmatique ou illusionné qui lui procure du plaisir.
« La présence de l’objet – jusque là réel – devient le symbole de la réponse de la mère symbolique…en son absence. Il y a substitution de la mère symbolique par l’objet comme symbole. » .
Le refrain « bobiné asou koté …ay bobiné yépa » du groupe Les Ambassadeurs d’Haïti nous plonge-t-il dans l’univers ludique du jeu du cerf-volant; ici la bobine appartient à l’articulation langagière où est mis en jeu le phallus. Mais s’est –on demandé pourquoi dans la chanson il est question de la lune et non du soleil ? Ce thème de la satisfaction impossible du désir pour la mère est ici abordé non dans la rumination plaintive mais dans l’euphorie d’un pari perdu d’avance pour celui qui voudrait relever le défi.
L’objet est extrait de la banalité de son existence en accédant au rang de symbole, il est un singulier qui autorise le divers, mais qui d’abord se laisse traduire sous forme d’appel attendant réponse, pour qui se prête à en être le destinataire ou le témoin.
Ce parti pris singulier s’impose de part l’antériorité de la langue, car le symbole nous est légué par les générations précédentes. Dès lors, nous nous sommes autorisés à occuper le champ social.
Prenons comme postulat, cette violence de l’alignement du jugement, de l’unification des croyances, de la complaisance, de l’adhésion aux idées reçues, du conformisme solidaire ; propre à la vénération et donc à la valorisation de motif de croyance partagée, souvent proposé dans une configuration cultuelle.
Nous observons que cette violence monarchique de l’arbitraire validation signifiante est admise comme garantie d’une mise en ordre, d’une structuration des objets appartenant au monde de notre vécu. Elle prend le nom de repères, de valeurs communes que nous arborons à l’instar des fétiches.
Paradoxalement c’est au terme d’un procès subversif parsemé de barricades que s’érigent les statues et autres objets en guise de symboles, présentés comme figures incontestables.
Ce en quoi, les idées de liberté, d’égalité etc.…développées au siècle des lumières et prônant de nouvelles règles plus justes, une vision de l’homme plus élevée s’apparentent à cette même logique de la violence de l’intimation d’un point de vue. Le développement des faits contemporains ne dément pas cette hypothèse.
Peut-on croire à l’avènement d’une génération spontanée de l’unanimité, prometteuse d’une attribution de valeur universelle à l’objet-culte mis en culture ?
Nous risquerons-nous à définir la culture antillaise ou plus particulièrement la culture martiniquaise ? Qu’est-ce qui la singularise ou qui l’introduit au concert des industries du monde ?
A partir de l’idée d’interculturalité notamment suivant le modèle de la créolité, ce paradigme insolent qui prétend sans ambage : « Le monde est en état de créolité », est un autre regard qui est porté sur la culture et sur l’identité culturelle. Son originalité est multiple, car cette conception paradoxale, fondée sur une déterritorialisation, a pour lieux de naissance ces espaces nouvellement révélés à un monde aux contours inexacts.
Ces espaces conquis, dépeuplés, colonisés, exploités avec l’apport de mains d’œuvre asservies, ne se prêtent apparemment qu’à occuper ces rôles secondaires consistant à produire les richesses dont les métropoles ont besoin. Ces terres du nouveau monde après avoir été le théâtre de la chute des civilisations amérindiennes, se fondant à ce gigantesque ensemble des colonies, occupent la fonction de faubourg du monde. Malgré diverses évolutions depuis un demi millénaire, il demeure peu admis, qu’en dehors des Etats – Unis, une contribution à une nouvelle conception du monde puissent s’énoncer à partir de ces lieux de troisième zone regroupés sous le vocable aujourd’hui peu usité de tiers-monde.
Comment créditer de raison « ces sociétés où il n’y a aucun absolu, aucune référence dans le passé qui soit dominant sur d’autres références, et où la recherche de l’identité soit plus celle d’identifications multiples, de contradictions dépassées que celle d’une source unique…/…Il y a dans ces sociétés des rapports au monde, aux êtres et aux symboles ainsi que des lieux de l’identité qui leurs sont spécifiques. » Itinéraire d’un anthropologue entretien avec Jean BENOIST par Gerry L‘ETANG in TYANABA revue de la société d’anthropologie.
Nous voudrions rectifier, en disant (ceci) que dans nos sociétés où aucun absolu n’émerge, aucune référence ne l’emporte, incontestablement, des modèles s’affrontent, dans un contexte opposant un principe de domination et un principe de résistance, voire de résilience. La logique des instituants se heurte à celle des institués qui ajustent leurs postures, leurs modes de représentation en les transformant instantanément pour faire face aux réalités du moment.
Prenons l’ouvrage « La défaite de la pensée » d’Alain FINKIELKRAUT pour qui deux conceptions s’affrontent au sujet de la culture:
- L’une qui valorise dans un rapport d’égalité toutes les productions, les émanations de nos sociétés sous le vocable culturel au nom du respect des différences et surtout du défaut de pertinence d’une classification de ces différences suivant un ordre hiérarchique. Elle fait l’apologie du particulier.
- L’autre qui s’illustre dans le cadre de la philosophie des lumières, elle reçoit pour légitime une hiérarchie de valeur, qui autorise la distinction entre le chef d’œuvre et le navet. Au nom du principe de référence à l’universel, elle justifie une graduation entre l’art savant et les gestes élémentaires.
La condescendance de l’auteur transparaît malgré une apparente neutralité, en atteste ce titre de chapitre La trahison généreuse dont le développement reflète son regret que le concept de culture ne soit pas réservé à la définition des sociétés occidentales ou plus subtilement d’un mode de pensée d’une noblesse qui se veut d’ici et d’ailleurs.
FINKIELKRAUT sans discernement associe l’idée d’obsession de la pureté, ou de la xénophobie à la pensée de FANON qui serait selon lui le chef de file de l’intolérance, d’une vision étroite et conservatrice de la culture qu’il nomme identité culturelle ou génie culturel. Il emploi le terme de racisme, d’un racisme fondé sur la différence, c’est selon lui le racisme dominant au sein des populations du tiers-monde qui se substituerai au racisme inégalitaire des anciens colons. Mais ne peut-on pas parler de racisme égalitaire fondé sur un universalisme humaniste? La norme occidentale se mondialise et s’impose comme référence incontournable. Un pari perdu d’avance auquel il est demandé à tous de croire. Nous sommes tous égaux mais pas de la même manière. La généralisation du fétiche s’illustre dans la modernité à travers la profusion d’objets proposés au sujet consommateur comme cache-misère de la castration. La culture n’en est-il pas un ?
Le clivage peut être perçu comme une ruse du sujet : wi pa ni pou tji ménage la possibilité de tenir la position contraire. Il signe le non-renoncement à la toute jouissance ou au tout possible selon la formule de Jean-pierre Le Brun. Il sous tend la formule débile « Quand il y en plus, il y en a encore. », ou encore « C’est la même chose mais ce n’est pas pareil »
Le non renoncement est-ce le refus de la loi normative ? La loi du pervers est une loi individuelle de poche qu’il tente de normaliser autour de lui.
Ces considérations sont-elles de nature à nous faire glisser irrémédiablement vers le culte du particulier ? La culture en Martinique occuperait cette place, d’un être encore immature, d’une culture régionale voire folklorique qui ne peut intéresser qu’un public restreint, qui n’aurait ni thème ni propos autre que les simples et élémentaires préoccupations des gens des îles.
Nous serions en ces lieux décérébrés sans métapsychologie, sans mythologie, hormis peut-être quelque embryon de pensée collective. La culture ainsi conçue l’est sur le modèle monothéiste, un principe, une représentation du monde qui se définit comme telle et qui doit accomplir sa validation dans sa diffusion sur le plus large territoire.
A l’opposé, l’alternative qui pourrait être offerte, est la dérive au gré des vents ou au gré des sensations les plus capricieuses. Au premier plan une jouissance innommable, parce que non arrimé au signifiant, tient place au lieu du refoulement originaire de ce savoir qui ne sera jamais su. Au lieu de ce savoir refoulé qui porte et emporte ainsi la marque de la jouissance première d’un objet perdu à jamais, s’illustre cette jouissance innommable qui envahit tout l’être de l’homme dans ce l’on vient à appeler autisme.
Solange ADELOLA FALADE souligne lors d’un exposé donné au campus de Schoelcher de l’Université Antilles-Guyane en 1996 : « Faire barrage à la jouissance, c’est la condition pour entrer dans la parole – qu’un signifiant soit apporté au petit d’homme d’une façon telle qu’il puisse entrer dans la parole».C’est à cette condition que l’enfant devient sujet.
C’est à l’occasion de cette opération de barrage, vecteur du refoulement que le sujet existerait au monde.
L’élection du symbole aux dépens de l’objet n’est pas la résultante de la promotion du particulier masquée par la recherche d’une l’altérité du même (pour ainsi dire clonique).Mais de l’évacuation de cet objet dans la dimension de l’altérité pure, c’est-à-dire sa dissolution réelle ou son évanouissement en préalable à son avènement symbolique. C’est à la faveur d’une injonction subtile transformant notamment le cri en demande : « tu as faim !» que l’objet (sein, corps) naît comme fait de dit et comme substituable pour un sujet irrémédiablement insatisfait.
Peut-être, il y a-t-il à envisager une forme d’alternance de nos représentations ?
Ainsi la dite basse culture, la culture de la rue et des quartiers s’invite sur la place et sur la scène et aborde, ni mieux ni moins bien, les questions du genre humain.
Dans cette configuration urbaine galopante et plus généralement dans cette mouvance actuelle se développe une expérience de vie quotidienne où les valeurs diverses se côtoient, se combinent et parfois se diluent dans un environnement de souffrance impersonnelle. C’est d’ici que tout est à reconstruire, c’est de cette grisâtre atmosphère des murs de banlieues ou des favelas que l’humanité transpire à travers les tags les plus discrets ou les plus somptueux, à travers l’entente aléatoire de populations vivant dans une promiscuité explosive. L’œuvre d’apparence naïve ne l’est que pour ceux qui s’y sont reconnus superficiellement. Ce que l’exploration polyphonique nous ouvre comme champ de sensations et d’émotions est d’égale richesse avec le parti-pris rythmique souvent connoté péjorativement d’une répétition débile.
Si l’expiation de la violence du parricide et l’interdit de l’inceste au fondement même de nos civilisations, légitiment la répression de nos pulsions, la sublimation, l’assujettissement au registre de la parole, l’actualisation de ces renoncements se traduit par un parcours à rebours dans une forme de reconstitution que chaque génération tente de produire.
Le pacte social est en ruine s’il est vrai que la tradition ne réussit plus à apporter les réponses aux questions fondamentales des populations sur la vie et la mort, sur la maladie et la santé, sur le vrai et le faux du bien ou du mal etc.
Aux Antilles, par exemple, le sujet est informé par un proche ou un séancier « An mal yo fèw » on t’a fait du mal et fini par être lui même convaincu « yo fè mwen mal » on m’a fait du mal. Dans la culture populaire créole : La maladie et toute affection invalidante sont ainsi traduites ce qui n’est pas sans rapport avec souffrir.
Cette conception est partagée dans un sous-entendu complice. Elle s’illustre avec l’idée d’un sort, d’une intention, d’une action à distance qui atteint le corps ou l’esprit et provoque la maladie. Le lien de causalité préétablit ainsi qu’un tiers malveillant est la source de ce qu’il peut y avoir de plus insupportable dans son existence. Cette conception magique n’est pas spécifique, car elle fut dominante avant l’ère industrielle.
Le clivage s’établit entre la coexistence entre le discours scientifique et le discours magique. C’est à la fois se référer à l’efficacité et à la logique de la science et ne pas renoncer à croire à la sorcellerie, au sort, aux jeux de hasard qui nous rendront millionnaires.
La relation entre le corps et la lettre s’illustrant par exemple à travers la nomination est décrite par Serge LECLAIRE « …aucune lettre ne saurait en vérité être abstraite du mouvement libidinal du corps qui la produit comme marque et comme masque, qu’elle ne saurait en tant que telle être démarquée de son inscription corporelle. »
Ce qui nous conduit à faire un détour par ce que l’on nomme le transitivisme :
Ce concept nous vient notamment de Charlotte BÜHLER psychologue allemande qui publie pendant l’entre deux-guerre le résultat de ses travaux sur l’enfance. « Sociologische n. psychologiste Studien ûber das erste Lebensjarb » En observant le comportement de l’enfant avec son compagnon de jeu, Charlotte BÜHLER témoigne d’une véritable captation de l’enfant par l’image du second.
L’enfant objet de cette captation peut ainsi participer
- dans une entière transe à la chute de son compagnon. (En créole nous observerons qu’il se prononce par un « i.salé » ou un « bien fèt »)
- ou lui imputer la responsabilité d’un dommage sans qu’il s’agisse de mensonge
- on peut tout aussi assister à une scène d’identification spectaculaire ou peut se mêler la suggestion mimétique à travers les grimaces et autres postures.(a minima on a aïe !)
A cœur d’une alternance de positions qui va de la jalousie à la sympathie. Ces phénomènes s’inscrivent dans une ambivalence primordiale dont il faut bien mesurer la portée.
Jacques LACAN emprunte ce terme et en expose le sens, ensuite, des auteurs comme Robert et Rosine LEFORT, Annie CORDIE l’utilise en s’attachant à en souligner un aspect ; le transitivisme est ainsi vu comme une forme particulière d’identification, cependant Jean BERGES et Gabriel BALBO nous introduisent à de nouveaux développements.
En quoi consiste le transitivisme ?
Du côté de l’enfant le transitivisme se présente souvent de la façon suivante : un petit heurte de sa jambe un obstacle, mais ne manifeste aucun signe de douleur, un autre enfant qui assiste à la scène émet un cri ou se plaint comme s’il avait reçu un coup et se frotte la jambe.
Trait de masochisme par lequel j’éprouve de la douleur même si je ne la ressens pas d’ailleurs. Le transitivisme est une forme de projection par laquelle je récupère le plaisir masochiste que je suppose chez l’autre à mon profit de sorte que c’est moi qui éprouve la douleur voire la jouissance.
La douleur n’est rien d’autre que la nomination secondaire d’un mécanisme primaire qui est la satisfaction masochique.
Du côté de la mère, le transitivisme c’est ce que la mère éprouve et exprime, mais c’est aussi ce processus qu’elle engage quand elle s’adresse à son enfant en lui « intimant » la nécessité de souffrir : « Aïe ! Tu t’es fait mal » La mère fait l’hypothèse d’un savoir chez lui. De même, la mère avait fait l’hypothèse d’un besoin chez le nourrisson et ainsi lui ouvre l’appétit, c’est à dire un désir d’être comblé par la nourriture.
Le transitivisme est surtout un coup de force, la mère force l’enfant à s’intégrer à l’ordre du symbolique. Elle le contraint à évaluer ce qu’il éprouve, à le différencier et finalement à savoir qu’il a un corps dont il peut se détacher en le nommant. La mère dans cette configuration met en évidence la dimension de la castration attachée à cet avoir. A savoir une limitation géographique de la jouissance. La danse du virtuose ou le sport de haut niveau au contraire serait peut-être une traduction socialisée du déni de la castration. Le sujet qui danse tente de faire croire qu’il n’a pas de corps, propose ainsi une autre modalité de la séparation, de la division en nous amenant à admettre qu’il peut s’en détacher par une subtile mécanique du mouvement.
Le corps aussi est convoqué à participer au concert des formes et des états unis, l’homme et encore moins la femme n’échappe pas à cette uniformité des modèles plastiques. La mode concerne non seulement les vêtements, les accessoires mais aussi et plus radicalement les corps qui les portent ou les utilisent. Le percing, le tatouage, la décoloration de la peau, le traitement de la chevelure et par conséquent les styles de coiffure sont autant de phénomènes qui touchent nos populations avec ici et là quelques singularités dans le déchiffrage d’une partition proposée, diffusée, comme un bloc à la face du monde.
La généralisation de la couche culotte constitue apparemment un progrès pratique dans le quotidien des parents qui doivent élever leur progéniture, mais il apparaît que certains avantages que procure cet écran blanc dont les fesses et le sexe de l’enfant sont habillés en permanence, lui soustrait la possibilité de voir s’extérioriser son jet, son rejet de cette part de lui même et de l’autre, de s’adonner à ses envies de toucher, de tenir, de manipuler ses excréments à loisir. Je dois cette remarque au peintre et plasticien Victor ANICET qui ne se lasse pas d’exhorter les parents à accorder à leurs enfants un temps, une parenthèse aussi large que possible dans leur quotidien. Qu’ils puissent évoluer nus dans leur espace de vie et de jeu. Cette observation est aussi à communiquer aux puéricultrices qui ont la charge de l’éveil et l’éducation de l’enfant pendant la plus grande partie de la journée. Hormis l’apprentissage de la propreté qui consiste à amener les enfants à évoluer sans la couche culotte. Il y a peut-être aussi nécessité pour l’enfant d’expérimenter le plus librement possible les modes d’entrée et de sortie des objets nourritures tantôt dans le corps tantôt hors du corps, d’en apprécier l’état au temps d’avant et à celui d’après. Cette découverte pratique s’accompagne de manipulations de toutes sortes, de maculations de l’espace sans épargner le corps de couches et de taches éparses. Ainsi au milieu de la flaque, l’enfant ne doit pas être vu uniquement comme abandonné à son sort, mais comme bénéficiaire d’une permission de liberté d’expérimenter son désir d’emprise sur la, les matières auxquelles son propre corps est associé.
C’est une exploration de l’univers qui se trouve à sa portée qui s’opère, cet univers est parsemé d’objets parmi lesquels son corps est le premier continent à découvrir. La douleur nous l’avons vu permet d’en arpenter les contours.
Comment identifier qualitativement ce qui a été oblitéré ? L’enfant ne saura pas comment est reçue son offrande si elle ne peut être présentée ?
L’avantage que procure une plus grande accessibilité de certains biens de consommation doit être évaluée contradictoirement afin de se prémunir contre l’absence d’esprit critique.
La raison du plus fort se donne des allures universelles pour tenter de s’imposer aux consciences. Pour autant, le dilemme spécificité ou universalité n’offre pas d’issue. Il expose les deux versants pentus d’un même mythe. L’un, l’unique prototypique ou ce trait qualifié d’unaire point de départ du multiple de telle ou telle unité, ce trait support de la différence est la résultante d’une opération simple : la séparation d’avec l’objet, la perte, ou l’abandon de cet objet au principe de l’identification. De là, au creux de ce rien, un trait partiel paraît élu au titre de modèle à copier pour ponctuer notre existence.
Victor LINA
Références
CHEMAMA Roland Clivage et modernité Collection Humus, Editions érès, Ramonville Saint-Agne 2004
COTTETSerge in LACAN Je pense où je ne suis pas, je suis où je ne pense pas. sous la direction de Gérard MILLER Bordas, Paris 1987
COURSIL Jacques (Cours de) – Analytique de la phonologie de SAUSSURE 1994-1995, Topiques des Phonèmes 1997-1998 GEREC-GIL Université des Antilles et de la Guyane
FREUD Sigmund Le Fétichisme in La vie sexuelle. Presse Universitaire de France
SAURETMarie-jean De l’infantile à la structure. Presse Universitaire du Mirail 1991.