— Collectif —
Les enjeux de la campagne de second tour, extrêmement polarisée, étaient sans ambiguïté : Il s’agissait de voter pour la survie de la démocratie et la confirmation des changements profonds débutés en octobre 2019, ou subir une nouvelle ère pinochétiste aux relents autoritaires et ultra-libéraux si dangereux pour la classe populaire. Clin d’œil de l’Histoire, alors que se tenait le dernier meeting de campagne avant le deuxième tour, la veuve de l’ex dictateur Pinochet décède à l’âge de 99 ans. Certains y verront un signe, celui d’un pinochétisme qui préféra mourir plutôt que de voir le pays écraser ce qu’il reste de son héritage en y faisant revenir une gauche conquérante par les urnes. D’autres, plus silencieux, verront la mort de la « vieja » comme la triste conséquence d’une démocratie qui lui a laissé finir ses derniers jours en toute impunité, sans que les victimes n’obtiennent ni réponses ni réparations aux exactions meurtrières de la dictature.
Cette campagne de l’entre-deux tour fut un sans-faute pour ce jeune président fraîchement élu et issu des mouvements sociaux. Il aura su rassembler l’ensemble de la gauche sans être issu des partis traditionnels qui ont gouverné le pays depuis le retour à la démocratie en 1990. Symbole de cette gauche qui fait front contre l’extrême droite, Boric aura pu compter notamment sur le soutien public de l’actuelle Haute Commissaire des Nations Unies pour les Droits Humains et ancienne présidente du pays andin Michelle Bachelet. Quelques jours plus tard, Gabriel Boric devient le plus jeune président de l’histoire du Chili, et le plus voté en s’imposant au candidat de l’extrême droite avec 55,8 % des voix. Cette élection est donc un nouveau cycle politique pour le pays, c’est la fin de la transition qui aura duré trois décennies, c’est une nouvelle génération issue des mouvements sociaux qui accède au pouvoir.
L’enjeu, dès son investiture en mars prochain, sera de rassembler les forces politiques de gauche dans l’optique d’un futur gouvernement. De rassembler un peuple marqué par les tensions politiques, et d’apaiser ses craintes et ses passions, puis, réaffirmer l’envie de démocratie en désamorçant cette nostalgie de l’ordre autoritaire. Il devra convaincre une partie de la société qu’il n’y a rien de plus sain pour un pays que d’appliquer un programme politique qui puisse permettre une cohésion sociale solide dans l’un des pays les plus inégalitaire au monde, et qui, malgré l’importance du secteur minier, trouve la voie vers une croissance juste et respectueuse de l’environnement. L’effondrement économique promis par la droite à chaque élection d’un ou d’une candidate de gauche au Chili n’a pas eu lieu, et il n’aura pas lieu.
Son programme suscite beaucoup d’espoir pour les plus vulnérables et la classe moyenne, notamment en matière de santé, d’éducation, des retraites, et protection de l’environnement. Boric sera un président engagé pour mener à bien le processus réformateur de la constituante. Ce nouveau climat politique permettra aux élus constituants de terminer leurs travaux dans un calme dont ils avaient été jusqu’ici privés par l’ancien Président Sebastian Piñera.
L’entrée de jeune président au Palais de La Moneda permettra de lever le voile sur les graves violations des droits humains constatés depuis plus de deux ans. Un travail de justice et de mémoire est attendu par les familles des victimes qui pourront compter sur le soutien de Gabriel Boric. Le peuple chilien aura subi deux décennies d’une dictature sanguinaire, puis trois autres où l’héritage pinochétiste fut difficilement dépassable. Souvent maltraité, ce peuple peut recommencer à regarder le futur avec un espoir renouvelé, les yeux rivés sur les possibles.
Pierre Lebret, politologue, expert du Chili et de l’Amérique latine.
Christophe Bieber, historien, expert de l’Amérique latine.
Florian Lafarge, ancien conseiller du porte-parole du gouvernement français (2012-2017).
Source : L’Humanité