— Par Selim Lander —
La Martinique demande l’inscription du site de la Montagne Pelée à l’inventaire du patrimoine mondial de l’UNESCO. Afin de soutenir cette candidature, la Fondation Clément a rassemblé quelques plasticiens contemporains autour de cette thématique précise, ou de celle, plus générale, de la Martinique, paysages et gens.
Certaines œuvres exposées sont donc plus proches du thème que d’autres. Pour qui l’ignorerait, la Montagne Pelée est un volcan dont la dernière éruption, en 1902, a provoqué la destruction de la ville de Saint-Pierre, alors capitale de l’île. Parmi les œuvres directement inspirées par cet épisode, se détache immédiatement l’arbre de Christian Bertin (respé twa fwa), de métal et de verre brûlés. A l’arrière plan, une vidéo présente le work in progress. De même, l’assemblage de tôles de voitures par Hervé Beuze, intitulé Composition tellurique, évoque-t-il assez directement la tectonique des plaques responsable des éruptions volcaniques. Toujours dans la même veine, Sismographie Méga-poétique, la peinture abstraite de Julie Bessard – dont la présentation sur un cylindre ouvert comme une amorce de spirale n’est pas sans évoquer, toutes proportions gardées, l’ensemble intitulé The Matter of Time de Richard Serra au Guggenheim Bilbao –, des traces colorées sur un fond noir, pourrait représenter une forêt en feu.
La forêt est un autre thème commun à plusieurs artistes, tant il est vrai que celle-ci est omniprésente dans toute la moitié nord de l’île, celle justement où se trouve le volcan (lequel, comme son nom l’indique, n’est pourtant pas couvert d’arbres !). Instant chimérique, la grande fresque de Ludovic Nino, à l’encre de chine sur douze feuilles de papier coréen juxtaposées, nous immerge dans une forêt tropicale plus fantastique que nature, tandis que Jean-Baptise Barret se photographie in situ couvert d’une coiffe végétale (Un démiurge).
Dans une toute autre veine, Fureurs, un montage de Louisa Marajo, exprime bien la révolte pleine d’énergie qu’indique le titre. À côté, la série intitulée Misa Negra de Bruno Pédurand illustre quant à elle le deuil : ces portraits réalisés à partir de la rubrique nécrologique du journal France-Antilles se présentent comme des images « en négatif », dessinées en prélevant délicatement un peu du noir de fumée déposé au préalable sur des plaques de plexiglas. Ces portraits éphémères parce qu’éminemment fragiles contrastent avec les photographies en pied, plus grandes que nature, d’Anabell Guerrero qui transforme les femmes de la ville de Saint-Pierre en statues hiératiques (Les Pierrotines).
Si l’on ne saurait présenter ici les seize artistes réunis dans l’exposition (sans compter les auteurs de quelques œuvres anciennes, contemporaines de l’éruption), on s’en voudrait de passer sous silence la fresque de Ricardo Ozier-lafontaine, qui traduit une évolution heureuse de son travail sans que celui-ci ne demeure immédiatement reconnaissable. Peut-être à cause des aplats noirs sur lesquels se détachent nettement désormais certaines figures, peut-être à cause de l’utilisation d’une pièce de tissu au milieu des bandes de papier, Le jour d’après manifeste une nouvelle maturité, une manière plus riche, avec davantage « d’épaisseur » aurait-on envie de dire, que lors de l’exposition personnelle du même artiste, en 2018 (Reset, Fondation Clément).
Même si les œuvres rassemblées dans l’exposition De feu et de pluie ne suffiront peut-être pas à elles seules à convaincre les juges du bien-fondé de la candidature de la Martinique en raison de sa richesse naturelle, au moins auront-ils appris, comme tous les visiteurs étranger à l’île, que celle-ci possède des ressources en matière d’art plastique qui la rendent à coup sûr digne d’être (re)connue par l’UNESCO.
De feu et de pluie, exposition collective, Fondation Clément, Le François, Martinique, du 22 septembre au 12 décembre 2021. Avec Jean-Baptiste Barret, Christian Bertin, Julie Bessard, Hervé Beuze, Nicolas Derné, Anabell Guerrero, David Gumbs, Alain Joséphine, Brice Lautric, Louisa Marajo, Ludovic Nino, Ricardo Ozier-lafontaine, Bruno Pédurand, Jérémie Priam, Pierre Roy-Camille, Philippe Thomarel.