— Tribune libre de Philippe Pierre-Charles et de Marcel Sellaye du G.R.S. —
L’épreuve que vit en ce moment la Martinique, s’inscrit dans le cadre de la crise permanente d’un système, dont les soubresauts se répètent à un rythme accéléré, même si leurs formes varient. Cette marche est inexorable. Seule son issue est inconnue. Les forces progressistes et révolutionnaires ont juste le devoir de peser de toutes leurs forces pour le seul dénouement qui vaille : un lendemain meilleur pour la grande majorité de la population. Et le temps est compté !
On voit bien que la position de l’État consistant à repousser la date de la mise en application de sa loi inadaptée, irréaliste et injuste d’obligation vaccinale et de pass sanitaire, ne résout rien. L’entêtement colonial dans toute sa splendeur !
Plusieurs possibilités existent pourtant pour débloquer la situation, et entrer en négociation sur tous les problèmes mis sur le devant de la scène à la faveur de la crise actuelle :
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Moratoire sur l’application de cette loi sur les territoires la refusant.
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Possibilité offerte aux personnes acceptant des vaccins non ARN messagers dont le vaccin cubain.
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Contrôles systématiques de l’état sanitaire des personnes dans les secteurs sensibles.
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Garantie d’emploi dans d’autres services des salarié.e.s refusant tout vaccin.
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Mesures de précaution sanitaire pour tous et toutes.
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Abandon immédiat de toute sanction prise contre des non-vaccinés.
Bien entendu, plusieurs de ces propositions sont interchangeables et des solutions pragmatiques de ce type peuvent être imposées à l’État malgré ses rodomontades persistantes.
Cela suppose une autre organisation de la contestation. Inutile de rêver d’une nouvelle structure pour agir en front populaire unitaire afin d’amorcer une sortie de crise. Mais d’autres attitudes sont indispensables pour gagner. L’urgence commande de changer de cibles. La cible ne peut être la population et tout ce dont elle a besoin pour vivre. La cible, c’est le pouvoir qui entend garder les rênes en se payant le luxe de feindre de négocier et même de discuter avec « les jeunes »!
La tendance au lynchage indifférencié des « élu-e-s toutes tendances confondues » doit être remplacée rapidement par une tactique précise de mise au pied du mur des élu-e-s se déclarant aux côtés du peuple. Car, s’il leur est facile de prendre des motions, au demeurant positives, sur le rejet de l’obligation vaccinale sans rejet du vaccin,… il y a loin de la coupe aux lèvres ! Car ces mêmes élu-e-s oublient leur influence prépondérante dans des partis, parfois des syndicats et des associations, et ont des électorats dont ils et elles se gardent bien de mobiliser les membres aux côtés de celles et ceux qui se battent. Leurs préférences vont à leurs éternelles guerres intestines plus ou moins insipides, au lieu d’être dans une saine compétition pour montrer leurs utilités respectives au mouvement de masse, pour aider eux aussi, à travers leurs membres et sympathisants sur le terrain, à faire en sorte que les grèves générales soient de vraies grèves générales.
La lutte en cours a fait émerger des forces issues de la jeunesse, qui ne peuvent prétendre la représenter toute entière, mais dont l’irruption ne saurait être ignorée, dont la parole et les aspirations doivent être prises en compte et dont l’auto-organisation doit être facilitée pour qu’elle ait voix et droit au chapitre.
Seule la conjonction de l’action des élu-e-s favorables au peuple, du mouvement ouvrier et des autres forces populaires comme celles de la jeunesse et des catégories non prolétariennes mais défavorisées, en coordination de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane, avec le soutien des vrais progressistes de France peut faire entendre raison au pouvoir.
Dans ce front, il est évident que c’est le mouvement ouvrier la composante la plus diligente. Il lui appartient d’organiser la pression pour que les élu-e-s soient amené-e-s soit à se mobiliser soit à se démasquer. C’est pour cela que ce mouvement doit défendre sa totale indépendance par rapport aux élu-e-s quel que soit le parti ou la coalition au pouvoir. Cette indépendance est d’ailleurs la condition de sa propre unité. Toute fraction du mouvement qui agirait comme simple courroie de transmission d’un parti au pouvoir, porterait atteinte à cette unité. Une autre condition est le respect de la plate-forme de lutte.
Il est officiellement admis de façon très large dans la population que l’opposition à l’obligation vaccinale n’implique pas en soi une opposition à la vaccination. Dans les mobilisations, le bombardement de propagande contre le vaccin, affaiblit au lieu de renforcer la mobilisation. Toute tentative d’intimidation dans un sens ou l’autre, interdit le débat et détourne de la lutte une partie des combattant-e-s alors qu’il y a de la place pour tout le monde dans la lutte.
Tout aussi nocives pour l’unité d’action et donc pour l’efficacité, sont les pratiques visant à régler des comptes qui n’ont rien à voir avec le sujet en question ou marquées au coin de l’hégémonisme, de la concurrence boutiquière ou plus trivialement de la querelle des égos. Si en la matière la perfection n’existe sans doute pas, il reste qu’il y a des degrés dans ces déviations bureaucratiques et que les caricatures doivent être combattues.
Car la question de l’unité du mouvement ouvrier n’est pas une lubie idéologique. C’est une nécessité pratique, une condition pour susciter l’enthousiasme, pour transformer le maximum d’élu-e-s en alliés du mouvement face au pouvoir, pour un rapport constructif avec les fractions mobilisées de la jeunesse.
L’une des caractéristiques positives des mobilisations depuis des semaines est la place des jeunes salarié-e-s, dont des infirmier/ière/s, surtout sur les barrages, de jeunes sans insertion professionnelle sûre.
Certains s’imaginaient que la mobilisation resterait confinée aux revendications sanitaires. C’était sous-estimer la profondeur de la colère dans différentes couches de la population. L’intersyndicale en Martinique comme en Guadeloupe l’a vite compris : la vie chère, les bas salaires et les minima sociaux, l’emploi et la précarité, les attaques gouvernementales sont vite entrés dans la plate-forme. Différentes forces militantes sont entrées dans la danse.
Comme dans toutes les luttes brassant des couches diverses, des éléments extérieurs et provocateurs saisissent l’occasion pour pratiquer le déstockage de magasin, le pillage, la destruction, l’incendie, la recherche de l’affrontement. Il est à peine besoin de dire que la destruction de locaux scolaires, de centres de formation, de cabinets médicaux, de bureaux de postes, le racket parfois armé sur les barrages n’ont rien à voir avec le mouvement ouvrier et sont tout simplement inadmissibles. Certains adversaires du mouvement ne manquent d’ailleurs pas de pratiquer l’amalgame pour le discréditer.
Il n’y a aucune raison de se montrer complaisant à l’égard de ces pratiques ni de se tromper non plus sur les responsabilités. La société coloniale et capitaliste, l’arrogance du pouvoir sourd aux revendications populaires, sont responsables des horreurs que nous dénonçons. Mais celles-ci ne sont pas sans rapport avec le chacun pour soi, la lutte de tous contre tous, la raison du plus fort, la profitasyon, la violence. Nous ne voulons ni de cette image inversée du colonialisme, ni des manœuvres qui veulent l’imputer au mouvement populaire.
La démarche que nous défendons est complexe et difficile et réclame des efforts, mais chacun doit comprendre l’importance de l’enjeu : la victoire est nécessaire pour poser les problèmes de l’avenir immédiat ou plus lointain.
Pour brouiller les pistes, le pouvoir agite de façon faussement anodine, le sujet de l’autonomie. Et d’emblée, les termes en sont piégés. Il y aurait, dit le ministre des colonies, à choisir entre « moins d’égalité et plus de pouvoirs pour les instances locales ». En gros, la misère pour les plus faibles, et le pouvoir pour les plus riches. Nous n’avons pas à fuir un débat sur la question de l’égalité et du pouvoir. Au contraire ! La question coloniale et nationale se pose toujours, contrairement aux dires de certains. C’est en revanche au mouvement ouvrier et populaire des dernières colonies de la France d’en définir les termes, le cadre et les modalités. C’est à lui de faire le lien entre les revendications de la grève actuelle et la question institutionnelle. Car celle-ci n’est pas un sujet pour élites politiciennes dans le dos des masses. Notre revendication de l’élection d’une assemblée constituante dans la droite ligne de la Convention du Morne-Rouge réunissant la gauche des colonies il y a 50 ans, est la meilleure réponse au chiffon rouge du gouvernement.
Pour avancer vers ce lien, le mouvement ouvrier syndical et politique est placé devant un défi : il convient d’enrichir, de développer, d’approfondir la plate-forme actuelle de l’intersyndicale. Cette nécessité est la première leçon à tirer du grand mouvement de février 2009. Contrairement à ses détracteurs d’aujourd’hui, nous parlons d’un mouvement grand par sa durée, sa massivité, les accords signés et sa plate-forme finale forgée au cœur même de la mobilisation. Le refus de l’État, du patronat et même des collectivités de l’appliquer sérieusement a servi de prétexte à la bourgeoisie pour tenter à la fois de dénigrer et de désespérer ses acteurs et actrices dont la mobilisation n’aurait « rien changé ».
Aujourd’hui, les groupes de travail envisagés pour aborder les négociations réclamées, ont besoin de remettre sur le chantier en les actualisant la très riche plate-forme née en 2009 et laissée en chantier depuis.
Il est impératif de faire dans l’urgence, ce qui n’a pas été achevé entre 2009 et aujourd’hui. Les propositions ultérieures ne manquent pas. Pour qu’elles deviennent une force matérielle, elles ont besoin que les équipes militantes débattent entre elles et au sein des masses.
Le préalable reste la victoire dans le combat contre l’obligation vaccinale et le pass sanitaire.
Fort-de-France, le 27 novembre 2021.
Philippe PIERRE-CHARLES, Marcel SELLAYE.