Deux soirées danse comme pour augurer que la pandémie sera bientôt derrière nous et que la saison culturelle pourra reprendre normalement. Puisse le proche avenir le confirmer.
Obsoletum de et avec Joss et Resist
Deux danseurs sur le plateau. Joss (Jean-Michel Garraud) accroupi pendant que Resist (Yves Milôme) joue avec une chaise en clamant un texte dont il est l’auteur. Après ce début qui paraît un peu laborieux, tout change lorsque Joss se réveille et se met à danser, bientôt suivi par son compagnon, en alternance conformément aux règles de la breakdance où chacun présente tour à tour son numéro. Avec les passages obligés comme lorsque Joss se met à tournoyer sur la tête. Les meilleurs moments, cependant, sont ceux où les deux se mettent à danser/jouer ensemble. Il se noue alors entre eux une réelle complicité lorsqu’ils se reconnaissent, se saluent. La chaise, quand elle est partagée, prend alors tout son sens. Si l’un apparaît plus fringant que l’autre et capable de figures plus compliquées, cela ne nuit pas à la qualité de cette pièce qui est justement destinée à montrer l’effet du passage des années sur le corps et la technique des danseurs.
Ecouter, regarder, ressentir de Patrick Servius
Patrick Servius a fait le pari de laisser s’exprimer à peu près librement ses trois jeunes danseuses. C’est, raconte-t-il, l’essence de sa démarche, « d’être beaucoup sur l’improvisation ». En faisant paraître les identités différentes de chaque danseuse, il cherche à montrer que le contexte particulier de la pandémie « a tendance à nous éloigner les uns des autres alors que nous devrions mettre toute notre énergie à nous rassembler pour résoudre les problèmes du monde » (France Antilles des 12-13-14 novembre 2021). Un louable projet, servi par les origines de ses jeunes danseuses : l’une est franco-anglaise, l’autre franco-ivoirienne, la dernière martiniquo-guadeloupéenne. Le plateau est divisé en trois bandes, délimitées par des traits de lumière, sur laquelle chacune reste confinée jusqu’au final où elle se rejoindront. Malheureusement, la méthode non directive de P. Servius demanderait des danseuses plus aguerries. Leurs mouvements stéréotypés relèvent davantage de l’expression corporelle que de figures de danse et même si l’une d’entre elles fait preuve d’une belle détermination, le résultat de leurs efforts s’avère bien décevant.
L’ombre d’un doute de Thomas Lebrun
Troisième pièce, toujours d’origine locale puisque les deux danseurs, Jean-Hugues Miredin et Laurent Troudart, bien connus du public, sont martiniquais comme Patrick Servius et Yves Milôme. Une concentration sur les talents locaux qui s’explique probablement par la pandémie et les incertitudes qu’elle entraîne en matière de programmation. Quoi qu’il en soit, on a revu avec plaisir le duo Miredin-Troudart qui a fait appel, cette fois, à un chorégraphe « étranger » en la personne de Thomas Lebrun, directeur du CDN de Tours. Leur pièce dont le titre signale l’ironie est en effet placée sous le registre de l’humour plutôt que de la danse et, ma foi, pourquoi pas, du moment que cela est bien fait. Si les deux hommes tentent bien de danser, sur une musique langoureuse, en tenant dans les bras une partenaire imaginaire, ils sont interrompus par l’irruption intempestive de chansons qui les incitent à se lancer dans des mimiques très drôles, quand ils n’abandonnent pas carrément le plateau. Au fil de la pièce, les spectateurs d’un certain âge auront reconnu d’autres artistes martiniquais – « Un mari, un amant, un ami » de Sylvanise Pépin, « C’est bon pour le moral » de la Compagnie Créole (Miredin et Troudart partagent un punch) – à côté de l’ineffable Maurice Chevalier dans « À la Martinique » (ils revêtent ceinture de bananes et gants blancs).
Répercussions de et avec Ana Pérez
Ana Pérez est déjà venue à la Martinique en 2015 comme danseuse flamenco dans Revoleo de Luis de la Carrasca qui avait enflammé la salle du Théâtre municipal. Elle est ici seule sur un plateau sonorisé pour mieux faire entendre sa technique irréprochable aux claquettes. Elle est belle, avec de l’allure, maîtrise parfaitement son sujet, danse avec une autorité souveraine, en parfaite coordination avec une bande son pourtant compliquée, qui ménage des instants de surprise qu’on doit saisir à la seconde près. Elle ne danse pas, cette fois, le flamenco authentique mais une épure de flamenco, souvent lente, bien servie par l’éclairage, dans laquelle les mains, les doigts miment avec une grâce infinie des castagnettes ou un éventail. Malgré quelques longueurs on est subjugué et disposé à croire A. Pérez quand elle explique que sa pièce est « l’histoire d’un corps en quête de vérité », celle, ajoute-t-elle, « d’un bagage génétique qui [la] dépasse »… Cela fait du bien, parfois, de sentir le vent du large.
Tropiques Atrium – scène nationale, les 13 et 19 novembre 2021.