« Frères de sang » et « Hotel Paradiso » ou le succès du théâtre gestuel

 —Par Roland Sabra —

freres_de_sangIl est souvent répété à l’envi qu’ au théâtre le comédien doit servir le texte. Mais qu’en est-il alors pour le théâtre sans parole, le théâtre mut, ou mieux le théâtre gestuel ? Deux spectacles parmi d’autres de ce registre connaissent un engouement populaire au Festival d’Avignon 2013.

 « Frères de sang » est une création de la Compagnie Dos à deux, qui présente l’histoire, tendre, émouvante et parfois tragique d’une famille composée d’une mère et de ses trois fils. A l’ouverture deux comédiens tournent l’un autour de l’autre, se serrent dans les bras, jouent s’amusent, il s’agit de deux frères. Leur statut d’enfant est suggéré par la taille de leur jouet, exagérément grande. D’emblée il est évident que ce que la bouche ne dira pas sera exprimé par la gestuelle des corps. Flashback. S’éclaire alors, coté jardin dans une penderie la présence d’une femme couverte d’un voile noir et qui tient une marionnette de femme âgée sur sa poitrine. Cette vieillarde n’a plus d’âge : le cadavre d’un homme est exposé sur un lit de mort. Les deux fils vont faire la toilette mortuaire de l’homme dont on ne sait encore qui il est. A l’enterrement la comédienne s’effondre de douleur, elle perd son voile prend une position de parturiente et du retournement de la marionnette nait un splendide bébé. On comprend alors que va nous être narrer l’histoire de l’enterré, le troisième fils qu’elle a eu. C’est donc un traversée de vies, faite de complicité, de rivalité, d’amour et de détestation entre les frères jusqu’à la mort accidentelle du dernier né qui nous est contée.

 

Les éclairages tout en ombres et lumières sont superbes de création poétique. Les accessoires de scènes nombreux et ingénieux participent largement à l’expression gestuelle. De même la musique originale participe à la création d’une ambiance troublante par imoment On sourit, on rit, on s’amuse, on s’émeut on s’épouvante balloté entre réalité et onirisme, entre passion et tendresse, entre union et séparation, entre bonheur et malheur sans nom. Le spectateur est infailliblement convoqué comme fils, frère, père, mère sans qu’un seul mot ne soit dit. A la sortie une partie du public était en larmes, des femmes accompagnées d’enfants surtout. Un moment d’intense émotion qui renvoie chaque spectateur à son histoire personnelle pour en faire une histoire universelle.

 

« Hotel Paradiso » est un théâtre gestuel qui explore un domaine contigu, le théâtre de masque. Dans un petit hôtel de montagne tenu par une femme âgée, son fils et sa fille il se passe des choses bien étranges. Le cuisinier-boucher ne découpe pas que du cochon, la femme de chambre est une cleptomane irréductible. Le fils rêve d »une cliente qui l’emporterait loin de l’autoritarisme maternel, la fille prise de passion pour le rouge et le noir ne rêve que repeindre tout l’hôtel à ces deux couleurs tout en se disputant sans cesse avec le frère. Et tout cela sous le regard du père qui dans son cadre en bois, comme dirait Brel, regarde son troupeau se bouffer le nez. L’hôtel y perdra ses étoiles et sa fondatrice avec.

 

La scénographie est très illustrative comme pour suppléer l’absence de texte. Ils sont quatre comédiens à tenir avec un rythme soutenu, une douzaine de rôles, qui provoquent l’amusement et la franche rigolade. Un pur moment de plaisir.

 

Au théâtre multilingue de Jan Lauwers il faut désormais ajouter dans un tout autre registre un théâtre gestuel en plein essor. Un effet positif de la globalisation ?