—Par Roland Sabra —
Crée au studio-théâtre de de Vitry en 2010, repris au Théâtre de l’Échangeur à Bagnolet en 2011« Au pied du mur sans porte est enfin présenté au Festival d’Avignon à la Chartreuse.
C’est l’histoire de Libellule, 7 ans, un gamin de banlieue, sans père et qui perd tout, sa carte Orange, ses vêtements, le chemin de l’école dans les flaques d’eau les jours de pluie, qui dialogue avec son jumeau mort avant la naissance., «Il est tourdi» commente sa mère grande praticienne de l ‘aphérèse cette élision inverse. Elle dit « scabeau » pour escabeau. En classe, il a des difficultés. Plusieurs années après,devenu adolescent il fait copain copain avec JR, un caïd de la cité pour qui il revend de la drogue.
Voilà en quelques mots l’intrigue de « Au pied du mur sans porte » le travail de Lazare, l’auteur-créateur-metteur-en scène-improvisateur qui est en train de marquer la création théâtrale d’une forte empreinte. Né en 1975 à Fontenay-aux-Roses, avec une ascendance algérienne il grandit à Bagneux en banlieue parisienne. Sur cette enfance il est plutôt taiseux : « Si je me mets à raconter ma vie, on tombe vite dans un misérabilisme qui me fait fuir. Je ne veux pas être enfermé dans le roman communiste de l’Arabe qui s’en sort. » Il refuse d’être le gamin de banlieue qui s’en est sorti. Libellule c’est lui.
Quand les portes de la salle s’ouvrent les comédiens sont déjà en scène et ils jouent. Il n’y a pas de commencement, tout est en cours On n’est pas venu pour entendre une histoire, ou se laisser raconter des histoires. Une façon de dire qu’il ne s’agit pas d’une re-présentation d’une réalité théâtralisée mais qu’il s’agit d’ouvrir les yeux sur un réel en cours, un réel que chaque spectateur tentera de symboliser. Un couloir qui borde les salle de classes d’une école, l’institutrice, la directrice de l’école se chamaillent un os à ronger : « le petit chose y comprend rien, y retarde ses camarades, y l’a déjà redoublé… le mettre dans une école spécialisée… » .
Le gamin pris dans un réseau de signes, une logique d’encodage et d’ objectivation, un processus de marginalisation, de stigmatisation ; est enfermé dans un discours qui protège son entourage, à l’image de « l’Autre homme », son double prisonnier se heurtant aux parois transparentes d’une boite. Un servant avec un projecteur mobile éclaire la boite : ombre chinoise, image anonymisée projetée sur le mur de la ville. L’ombre qui parle n’a pas besoin de visage. La détresse de cet homme n’est pas un propos singulier, c’est une détresse sociétale.
La désocialisation résulte de l’incapacité d’une société d’intégrer certains de ses membres, processus de stigmatisation qui conduit à la désafiliation. Mais il n’y a pas de désocialisation absolue, la participation de Libellule à un un gang de dealer le socialise à l’intérieur de ce groupe. L’auteur, méfiant à l’égard de toute idéalisation de la marginalité, a protesté lors d’un entretien avec le public contre cette interprétation, la mettant sur le fait que nous aurions été en réalité sensible à la solidarité,à l’esprit de groupe, à la solidarité qui résulte du travail des comédiens.
Ainsi débute ce spectacle avec des lumières crues, des rires moqueurs quand le gamin trimbalé d’école spécialisée en école spécialisée demande « Elle est où la maitresse qui dit : il va surement y avoir un déclic ». Mais les rires progressivement s’étranglent, et finissent se taire à mesure que l’intensité dramatique se déploie. Travail d’invention langagière qui n’est jamais la copie servile des manières de dire de la banlieue mais création d’une novlangue.
Le discours est fragmenté comme les vies en morceaux qu’il tente de dire, ce que souligne le travail des lumières, réalisé par l’auteur, avec des découpes géométriques, triangle, carré, rectangle, cercle qui délimitent des espaces d’enfermement sur le plateau.
Le jeu des comédiens paroxystique souligne la violence des actes quand ceux-ci suppléent le manque des mots pour dire. Les comédiens doivent être chanteurs, musiciens, contorsionnistes, danseurs, S’ils sont de véritables athlètes ils ne se réduisent jamais à des machines, ils gardent sur scène une fragilité et une extrême sensibilité qui témoignent de la résonnance du texte en eux-mêmes, en un mot de leur profonde humanité.
Lazare s’il emprunte à la poésie, à Shakespeare, fait surtout et avant tout œuvre de création littéraire et théâtrale et ce pour notre plus grand plaisir.