Une ouverture de festival 2007 mal entamée mais sauvée par l’éblouissante Tania MARIA

 — par Roland Sabra —

Tania MARIA Quartet

 Après que Manuel Césaire ait présenté les intentions de ce festival de Jazz de Martinique, jeudi 22 novembre sur la grand scène de l’Atrium, les limites du genre sont vite apparues. L’idée est généreuse, unificatrice, consensuelle puisqu’il s’agit de réunir dans un même festival des artistes de stature internationale, d’autres de notoriété caribéenne et d’autres encore qui en dehors de la Martinique sont, allez soyons magnanimes, peu connus. Dans cette démarche se retrouvent toues les contradictions de la politique culturelle en Martinique. Il y a ceux pour qui seul compte le talent, d’où qu’il vienne, et les autres pour qui le « localisme », le « régionalisme » de l’artiste est primordial. Ceux qui pensent que peu importe la couleur du chat pourvu qu’il attrape des souris et ceux qui croient qu’il est plus important que le chat soit rouge. Ce sont ces derniers qui sous la houlette de Mao ont exterminé cent millions de chinois et c’est finalement la victoire des premiers qui a permis le décollage économique que l’on sait de la Chine. Nous n’en sommes pas là, mais on voit bien les contradictions dans lesquelles est plongé Manuel Césaire quand il s’agit d’obtenir des financements du Conseil Général, du Conseil Régional, de l’État français et de quelques békés! Je laisserai au lecteur le soin de répartir ces pourvoyeurs de monnaie dans les deux camps évoqués! De même le souci, louable en soi, de déplacer les concerts dans les communes dans une île dont la longueur ne dépasse pas 80 kilomètres relève peut-être plus d’une méfiance à l’égard de la ville-capitale que d’un souci de décentralisation. « Encercler les villes par les campagnes » disait encore l’inénarrable Mao.

 Jeudi soir donc, le Martiniquais Guy-Marc Vadeleux inaugurait le festival et a failli l’endormir. Une musique un peu lourde, faite avec les pieds, dont la composition Melting Pot illustre le manque d’homogénéité, le manque de cohérence, le peu d’originalité et le caractère hétéroclite de la prestation. Une balance mal réglée ( pour les spectateurs placés dans la fosse?) entre les instruments ajoutait au désordre. L’organisation de sa prestation avait pour unique préoccupation de souligner le statut de puissante invitante de Guy-Marc Vadeleux. Il est d’abord entré seul, a esquissé une morceau, puis les musiciens sont arrivés sur scène les uns après les autres. Le flûtiste Max Telephe arrivé le dernier aura bien du mal à se faire entendre, non pas que son jeu soit en défaut mais tout simplement parce que l’espace sonore qui lui était imparti était bien étroit et c’est bien dommage. Un de mes voisins, très impliqué dans les faits de culture en Martinique dira lapidaire: «  Vadeleux a passé la soirée, penché sur son piano à se contempler les burnes en oubliant le clavier. » Dont acte.

 

Tania Maria

 

Et puis est venue le Tania MARIA Quartet et la soirée s’est illuminée. Il y a dans le jeu de l’artiste brésilienne un tel bonheur de vivre, un tel plaisir à inventer ce qu’elle fait à partir  d’un métier époustouflant de rigueur, de méthode, de précision à la fois dans l’exécution de la partition mais aussi dans le dialogue avec le bassiste, Max Bertaux, le batteur Tony Rabeson, le percussionniste Mestre Carneiro que la salle entière a été transportée sur une autre planète, celle d’un swing pulsé par les rythmiques et les harmoniques du jazz brésilien. C’est dans un cadre extraordinairement précis et contraignant, dans lequel rien ne  semble laissé au hasard, où tout semble avoir été répété, répété et encore répété, qu’elle se crée un chemin de liberté, d’invention et de créativité qui aboutira tout simplement ce soir là à ce qu’elle nous dise à la fin de son dernier morceau avant le rappel: « Voilà, je viens de créer un nouveau morceau ». Tout simplement. En direct!

 

Le jeu du quartet est un échange infini, un ensemble de relance, d’interrogation, d’appel, de mise en suspens d’un élan consolidé pour mieux éclabousser de mille et un éclats le public fasciné. Tania Maria a cette voix qui fait l’amour au piano, tantôt tendre et mutine, tantôt forte et sûre d’elle, tantôt grave et légère. Il y a des instants où les mots, les onomatopées, les cris et les murmures chuchotés, les sifflements et les notes se mêlent de façon tellement inextricable que cordes vocales et cordes de l’instrument ne semblent faire qu’un.

 

Tania MARIA illustre à la perfection l’adage du métier qui veut que la création soit le résultat de 95 % de travail et 5% de génie.

 

Fort-de-France le 23 XI 07, Roland Sabra