—Par Manuel Norvat —
La préoccupation d’Édouard Glissant, c’est avant tout le monde. Dans le manifeste intitulé Pour une littérature-monde, sous la direction de Michel Le Bris et Jean Rouaud, Glissant est explicite sur ce point :
« S’agissant de poésie et de politique, je crois [dit-il] avoir toujours obéi à un instinct qui me portait d’abord à considérer que l’objet le plus haut de la poésie était le monde : le monde en devenir, le monde tel qu’il nous bouscule, le monde tel qu’il nous est obscur, le monde tel que nous voulons y entrer1 »
Cet allant, ce goût pour l’altérité, puisque le monde tel qu’il est appréhendé par l’auteur n’est qu’altérité ; ce souci du monde, de l’ouverture, du laisser advenir, au lieu d’un enclos de soi, n’est pas l’appétit des écrivains prisonniers des enracinements, disponibles ainsi à toutes les dérives. Le cas de Maurice Barrès en est un exemple éloquent. Le prestige littéraire voilera de son mieux l’obscurantisme de cet écrivain. « Les étrangers n’ont pas le cerveau fait comme le nôtre » écrivait-il. Par une dénégation aux loges de l’immonde l’un de ses épigones Antillais qualifia les Juifs d’« Innommables »2.
Aux antipodes des valeurs frelatées, l’ouverture de Glissant pour le monde l’a naturellement amené à se rapprocher de Gilles Deleuze. « Nous sommes nombreux [écrit Glissant] à nous être réjouis que le philosophe français Gilles Deleuze ait estimé que la fonction de la littérature comme l’art est d’abord d’inventer un peuple qui manque » 3.
Le philosophe inventeur du concept de déterritorialisation et le poète de la créolisation estiment l’inventaire du réel comme insuffisant pour changer les imaginaires rétrécis. Ils sont dans un lieu-commun (avec un trait d’union), ce que Glissant définit comme « un lieu où des pensées du monde rencontrent des pensées du monde ».La littérature générale et comparée consciente qu’aucune littérature n’est sauve des autres participe de ce lieu-commun, ce débat sur « la guerre des traits d’union-monde ».
C’est principalement par le concept de Relation qu’Édouard Glissant exprime sa poétique du monde. La Relation est le point nodal de l’œuvre d’Édouard Glissant. Il l’exprime, au-delà d’une théorie relevant de la philosophie, par des formes multiples (« de cri en paroles, de contes en poèmes ») s’accordant au gai savoir, un savoir qui intègre la plénitude de la vie et la poétique d’un homme issu d’une culture de métissage parmi tant d’autres : la culture créole.
De La Lézarde au Tout-Monde, de Pays rêvé, pays réel, en passant par Le discours antillais, Poétique de la relation ou Les Grands Chaos, — livres écrits contre l’esprit de système comme autant de « redites en spirales »—, s’il parle depuis son lieu de la Caraïbe à travers son œuvre, Glissant ne le projette pas pour autant en « universel généralisant » tel que le font les auteurs de Eloge de la créolité4. Les créolisations [écrit-il pour expliquer son écart vis-à-vis de cette notion de « créolité »] introduisent à la Relation, mais ce n’est pas pour universaliser ; la « créolité », dans son principe, régresserait vers des négritudes, des francités, des latinités, toutes généralisantes — plus ou moins innocemment.5
Chez Glissant, le cheminement de la pensée (son « soleil de la conscience ») est passé par la phénoménologie. La formation philosophique et l’itinéraire intellectuel de ce martiniquais tend à favoriser ce parti pris6. Ainsi, dans son livre Soleil de la conscience, le mot conscience est à considérer dans le cadre de l’approche phénoménologique. La phénoménologie est un discours anté-conceptuel de la conscience s’opposant à une Logique et à une Encyclopédie. La phénoménologie s’intéresse à l’être conscient de soi et du monde. Le monde, « la forêt de phénomènes »7 dont parlait Aimé Césaire dans Tropiques.
Qu’est-ce donc que la Relation chez Glissant ? Il faut d’abord considérer que Glissant propose une véritable critique de la Relation. Il défend l’idée, comme certains penseurs présocratiques, que le monde n’existe qu’en Relation (le relatif, plus précisément). Ce qui s’oppose à l’Absolu : le monde comme entité close et cloisonnée — sujet d’ailleurs d’un roman de Balzac dans les Etudes philosophiques intitulé La recherche de l’absolu. Est absolu ce qui ne défend rien d’autre que soi et porte en soi-même sa raison d’être.
Ni pur concept philosophique ni simple représentation de l’imaginaire, la Relation chez Glissant se subsume en une poétique. Si Glissant enrichit le concept de Relation par une poétique de la Relation, il enrichit aussi cette notion même de poétique.
La poétique, loin d’être une question enfantine, car ce n’est certes pas « faire des poèmes ». Depuis la Poétique d’Aristote et les arts poétiques (Horace, Boileau, Verlaine) et leurs corsets de règles, préceptes esthétiques et recommandations, elle s’est principalement révélée comme normative. La poétique a aussi pris une tournure descriptive au XXème siècle avec les formalistes russes et le structuralisme en passant par Gérard Genette et Henri Meschonnic. Mais c’est avec Paul Valéry qui en fait une « une théorie de la littérature » qu’elle semble avoir retrouver son plein sens.
Quoique Glissant constate chez Valéry un « intellectualisme », il n’en devine pas moins chez lui « un marbre sous lequel courent des frissons 8». L’œuvre de Valéry s’écarterait des fulgurations, des éclairs, des illuminations rimbaldiennes et serait propre à donner le sentiment de la durée.
«Il voulut faire [écrit Glissant] de la poésie une cohérence, une nécessité, une parole qui s’organise et non pas qui surgit, une surprise concertée du monde et non pas un éblouissement (précisément) sans écho. »9
Avec Glissant, la poétique devient synonyme de vision, de projet, d’intention, d’ambition poétique de la Relation. Ce souci innerve toute son œuvre.
À la manière dont la problématique du Contrat social a préoccupé Hobbes et des penseurs des Lumières, notamment Jean-Jacques Rousseau avec son ouvrage Du contrat social, l’intitulé du livre de Glissant Poétique de la Relation renvoie à la fois à une problématique générale ainsi qu’à l’économie singulière de la pensée et de l’écriture d’une poétique de la Relation. Ce livre Poétique de la Relation faisant suite et écho au Discours antillais (l’essai lui précédent) participe des mêmes principes éponymes et poétiques auctorials. Le livre II du Discours antillais s’intitulait déjà Poétique de la relation.
Cette poétique de la Relation, affirme Glissant, ne saurait se constituer en science. Elle est « seulement connaissable ». À l’instar du métissage en tant que proposition elle est
« non linéaire et non prophétique, tissée d’ardues patiences, de dérivées incompréhensibles »
La poétique de la Relation de Glissant se révèle comme une « transphysique » se démarquant des métaphysiques de Parménide ou d’Héraclite.
« une transphysique dont l’énoncé se résumerait ainsi : que l’étant (ce qui existe par totalité) se relaie »
L’une des lignes de force de la poétique de la Relation de Glissant réside dans le fait qu’elle se dessine à partir de la préoccupation des cultures, de l’histoire, du fait colonial, de la face cachée de terre :
« Accompagnant l’horizon, à mesure que sur ses crêtes se profilait la cambrure des villes nouvelles, il y avait le surgissement des hommes combattants. La moitié du monde sortait des nuits, celle qui avait jusqu’à lors été marquée pour être la face sombre du globe »10
L’histoire, le choc des cultures, et non des spéculations métaphyiques, sont étroitement liés à la poétique de la Relation de Glissant.
Longtemps le monde ainsi fut idée du monde, monde-comme-solitude, ou comme-identité, qui s’élargissait à partir de la seule évidence du particulier connu et englobait le Tout comme pure extension de ce particulier. Celui qui partait loin de chez lui, le Découvreur, et celui qui sur la terre demeurait, l’à-découvrir, partagèrent cette commune croyance. Naître au monde, c’est concevoir (vivre) enfin le monde comme relation : comme nécessité composée, réaction consentie, poétique (et non morale) d’altérité. Comme drame inaccompli de cette nécessité.11
Cette mise en contact des peuples, des imaginaires, qu’est la Relation mondiale remplace donc le monde comme « idée du monde, monde-comme-solitude ». Glissant propose que nous sommes en quelque sorte sommés par l’histoire d’entrer en Relation.
Pour Glissant, il existe plusieurs modes, manières d’être de la Relation, « force poétique du monde« , dont les cultures humaines qui ne sauraient en être des éléments premiers sont cependant « les réalités incernables » et « ont fait ici figure de constituants« 12. Ces modes sont la colonisation, la créolisation, le métissage, la fusion, l’apartheid ou encore le génocide. Glissant se situe le plus souvent dans un rapport dialogique avec Hegel, fut-il de contre modèle. Force est de constater un parallèle entre la Relation chez Glissant et le système hegelien de la réalisation de la Raison dans l’Histoire. Le plus souvent, les parenthèses proliférantes dans les textes de Glissant ne se referment pas. La parenthèse où Hegel voulait enfermer l’Afrique est de cette manière désormais ouverte à toute. Glissant pratique l’anamorphose de la parenthèse en trait d’union.
C’est aussi par le Chaos-monde et le Tout-monde, des concepts complémentaires de la Relation, que Glissant exprime sa vision intuitive du monde, sa weltanstchauung, sa poétique. Il est significatif que Glissant n’emploie pas l’agglutination (tel la Weltliteratur de Gœthe ou le « chaosmos » de Deleuze) mais le mot composé. Dans l’acte de nommer, fut-ce l’étrange ou l’étranger, le trait d’union, se prête à la composition d’une union et d’une césure, une composition qui assemble et désassemble à la fois. Le trait d’union dit le monde sans déni et sert à établir des liaisons, des nouaisons.
Qu’est-ce que le Chaos-monde ?Évidemment, cela relève d’abord de la pensée du Chaos, affranchie de l’idée d’harmonie du Cosmos stoïcien, ce tout organisé et ordonné ; mais encore du Cosmos compris comme s’agissant de la confusion précédant la Genèse. Le monde pensé comme Chaos tient de la déconstruction nietzschéenne, la généalogie : une théorie de la connaissance malgré elle, où les fondements, les certitudes vacillent, en rupture avec le Dieu unique et la Science idolâtrés. Le Chaos-monde de Glissant rejoint lui les sciences du relatif et du chaos13. Le Chaos-monde n’est pour Glissant ni apocalypse ni désordre, ni néant ; au contraire il en fait une représentation positive. Son chaos est la jointure des conceptions du temps ou des cultures qui se brassent. Il le décrit ainsi :
« le choc, l’intrication, les répulsions, les attirances, les connivences, les oppositions, les conflits entre les cultures des peuples dans la totalité-monde contemporaine »
La pensée du Chaos de Glissant pourrait s’interpréter comme une retombée des sciences du chaos si ses ouvrages en prose (de Soleil de la conscience à Poétique de la Relation) ne témoignaient pas déjà de sa prescience au sujet de cette problématique du chaos-monde. Le passage des longues plages temporelles des humanités à une immédiateté dans les processus de leur évolution ainsi que le fait qu’elles vivent de manière concomitante plusieurs temps différent, en sont les données majeures.
Le Chaos-monde se caractérise par son imprédictibilité ; Glissant se réfère à la notion de « système déterministe » des sciences du chaos où le temps constitue une variable majeure d’imprédictibilité. Ce facteur temps participe grandement au fait que les cultures du monde d’aujourd’hui sont imprédictibles. Il associe les pensées de système et prédictibilité.
Avec sa « vision prophétique du passé », Glissant a encore un point commun avec ce que les sciences du Chaos conçoivent comme une sensibilité aux conditions initiales. Les variables multipliées (au-delà de deux) et les affects que sont la souffrance ou l’assentiment de son « entour » sont des moyens de la connaissance de cet entour. À ce titre, par exemple, la Traite ne saurait être écartée dans l’étude d’Haïti ou de la Martinique. Enfin, à l’instar du système déterministe à variable multiple des sciences du chaos, une nouvelle dimension erratique se répercute sur les mentalités dans le Chaos-monde. Cet erratisme là n’est pas errance de conquête ou de fondation il est imprévisible. Cette imprédictibilité ne constitue ni une carence ni une angoisse. La connaître s’est s’accorder à son présent. C’est l’imaginaire du Tout-monde, c’est-à-dire le fait de vivre dans son lieu tout en étant en relation avec la totalité-monde, qui permet de s’inscrire dans cette imprédictibilité. Le Tout-monde ce n’est pas le cosmopolitisme.
Quoique Guy Sarpetta dans son Eloge du cosmopolitisme rappelle que figuraient parmi les « cosmopolites » les « décadents » ou les symbolistes comme Mallarmé ; des écrivains comme Dante, Kafka, ou Joyce et que le cosmopolitisme était le revers du « dispositif d’enracinement » à l’œuvre dans les idéologies totalitaires, une dimension du cosmopolitisme ne manque pas pour autant de faire question. En effet, la résistance ou les dissidences qu’incarne le cosmopolitisme face aux obsessions d’appartenances est salutaire, il n’en demeure pas moins qu’il peut se comprendre comme une juxtaposition des cultures. Glissant dit en ce sens que le cosmopolitisme est « un avatar en négatif de la Relation ». Le cosmopolitisme, dans son acception d’amalgame ou melting-pot, réunit en effet des peuples différent en des lieux de convergence, les villes le plus souvent, dites cosmopolites, qui se prêtent parfois à la ghetoïsation, au cloisonnement des peuples. Il existe dans le cosmopolitisme, ainsi entendu, un aspect cosmétique, de parade, de surface (l’Indien, le cow-boy, l’Indou, le Chinois, et caetera) un aspect Village people, où la souffrance des autres n’est pas prise en compte.
Qu’est-ce que le Tout-monde ? On pourrait pour tenter de l’approcher partir de Baudelaire dans Le voyage :
Pour l’enfant amoureux de cartes et d’estampes,
L’univers est égal à son vaste appétit. […]
Or, il n’y a plus de tâches blanches sur la mappemonde. Même la face cachée du monde, tiers, ou quart-monde, s’est enfin dévoilée. Il se trouve que la relation mondiale n’est plus seulement une affaire de cartes. La nouvelle région du monde qui puisse rassembler désormais, celle où nous sommes invités à entrer ensemble, quelque soient les péripéties historiques et culturelles d’où nous provenons. C’est ce que Glissant appelle le Tout-monde :
« L’autre région du monde dans laquelle nous voilà entrés, …il n’est jamais vrai que nous soyons naïfs dans cette région, elle n’est pas un refuge du rêve ni un fantasme de l’espoir. Aussi bien, nous n’y trébuchons plus. Ce n’est pas une terre élue. Elle n’appartient à personne. Comme vous le savez déjà, sans rien savoir encore, nous la crions et la dénommons Tout-monde. »
L’origine du terme « Tout-monde » n’est pas un mystère réservé aux lettrés. Plutarque rapporta la légende du Grand Pan (le mot grec pan signifie « tout ») ; cette légende raconte comment un marin nommé Thamus entendit une voix qui l’enjoignit d’annoncer la mort du « Grand Pan ». Plusieurs interprétations existent. S’agit-il de l’annonce du passage de la république à l’empire romain ? Ou encore de la fin du polythéisme et du panthéisme ? Remis à l’honneur à la Renaissance, Rabelais transforma le « Grand Pan » de Plutarque en «Grand Tout ». (Cf. chapitre XXVIII du Quart livre). Glissant à son tour inventa le concept de « Tout-monde ». Ce que n’importe quel créole comprend comme toute-moune, chaque grande ou petite personne de ce monde. C’est cela la proposition du Tout-monde.
Glissant est l’auteur d’un roman Tout-monde (1993) suivit de Traité du Tout-monde (1997) ; le mot « traité » est quelque peu décalé, en réalité il s’agit d’un ressasement de cette idée de « Tout-monde » de la part de Glissant. En réalité les titres de ses livres comme par exemple Mahagony ou La Cohée du Lamentin sont le plus souvent à double entente. Il faut entendre Traité du Tout-monde comme : « Il faut traiter du Tout-monde ».
Cette nouvelle région du monde qu’est le Tout-monde n’est pas pour autant en suspension dans l’air du monde. Au vrai, elle ne saurait se penser sans la notion de lieu, opposée à celle de territoire.
« Le lieu est ce qui dans la Relation, dans la quantité réalisée des différents du monde, est incontournable, c’est-à-dire que par le lieu nous voyons que la Relation n’est jamais une dilution des particuliers, un méli-mélo dans lequel tout se confond et se dissout. La Relation est la quantité réalisée des lieux du monde. (…) Les lieux sont fondés dans l’inextricable du monde, et le monde est inextricable dans ses lieux. »14
Cette grammaire de la Relation serait incomplète sans un renouvellement des relations de voyage. Au vrai, le « grand livre du monde » s’écrit avec des voyageurs à coup sûr « étonnants ». Cependant, aujourd’hui, lors des voyages, il ne se passe plus grand chose ; lorsque cela arrive, c’est de l’ordre du catastrophique ou du piratage. Dans La terre magnétique, livre consacré à l’île de Pâques, Glissant, « de près et de loin à la fois » avec Sylvie Séma, retourne les prétentions du voyageur. Le pays fait le déplacement :
L’île se déplace, de combien de centimètre par an, nul ne le sait, alors peut-être connaîtra-t-elle la destinée des terres archipeliques, engouffrées, un jour que nul ne sait non plus, dans les frottements inévitables des plaques de fond »15
Dans sa poétique de la Relation Glissant exalte les lieux. Là où, « La Tracée mêle en son nuage / L’eau qui vient des boucans d’en-bas »16 l’eau fusionne avec le feu, comme en ces vers de son poème Bayou (entendez aussi s’il se peut bagay-ou )
Sur la route de la Trace à la Martinique il est en effet le lieu d’une faille sismique dans un quartier nommé Les nuages. Avec Glissant, à partir des tourments et des beautés du paysage, nous sommes en permanence dans une pensée et une écriture à partir des accidents de la Relation.
Penser le monde, pour Édouard Glissant, c’est aussi se poser la question : comment dire le monde aujourd’hui ? Dans cette perspective de penser le monde, il faut effectivement le nommer. C’est ce qu’il tente d’exprimer dans sa production néologique (Chaos-monde, Tout-monde, Totalité-monde, Pensée-monde, etc.) avec le mot composé, état préliminaire de la création lexicale. D’où le choix du mot composé qui décrit la chose, un état. Car il faut bien que l’on dise l’état exact des choses.
Nous revenons ainsi à la phénoménologie : c’est-à-dire à la description de la conscience qui se déprend de l’immédiateté pour accéder à la conscience d’elle-même à travers l’histoire. Le lien entre le questionnement glissantien sur le « comment dire le monde aujourd’hui ? » et la phénoménologie permet de comprendre pourquoi Glissant a recours au trait d’union, élément graphique indispensable au mot composé, pour manifester l’aspect en devenir de sa vision intuitive du monde. C’est cette création néologique que nous appelons trait d’union-monde. Il nous semble que le trait d’union-monde résume l’appréhension du monde par Édouard Glissant. Le trait d’union-monde, c’est de l’anti-système, c’est de l’inachevé.
Chez Glissant, inventeur du peuple non dominateur des Batoutos qui a une conscience aigüe de la Relation (en partage donc avec la conception de la littérature et des arts de Gilles Deleuze), le trait d’union-monde est une proposition, le garant, sémantiquement et graphiquement, de la présence de la diversité consentie. Le trait d’union-monde chez Édouard Glissant ne participe d’aucun regroupement militaire : c’est un trait d’union libre.
1Michel Le Bris et Jean Rouaud, Pour une littérature-monde, 2007.
2Jacky Dahomey, L’innommable Raphaël Confiant ?, Le Monde, 2 décembre 2006.
3Édouard Glissant, La cohée du Lamentin, Gallimard, 2005, p. 16.
4Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant, Eloge de la Créolité, Gallimard, 1989.
5Édouard Glissant, Poétique de la Relation, Gallimard, 1990, p.103.
6Romuald Fonkoua, Essai sur une mesure du monde au XXe siècle : Édouard Glissant,
collection Bibliothèque de littérature générale et comparée, n°33, Paris, Honoré Champion, 2002.
7Aimé Césaire Poésie et connaissance, revue Tropiques n°12, janvier 1945.
8Édouard Glissant, L’intention poétique, Le seuil, 1969, pp. 68 -73.
9Idem.
10L’intention poétique, p. 13.
11L’intention poétique, Edouard Glissant, Le Seuil, 1969, p. 20.
12Édouard Glissant, Poétique de la Relation, Gallimard, 1996, p.175.
13Glissant s’est reporté à l’ouvrage : Des rythmes du chaos, par Pierre Bergé, Yves Pomeau et Dominique Dubois-Gance, paru aux éditions chez Odile Jacob, en 1994.
14Édouard Glissant, Une nouvelle région du monde, Gallimard, 2006, p. 186-187.
15Édouard Glissant, La terre magnétique, Les errances de Rapa Nui, l’île de Pâques, en collaboration avec Sylvie Séma, coll. Peuples de l’eau, Le Seuil, 2007.
16Bayou, Édouard Glissant, in Les grands chaos, Poèmes complets, Gallimard, 1994.
Campus de Schoelcher le 25/04/08