— Par Yves-Léopold Monthieux —
Quel historien martiniquais, nourri au marxisme ou non, s’est donné le mal de faire des recherches et d’aider à écrire une histoire neutre dans l’affaire de mars 1961 au Lamentin ? De se pencher sur l’épisode du décès, deux ans plus tôt, et de la succession du maire communiste. Fernand Guilon n’était pas en odeur de sainteté au sein de son parti lorsqu’il s’est suicidé. La même question peut être posée pour les évènements de décembre 1959 à Fort-de-France ou de février 1974, la réponse sera la même : aucun historien honnête n’a étudié ces affaires en historien. S’agissant de « 1959 », l’historien de service a été recadré par la commission Stora. Quant aux incidents de Chalvet, deux médecins ont corédigé un document historique essentiel, le rapport d’autopsie de l’une des deux victimes. Mais jusqu’à leur disparition, ces praticiens ont laissé dire le contraire du rapport et couvert par leur silence bienveillant une présentation arrangée de l’affaire. Bien que la gravité des évènements de février 1974 ne soit pas contestable, il est regrettable que soit retenue l’histoire écrite par des historiens marxistes, manifestement à la gloire de leur propre militantisme.
Ainsi donc, après 2 mois de grève sur l’habitation du Lareinty, plusieurs incidents graves se sont déroulés, dont le bras sectionné d’une amarreuse de cannes qui refusait de faire grève. Imaginer dans ces conditions que le patron de l’usine fût assez fou pour venir seul dans cette chaude ambiance dans le but de provoquer les ouvriers n’a que peu de vraisemblance. Les grévistes pouvaient néanmoins y croire. La reprise par l’historienne de service du mot « narguer », prononcé par les communistes, dit tout de son absence de neutralité. Par ailleurs, s’il est admis qu' »en politique comme en amour il trompe qui peut », c’est aussi le droit de l’homme politique opposé au pouvoir d’exploiter l’évènement. Par son discours dit des « Trois Tombes », sans doute le plus vibrant discours funèbre qui ait jamais été prononcé en Martinique, le Maire du Lamentin a utilisé ce droit avec les airs de Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire.
En revanche, on attend de l’historien.ne qu’il ou elle mette à nue la vérité en écartant les rumeurs, les fakes, les racontars, bref, le romantisme politique ; qu’il ou elle évite de s’aligner en « copié-collé » sur la version qui lui est dictée par le politique. En réalité, l’imprudence du patron de l’usine résultait du fait qu’il avait rendez-vous avec le dirigeant du syndicat CGT, Georges VALBON, afin de signer un protocole de fin de grève. Le chef d’entreprise étant passé 2 fois dans la rue au volant de sa jeep, les ouvriers qui visiblement n’avaient pas l’information, ont pu croire de bonne foi qu’il était venu les « narguer », terme que reprend une historienne avec gourmandise.
On ignore si la présentation des faits par le maire avait irrité le dirigeant syndical qui était en relation avec le patron. Georges VALBON était aussi le premier adjoint au maire. Un premier adjoint en délicatesse avec le maire depuis que la magistrature suprême lui avait échappé dans des conditions rocambolesques. D’abord élu, le vote avait été annulé puis refait pour des motifs jamais élucidés. Peu après les incidents de mars 1961, le nouveau maire allait démissionner pour se débarrasser de ce premier adjoint et refaire un bureau municipal à sa main. Reste que cet homme qui se trouvait à la tête des grévistes a été totalement ignoré par les historiens.
Quant à la « fusillade », en réalité une seule rafale d’une arme automatique, le fait que toutes les victimes aient été étrangères aux faits militent en faveur de la piste accidentelle. Un seul appui sur la détente avait suffi. L’inexpérience de policiers non formés pour réaliser une telle opération induit la responsabilité de la police et de sa hiérarchie. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui encore, il n’est pas besoin à l’historien.ne de galérer pour retrouver des éléments qui sont à la portée de tout curieux et qui, passés par le prisme de l’analyse scientifique, auraient permis d’écrire l’histoire, la vraie, dépouillée des rumeurs, des sentiments personnels et des conflits politiques internes.
Fort-de-France, le 29 mars 2021
Yves-Léopold Monthieux