— Jean-Marie Nol, économiste —
Voilà que depuis mars 2020 , le choc du coronavirus paralyse brutalement le monde entier. Voilà un an que le coronavirus perturbe notre quotidien. Sa présence secoue le système hospitalier, grippe l’activité économique et sature le débat public.
Aujourd’hui, on se désole partout à travers le monde, de ce que l’économie soit une des principales victimes collatérales de la pandémie actuelle.
De fait, rien n’est plus vrai pour la France : La chute spectaculaire de la consommation et de l’investissement sur tous les continents met en effet toutes les économies sous pression.
Et celle-ci risque de durer : les enquêtes d’opinion, en Europe comme en France , confirment semaine après semaine la dégradation du moral des ménages et des entreprises et leurs faibles intentions de consommation ou d’investissement. Rien d’étonnant vu la prévision d’une très forte montée du chômage de masse . La pandémie de COVID-19 a provoqué la récession la plus grave jamais observée depuis près d’un siècle et fait des ravages en termes de santé, d’emploi et de bien-être des citoyens, selon la dernière édition des Perspectives économiques de L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)
Ainsi , la voie de la reprise économique apparaît très incertaine, et vulnérable à une troisième vague de l’épidémie. Il ressort du rapport qu’il sera indispensable de renforcer les systèmes de santé et d’aider les personnes et les entreprises à s’adapter au monde de l’après-COVID.
Pour ce qui concerne l’économie guadeloupéenne, elle s’est progressivement déséquilibrée au cours de ces derniers mois , terminant l’année 2020 avec des déficits jumeaux significatifs. Une politique budgétaire accommodante de la région a soutenu la croissance et devrait continuer de le faire. Toutefois, la Guadeloupe n’échappera pas à une contagion du ralentissement économique lié à la pandémie. Le pays devrait basculer en récession en 2021 , alors même que sa croissance s’est déjà nettement amoindrie en 2020 . La crise devrait contraindre les banques à réduire fortement la voilure au niveau de la distribution du crédit.
Pour autant , les responsables de l’action publique ne restent inerte, car ils ont déjà mobilisé un vaste arsenal de mesures exceptionnelles pour soutenir les systèmes de santé et préserver les revenus des citoyens ainsi que pour aider les entreprises et stabiliser les banques . Mais tout cela risque de ne pas suffire à éviter le pire, car la crise économique et financière laissera des traces durables, et ce alors même, que très bientôt des bouleversements technologiques vont profondément changer la Guadeloupe d’ici 2030. Beaucoup de guadeloupéens ne soupçonnent pas les changements phénoménaux qui seront provoqués par les technologies du futur, il faut tout de même constater que la technologie en général a fait des progrès incroyables en l’espace de quelques décennies.
Et ce n’est pas prêt de s’arrêter. Que ce soit en biologie ou en génétique ; en physique quantique ou en informatique et dans le domaine énergétique, les choses vont changer le visage de la Guadeloupe dans la décennie actuelle avec tous les risques inhérents à cette quatrième révolution industrielle de l’internet, du numérique et de l’intelligence artificielle : les niveaux de vie vont baisser, le chômage sera élevé et l’investissement restera atone. Les conséquences se feront ressentir dans beaucoup de secteurs en Guadeloupe, et les pertes d’emplois toucheront particulièrement les personnes peu qualifiées, les jeunes et les travailleurs du secteur informel.
Un an après , quel bilan économique et social tirer de cette crise qui n’a pas encore disparu ?
La dette de l’Etat et des collectivités locales explose…. et continuera d’exploser !
Face à la crise, le taux d’endettement des administrations publiques a explosé et s’établit à 116,4% du produit intérieur brut ( PIB) français au troisième trimestre 2020,-soit 16,4 points de plus qu’un an plus tôt – avant la crise. Le financement des mesures prises (chômage partiel, fonds de solidarité, exonérations de cotisations sociales) par l’Etat pour soutenir la structure économique « quoi qu’il en coûte », selon la formule consacrée, ont permis de d’éviter la casse de l’économie guadeloupéenne. Mais est-t-on pour autant tiré d’affaire ?
La Guadeloupe est sur une ligne de crête disions en titre, c’est-à-dire qu’on va d’un sommet de crise à un autre en suivant un chemin très étroit et un pas de travers vous fait basculer franchement d’un côté ou de l’autre. En quelque sorte (ce que l’on essayait justement d’éviter). En quelque sorte en anglais : tightrope (la corde raide du funambule). Rien d’exceptionnel me direz-vous, c’est un rituel en Guadeloupe et l’on trouve des explications à cela. La vie politique et sociale en Guadeloupe , est faite de petits mystères et surprises qui décontenancent les esprits cartésiens, titillent les esprits curieux et parfois même déboussolent les esprits rationnels. Cette prédisposition de la Guadeloupe , en faveur de la lutte sociale et de la solidarité qui en découle, l’amène à ne pas aborder ou à reléguer au second plan « les sujets économiques qui fâchent ». Ne pas trop en dire pour pouvoir continuer à se dire les choses subalternes . Ce n’est peut-être qu’un pis-aller, mais en l’état actuel des choses la notion de crise peu utilisée par les hommes et femmes politiques de notre territoire reste dans le vague pour bon nombre de citoyens lambda .
Et ce serait faire preuve d’optimisme de penser que la problématique de la crise économique et financière à venir pourrait en quelques mois acquérir une conscience de la population guadeloupéenne. Il s’ensuit que ce phénomène de crise est donc souvent guetté en Guadeloupe par la recherche du bouc émissaire ou par les thèses complotistes d’autant que les réseaux sociaux cultivent facilement l’entre-soi et particulièrement WhatsApp voire Facebook qui est leur relai le plus utilisé.
La difficulté consiste à essayer de corriger le tir sans jouer aux experts… et en tenant compte du fait que l’analyse de la crise est limitée d’entrée de jeu par le fait qu’elle isole le processus de compréhension de l’information économique. Ce dernier point étant essentiel dans le maintien d’un rapport de force antagonique avec les pouvoirs en place (local ou central) . Dans le contexte actuel, il est évident que l’incertitude et son pendant naturel l’incompréhension, est extrême. Et les conséquences de cette situation en termes de politiques macroéconomiques seront bientôt palpables en terme de désengagement de l’Etat .
Et pourtant, à bien y réfléchir, une large partie de l’économie de la Guadeloupe n’est pas encore touchée par cette crise.
Et c’est la spécificité de cette période qu’il faut désigner.
D’après les enquêtes de conjoncture disponibles jusqu’en mars, la consommation des ménages devrait s’affaiblir avec la perception par les ménages de pertes de pouvoir d’achat passées et à venir, les conduisant à revoir à la baisse leurs intentions d’achats de biens durables. En 2019, la consommation des ménages avait fortement contribué à la croissance de la Guadeloupe .
Le choc lié au Covid-19 devrait d’abord peser sur les exportations, déjà en ralentissement (+1,2% en 2019, après +3,1% en 2018). Dans ce contexte, l’investissement (qui avait augmenté ces deux dernières années) devrait se contracter de près de 13 % en 2021 et la progression des salaires devrait s’interrompre brutalement, ce qui pèsera sur la consommation des ménages. Le tourisme devrait être affecté également, mais son poids (moins de 5% du PIB) reste limité, malgré une forte croissance ces dernières années.
Toutefois, l’existence de déficits jumeaux significatifs dans une période où les financements seront plus difficiles à trouver, implique un risque baissier en termes de croissance économique. Dans ce contexte, il faut craindre une dérive budgétaire qui se renforcera au sein des collectivités locales.
Cette perspective d’un nouveau dépassement va déclencher de la part de l’Etat une procédure de déficit excessif. Le contexte actuel poussera l’Etat à ne plus bouger pour aider financièrement la Guadeloupe. En conséquence des économies budgétaires devront être programmées dans le temps et une réforme du modèle économique et social actuel de la Guadeloupe sera plus que jamais utile et nécessaire .
Déjà l’on note une mauvaise surprise pour les maires de Martinique. Une lettre co-signée par le préfet et la direction des finances publiques, reçue il y a quelques jours, dans laquelle on demande aux communes de rembourser le 1er acompte d’une subvention exceptionnelle liée à la pandémie, et qui avait récemment été allouée aux municipalités de Martinique et de la Guadeloupe.
Les communes devront rembourser l’acompte qui avait été versé le 1er décembre, les sommes varient entre 20 000 et 400 000 euros par commune. Problème, des mairies ont eu le temps d’engager ces sommes sur des opérations, surtout celles qui ne sont pas en bonne santé financière. Cet élément de retrait soudain de l’Etat prouve que nous assistons bien à une révision probable du modèle social français qui est désormais virtuellement grippé aux Antilles.
Des politiques hors du commun seront nécessaires pour avancer sur une ligne de crête en direction de la reprise. Relancer l’activité économique tout en évitant un troisième épisode de contagions nécessitera de la part des décideurs publics réactivité et flexibilité.
Néanmoins, 2021 devrait continuer d’enregistrer une baisse historique de l’activité estimée à 11 %. Le temps politique étant plus long que le temps économique, les effets des mesures du plan de relance de 800 millions d’euros de la région Guadeloupe et de l’Etat ne prendraient plein effet qu’à partir du dernier trimestre 2021.D’ailleurs à quoi servirait d’imaginer de nouvelles performances de l’économie si on ne peut les réaliser dans un délai court-termiste ?
Mais à plus court terme, la principale menace réside dans l’apparition de la crise financière qui devrait enclenchée une crise sociale . Le ton monte entre les protagonistes qui s’accusent qui de mensonges, qui d’incompétence sur la gestion de la crise.
Aujourd’hui, d’après les confidences d’un maire de Guadeloupe, l’idéologie syndicale dominante est partout narcissique et impatiente. Beaucoup de syndicalistes ne s’intéressent qu’à eux et aux intérêts de leurs mandants. Le hic c’est qu’ils veulent tout, tout de suite sans avoir le sens du pays. Les réseaux sociaux poussent à ce narcissisme et à cette immédiateté.
Il est temps de calmer le jeu car, dans celui-là, les guadeloupéens eux-mêmes pourraient bien être très rapidement dans l’impasse de la pauvreté .
Une fois cette crise écartée, quelles qu’en aient été les conséquences, il est vraisemblable qu’on passera à autre chose, sans en tirer les leçons pour l’avenir .
Face à la polarisation de la discussion sur les conséquences de la crise sur les générations futures et à la complexité de la situation, le doute peut s’installer, car on navigue dans une tempête qui est devenue très partisane à l’approche des élections régionales et départementales. Quelle sera la nature du jour d’après selon l’expression utilisée par Emmanuel Macron ? Plus durable ou pas ? L’essentiel de l’enjeu pour les guadeloupéens : garder un esprit critique.
Jean-Marie Nol, économiste