Quelques centaines d’universitaires réunis dans le collectif Vigilance Universités, ou le récent « Observatoire du décolonialisme », multiplient tribunes et critiques contre certaines études en sciences humaines et sociales.
— Par Samuel Laurent —
« Je suis encore un peu sous le choc. » Nahema Hanafi, maîtresse de conférences en histoire moderne à l’université d’Angers, ne s’est toujours pas remise de la déferlante de haine qu’elle a reçue sur les réseaux sociaux, à la suite de la publication dans Le Point, début février, d’une tribune fustigeant violemment son ouvrage, L’Arnaque à la nigériane. Spams, rapports postcoloniaux et banditisme social (Editions Anacharsis, 2020). Dans ce livre, la chercheuse analyse les discours des « brouteurs », ces cyberescrocs africains qui se font passer pour d’accortes jeunes femmes dans le but de soutirer de l’argent à des Occidentaux crédules. Ces truands, explique-t-elle au terme d’une étude de terrain, « ont un discours décolonial ; ils expliquent qu’ils “volent aux Blancs” pour réparer les dommages de la colonisation ».
Mais pour l’auteur de la tribune dans Le Point, Hubert Heckmann, maître de conférences en littérature du Moyen Age à Rouen et membre d’un récent Observatoire du décolonialisme, son ouvrage fait « l’éloge d’un système criminel » et tombe dans « la grille de lecture décoloniale [qui] inverse les rapports entre victimes et coupables ». La tribune de M. Heckmann, relayée par les sphères d’extrême droite, a valu à Mme Hanafi menaces et attaques racistes. Son université lui a accordé la protection fonctionnelle et elle a déposé plainte.
« Je regrette et je condamne évidemment cette situation. On appelle au calme, et on condamne évidemment aussi l’extrême droite », justifie le cofondateur de l’Observatoire du décolonialisme, Xavier-Laurent Salvador, professeur de linguistique à Paris-XIII. Mais l’épisode illustre les tensions qui traversent depuis des mois les milieux universitaires, opposant chercheurs qui travaillent sur des concepts tels que les études de genre, les questions coloniales ou les phénomènes de racisme systémique, et ceux qui estiment que ces travaux sont inutiles, militants, voire dangereux, car participant d’un repli identitaire.
Le débat déborde sur la société
Si la controverse universitaire est tout sauf nouvelle, elle se déroulait jusqu’ici essentiellement entre chercheurs. Mais depuis quelques mois, le débat déborde sur la société, au travers notamment de tribunes et d’émissions médiatiques. Il a été placé au centre de l’actualité lorsque la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a souhaité mi-février une enquête autour de « l’islamo-gauchisme » à l’université.
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