À voir sur France TV, le spectacle « Noire », de Tania de Montaigne

– par Janine Bailly –

À voir sur France 5, le vendredi 19 mars 2021 à 20h50. À revoir sur Culturebox, en diffusion gratuite depuis le 8 mars, et ce jusqu’au 09/12/2021. 

Le spectacle Noire, d’après le roman Noire-La Vie méconnue de Claudette Colvin, adapté et mis en scène par Stéphane Foenkinos, était accueilli au Théâtre du Rond-Point, à Paris, en juin 2019 puis en septembre 2020. Tania de Montaigne s’est emparée de son propre texte, donnant voix à ce personnage qui « a tout permis mais qu’on a oublié ». Pour que revive sous nos yeux l’histoire, la comédienne s’accompagne de films, d’archives, de voix et de témoignages qui situent ce parcours, nécessaire et singulier, dans son contexte. Elle fait entrer l’auditoire dans l’intime de son héroïne. Le spectacle Noire avait été initialement porté à la scène au Centre national de création d’Orléans, en décembre 2016.

La critique de Joëlle Gayot dans Télérama :  « Ce n’est pas du théâtre, c’est mieux ! L’histoire n’a pas retenu son nom ? Tania de Montaigne fait d’elle l’héroïne d’un spectacle. Ce n’est pas du théâtre, c’est mieux : un témoignage revenu du passé, et qui donne vie aux invisibles. »

Au théâtre Aimé Césaire de Fort-de-France, nous avons pu voir, en 2019, une adaptation originale de Noire, un récit illustré accessible aux plus jeunes comme aux plus grands : sur scène, une comédienne et une dessinatrice. La première s’adresse au public : « Prenez une profonde inspiration et suivez-moi. Maintenant, vous êtes noir ». Elle incarne les différentes voix du roman. La seconde, installée à une table, à vue, compose à partir de photos découpées et de dessins, des images projetées en direct sur un écran au plateau. Toutes deux dialoguent et, ensemble, font avancer le récit, à la manière d’un “roman graphique théâtral”.

Qui est Tania de Montaigne ?

Journaliste et femme de lettres française, née en décembre 1971 à Paris, elle publie d’abord romans et essais. En  2015, elle reçoit le prix Simone-Veil pour son livre Noire-La vie méconnue de Claudette Colvin. À quarante-huit ans, elle monte sur scène pour raconter la vie de celle qui fut, dès l’âge de quinze ans, militante pour les droits civiques, aux États-Unis. En avril 2018, elle a déjà publié l’essai L’assignation-Les Noirs n’existent pas, dans lequel elle s’insurge — en se basant sur son propre parcours comme sur une étude théorique — contre le fait d’être assignée au groupe des Noirs, mais aussi contre les communautaristes : « La découverte des assignations en tant que Noire a été d’autant plus violente qu’elles sont venues percuter quelque chose qui n’est pas mon sujet. Je ne suis pas constamment en train de penser à la couleur de ma peau ». Elle explique également, dans un échange avec l’actrice Aïssa Maïga, sa divergence avec l’acception militante du concept d’appropriation culturelle : « Ceux qui exigent que Nina Simone soit incarnée par une actrice dont la peau répond à des critères de couleur ultra précis détournent le principe de tout art, qui suppose déplacement. D’autre part, ils reprennent tous les critères des racistes… ».

Début 2019, elle se fait dramaturge en participant à la nouvelle édition du Paris des Femmes, qui prend pour thème Noces, en compagnie d’Isabelle Carré, Anna Mouglalis, Rebecca Zlotowski, Adélaïde Bon, Catherine Cusset, Anne Berest, Carole Fives et Noëlle Châtelet. Elle signe une courte pièce à deux personnages intitulée Autopsie. De plus, est membre du Collectif 50/50, qui a pour but de promouvoir l’égalité des femmes et des hommes et la diversité dans le cinéma et l’audiovisuel.

Qui est Claudette Colvin ?

Avant Rosa Parks, en mars 1955, Claudette Colvin, jeune Noire d’Alabama, dit “non” : dans le bus, elle ne cèdera pas sa place à des passagers blancs. Son rôle pour l’avancée des droits civiques, après avoir été éclipsé par celui de Rosa Parks, est redécouvert, réévalué et valorisé depuis le début du xxie siècle. Ainsi, Fred Gray son avocat déclare le 1er mars 2009, dans une interview donnée au magazine Newsweek : « Claudette nous a donné à tous un courage moral. Si elle n’avait pas fait ce qu’elle a fait, je ne suis pas certain que nous aurions pu mener à bien le soutien à Mme Parks. »

L’événement, à Montgomery  : 

Sa famille ne possédant pas d’automobile, elle a recours à l’autobus pour se rendre à l’école. Le 2 mars, elle monte avec trois autres élèves afro-américaines dans le bus, au même arrêt que celui emprunté quelques mois plus tard par Rosa Parks. Elle est alors assise à deux rangs de la sortie de secours quand des Blancs montent. Le chauffeur lui demande, ainsi qu’à trois autres passagers afro-américains, de se lever. Claudette Colvin refuse de céder sa place à une jeune femme blanche. Le chauffeur s’arrête, fait appel à des policiers qui montent dans le bus, questionnent Claudette sur les raisons de son entêtement, et lui réitèrent l’ordre de quitter sa place. Les négociations n’aboutissant pas, la jeune fille est expulsée sans ménagement et mise en état d’arrestation. Elle proteste en déclarant que ses droits constitutionnels sont violés : « Nous venons d’étudier la Constitution […] je sais que j’ai le droit ». Elle est accusée, et mise en prison. Elle plaidera non coupable, et attaquera la ville en justice… Son arrestation précède de neuf mois celle de la militante Rosa Parks, qui eut lieu le premier décembre 1955. Claudette Colvin fut l’une des plaignantes devant la juridiction locale, qui prononça la décision de justice Browder v. Gayle, mettant fin à la ségrégation raciale dans les bus d’Alabama – mais pas forcément aux tensions raciales, comme la suite, hélas, nous le démontrera !

En 2017, le maire de Montgomery déclare que le 2 mars de chaque année sera le Claudette Colvin Day, une journée consacrée à la mémoire de Claudette Colvin.

Le roman : Noire-La vie méconnue de Claudette Colvin

La naissance d’une romancière : « Dans la torpeur d’un après-midi de lycée, j’ai rencontré la littérature et nous ne nous sommes plus quittées. Cela grâce à Guy de Maupassant et à son Bel-Ami écrit à la serpe. Le portrait de ce type qui veut dévorer Paris m’a marquée à tout jamais ». Et à dix-sept ans, après avoir vu le Hamlet de Patrice Chéreau au palais des papes à Avignon, Tania de Montaigne se découvre une vocation : « Je me suis dit… Si écrire veut dire poser sa singularité – qu’elle soit bonne ou mauvaise, peu importe –, dire “je” à travers d’autres choses qui s’organisent, alors je peux écrire ». Désormais, elle mettra sa plume au service de causes qu’elle sait justes : ici, réhabiliter la mémoire d’une jeune femme courageuse, étrangement restée dans l’ombre, et dont il est bon d’honorer le nom et l’action du temps qu’elle est en vie !

Une adaptation du roman en bande dessinée a été réalisée par Émilie Plateau : Claudette Colvin, cette « remarquable oubliée », aurait pu et dû devenir une icône du changement… Ce qui est intéressant ici, c’est le ton utilisé pour raconter cette histoire. La narratrice commence le récit en « tu »,  nous plongeant immédiatement dans la peau d’une jeune femme noire dans le Sud des États-Unis, durant les années 1950. Surtout, elle conserve une approche simple, laissant parler les événements d’eux-mêmes, évitant ce qui aurait pu être un ton didactique,

L’essai : L’assignation- Les Noirs n’existent pas, un plaidoyer universaliste contre toutes les formes de racisme et d’assignation.

Citons de l’auteur ces sidérantes paroles-témoignage : Trois jeunes femmes étaient assises, non loin de moi, dans un restaurant. L’une a dit « Je n’ai jamais couché avec un…enfin tu vois, un Jaune ». « Moi, c’est avec un Noir que je n’ai jamais couché » a dit la seconde… « Faut dire qu’ils sont équipés ! », a renchéri la troisième, « les Noires, elles, elles peuvent, elles ont de grands vagins ». « Ah bon ? » a dit la seconde. « Bah, oui, c’est comme pour les femmes… enfin,… les Asiatiques. Elles ont des sexes plus courts, c’est prévu pour. »
Ce jour-là, j’ai donc appris que, comme toutes les Noires, j’avais un grand sexe. J’essaie de me souvenir du temps où je n’étais pas Noire, mais seulement noire, sans majuscule. Un adjectif, pas un nom. Une simple couleur. Je passe en revue les souvenirs, la cité, l’école, les premiers boulots. Mais dans toutes ces images, je suis déjà Noire. Alors, qu’est-ce que c’est qu’une Noire ? D’ailleurs, est-ce que ça existe ? Et si les Noirs – et tous ceux dont on peut parler en ayant l’illusion qu’en mettant une majuscule, on a tout dit d’eux – n’existaient pas ?
( Tania de Montaigne)

Fort-de-France, publié le 5 mars 2021

 

Lire aussi : « Noire », le rôle primordial des femmes dans les luttes antiségrégationnistes        —  Par Roland Sabra —