— Recueilli par Paula Pinto Gomes —
La Croix Campus : Qu’est-ce que la laïcité ?
Aymeric Patricot : La laïcité (le mot vient de l’adjectif laïque, qui désignait à l’origine ce qui ne faisait pas partie du clergé) définit en France une façon de séparer les institutions étatiques des institutions religieuses. Il convient de la distinguer de la sécularisation, qui correspond au fait que les mœurs se détachent des exigences religieuses.
À cet égard, toutes les sociétés occidentales se sécularisent. En revanche, seule la France se montre attachée à la laïcité en tant que telle, codifiée par la fameuse loi de 1905 dont les principes s’appliquent encore aujourd’hui.
On peut considérer qu’il existe deux grands piliers à cette loi, correspondant aux deux premiers articles. Le premier consiste à dire que la République garantit la liberté de conscience : en France, vous avez le droit de pratiquer la religion de votre choix, et même de ne pas croire ; les religions sont donc protégées, de même que l’athéisme.
Le deuxième principe, lui, se focalise sur la séparation proprement dite, stipulant que l’État ne reconnait ni se subventionne aucun culte. Il n’y a donc pas de religion privilégiée en France, et les agents de l’État doivent être neutres, c’est-à-dire ne pas afficher de préférence. Par ailleurs, le délit de blasphème n’existe pas, dans la mesure où la croyance en une religion n’a pas valeur de croyance commune.
Laïcité : la France en fait-elle vraiment trop ?
C’est ce double principe qui fait la pertinence et la complexité de la laïcité. D’une certaine façon, l’État met à distance les religions pour mieux les protéger. La liberté de croire ou ne pas croire s’accompagne d’une neutralité affichée de l’espace public.
Mais le débat reste vif aujourd’hui sur la question de la visibilité accordée aux religions. Faut-il limiter autant que possible l’expression des croyances sur la voie publique ? Faut-il au contraire autoriser ces expressions ? Puisqu’il existe deux piliers, certains pourront privilégier l’un par rapport à l’autre – protection des religions, ou mise à distance.
Quelle est la spécificité de la laïcité à l’école ?
A. P. : A l’école, la laïcité a pour particularité à la fois de s’appliquer dans la vie quotidienne, pour les élèves et pour les professeurs, et de s’étudier dans certains cours, voire de se mettre en pratique dans le cadre d’exercices ou de débats. Ce qui rend la question si brûlante, c’est qu’à l’heure où certains musulmans se sentent stigmatisés et où les islamistes commettent par ailleurs des attentats, l’école devient à la fois le théâtre d’événements graves liés à ces questions-là, et le lieu où l’éducation des générations futures se dessine, non sans tensions.
Deux événements, entre autres, ont fait date. En 2004, tout d’abord, la loi française a interdit les signes religieux ostensibles à l’école. Il s’agissait alors de lutter contre un certain prosélytisme islamique, qui prenait par exemple la forme d’un refus des cours de piscine pour les filles. Aujourd’hui encore, certains musulmans se sentent visés par cette loi, mais elle semble recueillir un assez large consensus.
En 2020, la décapitation d’un professeur de collège, Samuel Paty, par un islamiste, au prétexte qu’il aurait insulté le prophète de l’islam Mohammed en montrant des caricatures de presse, a provoqué une profonde émotion. Pour la première fois, un professeur se faisait assassiner parce qu’il défendait le principe même de la laïcité – signe que ce principe se voit bousculé dans la société multiculturelle actuelle.
Pourquoi le gouvernement veut-il faire passer un projet de loi « renforçant la laïcité et les principes républicains » destiné à lutter contre « le séparatisme ». La laïcité est-elle menacée ?
A. P. : Ce projet de loi vise à répondre aux très fortes contestations que le principe de laïcité subit depuis quelques années, et dont certains attentats sont le symptôme. L’attaque contre Charlie Hebdo de 2015, par exemple, se voulait une défense de la religion musulmane contre ce qui était perçu comme une agression du camp laïque. L’assassinat de Samuel Paty a rappelé l’urgence de prendre des mesures pour raffermir le principe de laïcité.
→ ANALYSE. Séparatisme, les dix défis de la loi
Dans ce contexte, la loi propose une série de mesures visant à contenir certaines dérives. Par exemple, elle crée un délit de mise en danger de la vie par diffusion, consistant à lutter contre la diffusion d’informations qui mettent en danger la vie des personnes visées. Par ailleurs, elle impose des conditions plus strictes à l’obtention de subventions pour les associations, ou propose de renforcer la neutralité du service public.
Recueilli par Paula Pinto Gomes
(1) Aymeric Patricot a récemment publié « Les bons profs » (2019) et « La révolte des Gaulois » (2020).
Source : LaCroix.com