« Hugo. L’exil, la rage, le rêve », les rêveries d’un promeneur « hugolâtre »

— Par Julie Monrapha —

Paul Fructus est revenu en Martinique sept ans après l’adaptation dramaturgique des « Travailleurs de la mer » de Victor Hugo.2 Cette nouvelle création confirme que l’auteur et interprète est un « hugomaniaque, hugolâtre(1), si vous préférez. »3 La scène est offerte à nos yeux de spectateur avant que la pièce ne commence. Nous apercevons un piano, un xylophone, quelques tambours, une mappemonde suspendue à ce qui ressemble à une penderie, et une chaise en première ligne, côté cour. Nous espérions assister à une pièce de théâtre, et voilà que notre vue présage un orchestre.

Mais les sens peuvent être trompeurs. Paul Fructus surgit sur scène à 19h30, alors que la salle n’est pas encore plongée dans le noir. A la manière de la commedia dell’arte, il affirme être atteint d’un symptôme : la hugomania.

Dès lors, nous suivons les déambulations littéraires de l’interprète, entre le Paris de Napoléon III et l’exil à Guernesey, le tout savamment construit sur les écrits épistolaires, poétiques et romanesques de Victor Hugo. Le public est alors endoctriné par Paul Fructus, qui nous livre sa passion pour le poète romantique. Endoctriné, car sa partenaire de scène, Marie-Claire Dupuy, envoûte la salle par des accompagnements musicaux – à moins qu’elle ne soit elle-même une interprète des textes de Victor Hugo… Plus qu’un accompagnement, la musicienne fait voler les notes comme le comédien fait surgir les mots de Victor Hugo.

Mais ces mots sont si nombreux ; la poésie est si riche… Comment choisir ? Sous l’apparence de rêveries autobiographiques, Paul Fructus a construit sa trame de manière chronologique. Oh, pas d’une chronologie qui se voudrait exacte, car le premier personnage à renaître sur scène est Gavroche, mis en évidence par le nom, mais aussi par Marie-Claire Dupuy, qui entre sur scène en sifflant « l’air de Gavroche », extrait de la comédie musicale Les Misérables. Or, le roman a été publié en 1862, bien après les Trois Glorieuses de la Monarchie de Juillet 1848. Néanmoins, Victor Hugo commence la rédaction de son œuvre en 1846, alors qu’il vit encore à Paris.

Le texte de Fructus nous explique les « 19 années de colle »4 que Napoléon III aurait « filé » à Victor Hugo : de sa rupture avec ses penchants royalistes hérités de son père, des moqueries insultantes envers l’empereur de France, jusqu’à ses engagements contre la misère5, le public part avec le comédien en exil, sur ces îles perdues au milieu de la Manche. Hugo s’échappe de cet enfermement par la création littéraire, qui le connecte à une forme de divin. Sur scène, ces moments d’extase transparaissent par un projecteur diffusant une lumière verticale, qui confère une auréole au comédien. Puis viennent Les Contemplations entrelacées par L’Art d’être grand-père, jusqu’à…

« Demain, dès l’aube… »

Seul texte prononcé d’une voix presque blanche, dans un murmure, en connivence avec le public qui connaît si bien ces quelques vers, ou, du moins, qui les a appris il y a longtemps déjà…

Mais avant de nous quitter, un dernier poème nous est offert. Comme pour rappeler que le combat de Victor Hugo n’est ni fini, ni dépassé, Paul Fructus déclame l’œuvre d’une infirmière au SAMU social de Paris, face à la mort d’un SDF, à Paris, que personne ne remarque… Sauf elle, sauf Paul Fructus et Marie-Claire ; sauf nous, peut-être…

 

1 Mot emprunté à Paul Fructus, auteur et interprète de la pièce de théâtre.

3 Texte de Paul Fructus

4 Texte de Paul Fructus

5 « Discours sur la misère » prononcé à l’Assemblée nationale, le 9 juillet 1849

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