Qu’on préfère la galette à la frangipane ou la couronne briochée aux fruits confits, janvier est le mois de la galette des rois. Mais quels symboles se cachent derrière ? D’où vient cette tradition ? Et quid de la fève ? Nadine Cretin, historienne des fêtes spécialisée en anthropologie religieuse (et auteure de nombreux livres), nous aide à découvrir ce qui se cache derrière la pâtisserie.
Le 1er dimanche ou le 6 janvier ?
« Jusque dans les années 1960, l’Épiphanie (nom grec qui signifie apparition) était un jour férié qui tombait le 6 janvier. Le partage du gâteau était souvent célébré le 5 au soir. Mais le Vatican II (1962-1965) a décidé que l’Épiphanie serait célébrée le premier dimanche suivant le 1er janvier. De nombreux pays cependant ont conservé la date originelle du 6 janvier, comme la Pologne. En fait, c’est le partage du gâteau qui est traditionnel. Et il se fait plusieurs fois dans le mois ! »
Religieux ou pas ?
« Le partage de la galette n’a rien à voir avec la religion. Cela faisait partie des célébrations autour du solstice d’hiver, propice aux divinations. Les chrétiens la mangent lors de l’Épiphanie et la célébration des rois mages. Cependant luthériens, calvinistes et certains catholiques se sont opposés à cette coutume païenne, comme le prouve les discours du chanoine de Senlis en 1664, qui n’approuvait pas le côté festif de la galette. »
Une coutume ancienne
« Il est difficile de ne pas faire le lien avec les Saturnales de l’époque romaine : un roi était élu et donnait des gages. Aucun côté orgiaque à cela, mais plutôt domestique. Durant ces fêtes, au moment du solstice d’hiver, maîtres et esclaves étaient sur un pied d’égalité et tout le monde mangeait à la même table. C’était dans l’idée de revivre l’Âge d’or [ou l’éternel printemps]. À noter : certains prétendent qu’un condamné à mort était élu puis sacrifié après les fêtes. Or c’était le cas à Babylone, pas à Rome. »
Le « roi boit »
« L’élection d’un roi ou d’un gagnant remonte au moins aux Saturnales romaines. La coutume du ‘roi boit’ a été attestée dès le XIVe siècle. Et ‘tirer un roi’ était commun dès le Moyen-Âge, le 5 janvier. Normalement, celui qui trouvait la fève devait payer sa tournée à la tablée. Certains prétendent que les plus avares avalaient la fève afin de ne pas débourser d’argent. C’est ainsi que serait née la fève en porcelaine, pour que le ‘roi’ craigne de l’avaler. »
« Le roi de fantaisie apparaît aussi lors du Carnaval, pour l’avènement du printemps. »
La galette des rois traditionnelle se compose de pâte feuilletée et de crème d’amandes ou de frangipane.
La couronne
« C’est un attribut de la royauté. Il y avait des couronnes dès le XVe siècle, en plomb et étain avec dessus le nom des Mages et des fleur de lys. Or elles ne servaient pas pour ‘le roi boit’. En fait, elles protégeaient les pèlerins et voyageurs, à l’image des rois mages, leurs [saints] patrons. On n’en faisait plus lors de la Révolution ! »
La fève, symbole de fécondité
« La fève fait partie des symboles du solstice d’hiver. C’est le premier légume qui pousse au printemps. Surtout, ce légume, comme l’oeuf, contient un embryon. En ‘vieillissant’, il donne la vie. La fève est très importante, notamment chez les Grecs -elles contenaient l’âme des morts selon les pythagoriciens- et les Romains. Ces derniers jetaient des fèves dans le dos les 9, 11 et 13 mai pour chasser les ombres des morts. »
« La taille compte aussi. La fève-légume est plate et ni trop grande -elle peut être dissimulée- ni trop petite -car elle ne doit pas être avalée. En plus, tout le monde en avait chez soi. »
« En 1875 apparaissent les fèves en porcelaine de Saxe. En 1913, celles des ateliers de Limoges. Au début, il s’agissait de poupées, puis de baigneurs puis de bébés emmaillotés, signe de fécondité. Ont suivi des symboles de chance et des animaux. Au début du XXe siècle, un Monsieur Lion lance une fève en forme de lune avec au dos le nom et l’adresse de son commerce. C’est donc la première fève publicitaire. En 1960, les premières fèves en plastique apparaissent. Moins chères, elles prennent le pas sur la porcelaine. Bien sûr, il y a eu des santons, qui permettaient de recréer une crèche. De nos jours, il n’y a plus aucun lien avec la crèche ! »
Des gâteaux variés
« On ne sait pas comment on en est arrivés au gâteau. Mais la coutume du partage est ancienne. La pâtisserie change en fonction de la région et du pays.
Dans les différentes régions de France, la galette prend un autre nom
• Le pithiviers dans le Loiret.
• Le gâteau des rois, le pastis ou la brioche dans le Sud de la France.
• La galette comtoise (galette sèche à base de pâte à chou recouverte de sucre et de beurre, aromatisée à la fleur d’oranger) en Franche-Comté.
• La nourolle en Normandie.
• Le tortell en Catalogne.
• Et dans le reste du monde ?
• En Belgique, la pratique est très répandue (elle porte le nom driekoningentaart en Belgique néerlandophone.
• Le Roscòn en Espagne.
• Le King cake au Sud des Etats-Unis.
• Le Bolo rei au Portugal.
• La Rosca au Mexique.
• La Vassilopita en Grèce.
La galette de « la Liberté » ou de « l’égalité »
« Sous la Révolution française, hors de question d’élire un roi ! Cependant, pas question de ne pas partager de gâteau non plus. Est donc née la ‘galette de la Liberté’ ou ‘de l’égalité’, sans fève ni roi (car tirer les rois ne s’accorde pas avec l’idée de la République). Il existe aujourd’hui une multitude de fèves fantaisie qui font le bonheur de collectionneurs. La collection de ces petits objets se nomme la « fabophilie ».
Source : L’Express & Marie-France