Lorsque des adultes, voire des demi-vieux, forment régulièrement concile pour se faire enfants de chœur, ça débecte.
Lorsqu’à coups de menton, devant les défis historiques que doit relever le pays, ils nous chantent : « le peuple n’est pas assez adulte! », il ne faut avoir ni rire trop facile ni indignation trop bénigne. Il faut seulement se demander quelle loi infantilise également, des plus jeunes aux plus anciennes, toutes les générations d’ici-dans.
Notre peuple est-il plus jeune que tous les autres peuples des Caraïbes, des Amériques, des Afriques, des Asies et des Europes ? Non. Au demeurant, à n’en pas douter, il est parmi les plus vieux colonisés du monde.
Nous, mères et pères qui, à l’instar de nos propres parents, pressons nos enfants de bien apprendre à l’école. C’est pourquoi ? Nous répondons presque tous que c’est pour qu’ils deviennent des adultes responsables, voire indépendants. Pourtant, mêmes ceux d’entre nous censés occuper des fonctions de responsabilité ne cessent de se laisser infantiliser sous les yeux de nos propres enfants.
Qui infantilise ? Toujours les mêmes : les représentants de l’Etat français, et ce, depuis la nuit des temps, cela étant l’essence même de la fonction idéologique du colonialisme, ce par quoi beaucoup l’ont l’identifié. Beaucoup, mais certainement pas assez ou bien avec trop peu de moyens pour faire naître chez le plus grand nombre un fort élan d’émancipation.
Un peuple éternellement immature, c’est un non-sens, ça va contre la nature. Une anomalie en entraînant d’autres, c’est perturbant de se retrouver aînés de ses parents, sans pouvoir grandir à son tour. Ça devient Lilliput… Je n’ai pas dit l’île aux putes.
Étonnons-nous alors que nos enfants quittent le pays pour ne plus y revenir, nous laissant mourir sur place tout comme leur avenir bouché ! Le processus de l’exil des forces vives déclenché volontairement, il y a près de 60 ans, par l’Etat français avec le BUMIDOM, fonctionne maintenant tout seul. Maintenant, c’est nous avec notre peur du lendemain qui contribuons sournoisement à expulser notre jeunesse. Ce qui devrait nous désespérer nous rend fiers. Et nous voici, comme pour donner le change, à nous vanter bien souvent de la « réussite » de quelques rares d’entre eux, ailleurs, loin des yeux. Tanbou olwen toujou ni bèl son.
Nous sommes pareillement emberlificotés dans l’illusion d’un monde sans imprudence. Toutes les omelettes conviennent à notre goût, mais sans casser le moindre œuf. Et puis le pire arrive: avant la plus légère embrassade il faudrait qu’on se stérilise. Les petits ne peuvent plus se risquer à jouer dans la cour des grands, parce que les grands gazouillent comme des nouveaux-nés un galimatias politicien. Il y a là comme de la déloyale concurrence avec les bébés de plus en plus rares. Le monde des enfants affiche complet, il n’y a plus de place pour les vrais. Ils naissent ailleurs, tandis que les mamies restent à jouer les copines et les papys les jeunes premiers.
Où va-t-on comme ça ? Je ne saurais le dire simplement.
Avec le déficit de jeunes qui se creuse sur notre territoire encore et encore, c’est l’espoir d’un avenir qui s’amenuise. Cette détresse démographique nous change d’avenir et nous sommes bien « mélé » pour le changer nous-mêmes, comme il se devrait. À moins de reconsidérer la Guadeloupe elle-même : est-ce Pays qui nous claque entre les mains ou cet autre Pays qui nous manque, dont il faut rassembler les composantes éparpillées ?
Une Guadeloupe à réinventer à partir des Guadeloupéens mêmes, où qu’ils vivent, où qu’ils soient nés, autour d’une forte idée de commune appartenance et d’une belle épopée. Je ne connais aucun peuple dépossédé qui, pour recouvrer ses ressources humaines et spirituelles, ait négligé ses exilés.
Au-delà des considérations exclusivement économiques, la Culture me semble être un élément moteur et réunificateur. La Culture, je veux dire en cela, tout ce qui nous raconte de par le monde, tels que nous étions et sommes devenus…Et tels que nous désirons faire notre part originale dans ce vaste monde
Avant la vie d’adulte c’est l’adolescence, juste après l’enfance; à l’origine, c’est la matrice… Si notre histoire va à reculons, du coup viennent nos gros mots.
Frantz Succab
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