Originaire du delta où naquit le blues, le musicien ne jurait que par Hank Williams et le Grand Ole Opry. Il est mort du Covid-19 dimanche, à l’âge de 86 ans.
— Par Olivier Lamm —
Ce n’est pas un musicien qui lui fit entrevoir «la voie de sortie des champs de coton» du Mississippi, au cœur du delta où naquit le blues, mais Jackie Robinson, pitcher de génie et premier Noir de la Major league de baseball qui ouvrit la voie pour la révolution des droits civiques. Dès le milieu des années 50, Charley Pride, né en 1934 au sein d’une fratrie de onze enfants, fit tout pour percer comme sportif en espérant briser, comme son héros, le plafond de verre blindé qui le séparait du succès. En vain, jusqu’à un jour plus heureux que les autres de 1963 où, alors qu’il partageait ses journées entre les journées à la fonderie de plomb de Helena, Montana, les matchs au sein d’une équipe semi-pro locale et les concerts dans les honkytonks avec son groupe, The Night Hawks, il fut repéré par Red Sovine et Red Foley.
Stentor grésillant et léger vibrato
Les deux néo-cowboys aux costumes impeccables et visages pâles bien identifiés à la télé, le convainquirent de venir tenter sa chance à Nashville, d’ores et déjà l’épicentre de la country grâce à la barn dance radiophonique The Grand Ole Opry, que Charley Pride écoutait religieusement depuis l’enfance. Là, Pride ne mit pas longtemps à emboîter le pas d’un autre fana de l’Opry, Ray Charles, qui avait sorti le révolutionnaire Modern Sounds in Country and Western Music en 1962. Mais Charles le Géorgien était un chanteur de soul ; Pride, lui, pas du tout. Son stentor, magnifiquement grésillant, et son léger vibrato, étaient ceux d’un crooner de cowboy au grand cœur, mélancolique et soft, comme ceux qui récoltaient des standing-ovations au Grand Ole Opry chaque samedi soir.
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En d’autres termes, il chantait comme un Blanc ; aussi ses premiers soutiens à Nashville, Chet Atkins et «Cowboy» Jack Clement, le marketèrent chez RCA, le label d’Elvis, comme un chanteur onctueux et discret pour l’imposer par petites étapes, en cachant littéralement son visage et ses origines dans les textes promotionnels le mentionnant, pendant plus de deux ans. Au mitan des sixties, bien sûr, la country music avait été séparée pour de bon, par l’industrie phonographique américaine, de la «race music» qui résumait pour le public, peu importe qu’elle soit folk, blues ou pure «hillbilly music» des Appalaches, la musique jouée par des Noirs. Aux oreilles des amateurs, les disques de Pride, remplis de standards signés Jim Reeves ou Hank Williams plein de steamboats, de stetsons et de freight trains dont l’Amérique raciste s’était convaincue en dépit de la réalité sous ses yeux qu’ils n’existaient que pour les Blancs, ne pouvaient être ceux d’un Noir.
Une exception et une anomalie
Alors quand il monta sur scène pour son premier grand concert, en 1966, à Detroit, le public retint son souffle, estomaqué, et Charley Pride ne put faire autrement que de plaisanter sur son «bronzage permanent». Sa première apparition sur la scène du Grand Ole Opry, en 1967, grâce au succès phénoménal de sa version de Just Between You and Me qui lui avait valu une nomination aux Grammy Awards de 1966, est un événement méconnu, hors d’Amérique du Nord, de l’histoire des Etats-Unis. Pride était seulement le deuxième musicien noir à monter sur la scène de l’émission, plus de vingt ans après l’harmoniciste DeFord Bailey. Une fois passée l’épreuve – deux chansons jouées fébrilement, dont la sublime bluette de son ami Hank Williams, I Can’t Help It (If I’m Still in Love with You), Charley Pride devint une superstar et l’étendard idéal, prouvant que les institutions de la country n’étaient pas racistes. Comme une triste évidence, il resta jusqu’à la fin de sa carrière, une exception et une anomalie – la seule institution noire d’un genre meurtri d’avoir été confisqué, juste après la naissance, de sa diversité. Charley Pride est mort samedi, à l’âge de 86 ans, des suites de complications liées au Covid-19….
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