— Par Yves-Léopold Monthieux —
L’idée fait son chemin qu’il faille faire un sort à la langue de bois et que l’homme politique doive désigner les choses par leurs noms. Si le vieux monde médiatico-politique tolère encore ce langage et s’accommode de demi-vérités, comme pour laisser à l’homme de pouvoir une porte de sortie, les jeunes sont fermés à cette connivence et n’hésitent pas à le pousser dans ses derniers retranchements. Depuis ce vendredi 4 décembre 2020 où il s’est adressé aux jeunes par un canal bien particulier, Emmanuel Macron fait les frais de cette intransigeance juvénile. Cependant n’était-ce pas finalement le vœu du président de la république de livrer son opinion, en une manière de coming out, par le biais des jeunes ? Car malgré les réactions syndicales, les déclarations que lui ont arrachées ces jeunes seraient sans doute plus mal reçues si elles avaient été proférées dans des circonstances plus ordinaires et moins chaudes. Par ailleurs, si les représentants des policiers ne peuvent pas demeurer sans réactions, c’est aussi leur fonction d’assurer l’interface entre le pouvoir et les policiers, et d’éteindre les feux qui pourraient monter des rangs de ces derniers. En cette circonstance, le refus d’effectuer les contrôles d’identité peut être considéré comme le minimum syndical et, pour le pouvoir, la pilule à avaler pour faire admettre par la maison Police la réalité de ses faiblesses. Dans cette perspective, le constat arraché au président a l’air d’un présupposé à l’élaboration de la réforme souhaitée de la police nationale.
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Ainsi donc, au lendemain de l’intervention télévisée d’Emmanuel Macron, le débat porte sur deux révélations qui n’en sont pas : la violence existe dans la police, le délit de faciès aussi. Les mots pour le dire sont crus et alimentent la controverse, mais l’histoire s’écrit souvent dans l’action comme dans l’évolution des idées par l’apparition de paroxysmes. Il y a des situations qu’il est difficile de formuler, qu’il importe cependant de nommer. Peu importe que la locution « violence policière » ait une connotation politique injuste, elle a déjà gagné le débat sémantique. Reprise aujourd’hui du bout des lèvres par le président de la République, elle fait déjà partie du vocabulaire convenu ; les syndicats de police doivent en tenir compte. Quant au délit de faciès, il exprime deux réalités différentes, qui se confondent parfois. La première, qui doit être combattue, tient au racisme ou la xénophobie qui touchent la société à tous les niveaux de la hiérarchie sociale. Comme la police gère des êtres humains dans un cadre conflictuel et public, ce travers de quelques policiers ne peut qu’y trouver un terrain favorable. Intervenant sur la voie publique, les faits de racisme n’en sont que plus visibles, donc plus insupportables.
L’autre réalité tient à l’opérationnalité de l’action policière ; il s’agit pour les policiers d’être efficace dans la recherche de délinquants souvent signalés. Lorsque les contrôles se font dans des quartiers chauds où les personnes non blanches sont surreprésentées dans la délinquance, on peut comprendre que ces dernières fassent plus souvent l’objet de contrôles. Reste que la juste appréciation se complique du fait que partout et à toutes les époques, les délinquants sont très majoritairement issus des classes pauvres de la société et que les classes pauvres d’aujourd’hui sont majoritairement d’origine africaine ou maghrébine.
Enfin, les conditions particulières et extrêmes dans lesquelles les policiers exercent leurs missions conduisent à renforcer un esprit de corps nourri par le sentiment de citadelle assiégée. En effet, ils s’exposent à des sanctions venant de toutes parts : de la hiérarchie, des juges, du pouvoir politique, de la presse… Last but not least, il faut ajouter la sanction insidieuse de la rue et de l’espace public, en général, qui les conduit à cacher leur métier et parfois à se couper de la société, eux-mêmes et leurs familles. Dès lors, l’esprit de corps n’est plus un banal sentiment corporatiste mais un véritable rempart au « contre tous », dont il n’est pas aisé pour les policiers de se priver. Cela les conduit parfois à ne pas entendre le propos raciste du collègue ou à regarder ailleurs lorsque la bavure se commet. Ainsi donc, dans un entre soi piégeux, les comportements et leurs conséquences tournent en boucle.
Chacun observera que les policiers exerçant en Martinique sont parfaitement intégrés dans la population où ils prennent part aux activités sportives, culturelles et même politiques. Ils ne sont pas suspectés de racisme ou accusés de délit de faciès. Par ailleurs, s’agissant des faits de violence ou autres, la présence permanente d’une cellule de l’IGPN en Martinique devrait inciter au strict respect de la règle.
Fort-de-France, le 7 décembre 2020
Yves-Léopold Monthieux