— Jean-Marie Nol, économiste —
Autonomie ou indépendance, la question du changement politique des institutions de la Martinique et de la Guadeloupe devra nécessairement être tranchée par le peuple en son temps. Mais pour l’instant , nous vivons un étrange moment, à travers la France et l’outre-mer qui doit nous interpeller avec acuité sur une autre problématique plus d’actualité … des gens meurent plus que jamais de maladies vicieuses comme la covid 19 ; d’autres, que rien ne préparait à ces tourments, voient venir le chômage, la pauvreté, la faim, même ; des secteurs économiques stratégiques entiers sont en passe de s’effondrer.
Toute l’économie mondiale est en train de basculer dans la récession, à tel point que Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances déclare : « Ce que nous vivons n’a pas d’autre comparaison que la grande dépression de 1929. » Cette grande crise financière qui a présidé et préparé la deuxième guerre mondiale et qui avait à l’époque fait basculer des millions de gens dans la très grande pauvreté et la soupe populaire.
Après des années très récentes à compter avec parcimonie les millions qu’il fallait économiser ici ou là pour boucler les fins de mois de l’Etat , voici venu le temps des milliards déversés sur l’économie pour limiter la pandémie du coronavirus et minimiser les conséquences néfastes (sur le plan économique et social ) du confinement et de l’actuel couvre feu . A ces milliards annoncés par l’ Etat français s’ajoutent les milliards de la Banque centrale européenne (750 milliards d’euros) . Plus qu’un élément de langage, cette expression « quoi qu’il en coûte » est une formule « anti-panique », destinée à montrer à tous (et notamment aux citoyens de l’outre-mer ) que l’Etat sera là, quoi qu’il arrive et DONC, quoi qu’il en coûte.
« Quoi qu’il en coûte », la formule fait mouche, mais le montant de la facture finale , on ne le connaît pas encore. Qui va payer au final la dette ? Aurait-on trouvé une source d’argent « magique » ?
En apparence, beaucoup est fait pour lutter contre ces désastres : la France a déjà engagé dans cette bataille , en s’endettant outrageusement, 468 milliards d’euros pour combattre la crise sanitaire et soutenir l’économie dont plus de 1milliards d’euros pour la seule Guadeloupe et 1,2 milliards d’euros pour la Martinique (dont les deux tiers pour les PGE) . Il faut l’écrire en toutes lettres de préférence rouge pour en mesurer la portée.
Nous perdons l’illusion d’un monde meilleur. C’est un regard désenchanté sur une civilisation à l’agonie que nous a offert la covid 19. Et pourtant, notre époque semble n’avoir qu’une hâte, enterrer le vieux monde. Celui de la départementalisation.
J’ai dit dans le passé, au grand dam de certains, que, d’une certaine façon, un pays doit, avant tout pour survivre, retrouver le goût du travail et de l’effort et non se perdre dans l’assistanat et dans des considérations politiciennes de changement prématuré des institutions, et ce sans aucune évaluation des moyens financiers de la CTM et de la région Guadeloupe et des autres collectivités,(EPCI, communes) disponibles et à venir. Une des dimensions les plus intéressantes de la politique , est de rappeler que rien n’est irréversible, à condition de trouver les bons leviers et de se donner les moyens d’agir sur eux.
Cette crise est une fantastique opportunité pour nous de nous poser les bonnes questions sur ce que nous recherchons chez nos hommes politiques. A notre sens, ouvrir un débat comme semble vouloir le faire certains élus Martiniquais et Guadeloupéens , sur le changement institutionnel ou statutaire n’est pas pour l’heure la meilleure méthode et encore moins le bon tempo. Et que dire de la manière employée pour aveugler subrepticement le peuple ?
En effet , pour juguler la crise, il y aura dans les temps qui viennent de sacrés chantiers à ouvrir et de belles réflexions à conduire pour nous éviter de sombrer dans l’ornière . C’est en quelque sorte demain le modèle économique et social actuel de la Martinique et de la Guadeloupe qu’il va falloir revisiter en priorité .
Ce n’est qu’à partir d’une vision économique claire que nous pourrons vivre ensemble avec un nouveau modèle économique et social et non pas rêver une vie meilleure avec une solution d’ordre institutionnelle, de surcroît largement surévaluée intellectuellement , quant à la résolution de nos problématiques actuelles de déficit public, de manque d’eau, de gabegie sur le traitement des déchets et des transports .
Et rien ne paraît plus irréversible que la volonté de progrès économique et social dans le contexte de départementalisation déjà mise à mal par la crise : On voit aussi ce que les Martiniquais et guadeloupéens ont à y perdre : moins d’aides financières de la France . Est-on préparé à l’explosion de ces nouvelles dépenses sociales des collectivités locales sans contrepartie aucune d’un Etat probablement déjà très endetté et bientôt demain impecunier ? A-t-on préparé le financement nécessaire pour compenser la fermeture probable de beaucoup des entreprises et son corollaire l’appauvrissement des ménages Antillais ? Les plus privilégiés seront-ils les seuls à avoir les moyens de bénéficier de l’ascenseur social dans une Martinique et une Guadeloupe autonome ou indépendante à l’heure d’une terrible crise qui se profile pour durer des décennies ? Et nos jeunes !… Les préparera-t-on aux métiers de l’avenir, ceux de l’économie du numérique ou encore de l’intelligence artificielle ? Là encore, si cela ne suscite pas de réactions des décideurs politiques et économiques , le dommage sera gigantesque.
Mais en Martinique et Guadeloupe , en particulier, on est loin, d’une prise de conscience de la profondeur de la crise à venir, et de l’urgence de l’action à entreprendre pour empêcher la grande pauvreté de masse .
Pourtant, nos hommes politiques continuent à s’évertuer à nous vendre actuellement l’autonomie comme étant la panacée à tous les maux de notre société Antillaise. Non, Non et Non, redisons le avec force, nous n’avons pas confiance en eux !
Si on continue ainsi à privilégier l’idéologie sur l’économie , on paiera très cher (dans notre vie privée, dans la vie de nos familles, de nos entreprises, de nos villes, de nos futures nations à l’instar de la nouvelle Calédonie ), la lâcheté du clientélisme , l’hypocrisie sur les questions financières et d’endettement de nos territoires ultramarins , l’autosatisfaction sur des problèmes du quotidien des martiniquais et guadeloupéens , pourtant à ce jour non résolus par les élus, l’inanité de nouvelles compétences octroyées sans plus de moyens financiers, mais avec des dépenses sociales forcément supplémentaires , la procrastination sur la question de la dette .
Aujourd’hui, confrontés à une pandémie qui nous consume psychiquement et économiquement, inquiets de la rivalité stratégique des grandes puissances et de la fragmentation politique du monde, résignés face à la dégradation des droits humains et à l’aggravation de la crise humanitaire, nous en venons à regretter le monde d’hier, celui de la stabilité.
Le procès de l’impuissance publique, de l’échec de la politique sécuritaire des différents gouvernements, monte dans l’opinion à mesure que se restreignent nos libertés.
Comme pour prévenir le retour d’un régime autoritaire en France , tout se jouera dans les mois qui viennent…. Le rôle de l’Etat et de son soutien sera crucial pour la Martinique et la Guadeloupe . N’en doutons pas !
On ne peut attendre 2022 pour décider. Chaque jour compte…la présidentielle de 2022 sera le temps du désastre ou du réveil.
« A pa jou chat maché , i kenbé rat. » (Ce n’est pas le jour où le chat se met en chasse qu’il attrape un rat.Tous les jours de chasse ne sont pas des jours de prise ;)… Moralité, il faut laisser du temps au temps pour la prospective économique et l’anticipation politique .
Jean-Marie Nol, économiste