Abhijit V. Banerjee et Esther Duflo proposent un ouvrage d’économie politique pour sortir de la pauvreté.
Économie utile pour des temps difficiles
Abhijit V. Banerjee et Esther Duflo
Seuil, 544 pages, 25 euros
Spécialistes de l’économie du développement, Abhijit Banerjee et Esther Duflo ont ensemble, en 2019, reçu le prix Nobel d’économie. Dans leur nouvel ouvrage, ils quittent leur domaine habituel d’intervention. Estimant la « civilisation menacée », ils abordent les grands enjeux économiques et sociaux contemporains avec l’objectif « de surmonter les divisions irréductibles qui marquent le débat ». Ils commencent par démentir les idées reçues sur l’immigration et s’attristent de ce que « peu de gens semblent réfléchir aux enjeux eux-mêmes ». L’apport d’une main-d’œuvre étrangère accroît le niveau global de l’activité, ce qui fait que l’immigration a, contrairement à ce que l’on croit, un léger effet positif sur l’emploi. De même, le bilan du commerce international, à leurs yeux, contredit partiellement la théorie économique dominante des « avantages comparatifs ».
Restent que ces gains et pertes sont inégalement répartis. Autre thème abordé, celui de la croissance, grandeur macroéconomique qui dissimule d’importantes disparités et dont les mécanismes et leviers demeurent mystérieux. Plutôt que de rechercher à tout prix la croissance, ils suggèrent une meilleure répartition des ressources, surtout dans les pays peu développés, accompagnée de l’amélioration de la qualité de vie dans les pays riches. Le travail de démystification se poursuit sur plusieurs autres questions majeures ayant trait au changement climatique, aux effets du progrès technique, au rôle de l’État, à la politique de redistribution. Le livre s’achève par l’examen des solutions pour sortir de la pauvreté. Ce livre d’économie politique s’adresse à des non-économistes. On suivra volontiers les auteurs dans leur volonté de prouver qu’il n’y a pas « de loi économique d’airain qui empêcherait de rendre le monde plus humain ». On les suivra moins dans la place prééminente accordée à l’apport de la psychologie au détriment des dimensions sociologiques et anthropologiques des situations. Reste que, face aux « économistes aveugles » qui ignorent l’enjeu moral, la « bonne science économique » qu’ils appellent de leurs vœux se limite à la recherche d’une meilleure régulation du capitalisme. Ne faut-il pas une ambition plus grande, ne serait-ce pour « restaurer la confiance dans la parole des économistes » ?
Source : L’Humanité.fr