— Par René Ladouceur —
Chassez les intrigues de la politique, elles reviennent toujours au galop ! Alors que les Guyanais commencent à peine à goûter les plaisirs de «l’allègement des mesures de freinage » engagées contre la propagation de la Covid-19, des rumeurs courent les couloirs du pouvoir et les calculs y vont à la vitesse des ordinateurs. La machine politicienne s’est remise en route à plein tube, à supposer d’ailleurs qu’elle ne se soit jamais arrêtée. La politique est en effet un monde sans repos dans lequel on ne dort toujours que d’un œil.
A dire vrai, le contexte actuel n’est vraiment pas de nature à détendre l’atmosphère. Tant s’en faut. La crise sanitaire a modifié tant de choses que l’on est obligé de prendre en compte l’état du territoire d’aujourd’hui pour faire face à l’infernal calendrier qui l’attend d’ici l’an prochain : élections sénatoriales à la fin du mois de septembre, suite des élections municipales en octobre prochain puis cap sur l’élection à la CTG de mars 2021, avec une campagne ouverte probablement dès le mois de novembre.
Si la Covid-19 ne se réveille pas, c’est donc une furieuse course de haies électorales qui attend les partis politiques et les Guyanais. Bien entendu, dans cet agenda, les ambitions à la CTG dictent toutes les stratégies. Pour espérer peser sur l’échiquier, l’heure, pour toute notre classe politique, est donc venue de rebattre ses cartes. A commencer dans la conduite des affaires d’une Guyane économiquement et socialement cul par-dessus tête, avec un taux de pauvreté désormais de 53%, selon une note de l’INSEE publiée en juillet dernier et passée complètement inaperçue. Pour méconnu qu’il soit, ce chiffre ne nous éclaire pas moins sur le niveau de notre enlisement. La Guyane se retrouve en état d’urgence avec la menace de faillites en masse, de vagues de chômeurs, de dettes galopantes, de déficits vertigineux.
On touche du doigt ici tout l’intérêt du projet de transformation qui manque encore à la Guyane et qui, sous peine d’une déflagration économique et sociale, devra absolument trouver son incarnation en mars 2021.
Le responsable politique qui incarnera ce projet de transformation doit d’abord comprendre qu’être contre la France ne définit pas une politique et que la Guyane a besoin non de partis assujettis mais de partis indépendants, capables de projets audacieux.
Ce responsable politique devra donc appartenir à la génération de dirigeants guyanais pour laquelle l’appartenance à la République française n’est plus une mystique. Il devra surtout s’intéresser à la Guyane avant de se passionner pour l’Hexagone qui, en tout état de cause, ne restera pour lui qu’un instrument et un cadre d’actions. Rien de plus. Il ne va s’en saisir que si cela peut faire avancer la Guyane. Et pour cause. La politique, à ses yeux, n’est jamais qu’un moyen d’allier compétence et espérance, rêve et réel, intransigeance et concertation, porté par l’ambition intellectuelle, le sens de l’Histoire, l’imagination du programme mais aussi l’envie que la Guyane se prenne en charge, décide elle-même de ce qui est bon pour elle, règle elle-même ses propres problèmes, produise elle-même ce dont elle a besoin, notamment pour se nourrir et se loger.
Il faut dire que les Guyanais ne peuvent plus ne pas voir qu’ils sont seuls ; que l’Hexagone n’est plus là pour les défendre ; que le gouvernement français -la gestion locale de la crise sanitaire en fait foi- prend ses décisions sans tenir compte ni de leurs points de vue, ni de leurs intérêts.
Les prochaines élections à la CTG apparaissent comme l’occasion de cette clarification. C’est qu’il y a urgence. Plus qu’une affaire de programme, le projet de société auquel aspire un nombre grandissant de Guyanais repose sur un nouvel état d’esprit, une autre façon de penser la politique, une nouvelle manière d’associer les intelligences et de respecter les différences. Une opportunité de se détacher des postures idéologiques et des réflexes claniques. De rassembler la Guyane en enjambant les clivages.
A charge pour nos responsables politiques d’embrayer sur ce désir d’émancipation. Il leur faut vite comprendre ces attentes et incarner un espoir. Du reste ce défi dépasse, et de loin, l’enjeu du prochain scrutin de la CTG. Il s’agit de répondre par des symboles forts et des progrès visibles au communautarisme, à l’insécurité et à la pauvreté qui s’engouffrent sur le terrain déserté même par les forces politiques traditionnelles.
L’évolution statutaire pour une véritable autonomie de gestion n’est plus une option parmi d’autres. Elle est en train de devenir la condition nécessaire de notre survie sur notre continent.
René Ladouceur