réunie par Edouard Glissant (La Terre, le Feu, l’Eau et les Vents, Paris, Galaade, 2010, 350 p.).
— par Michel Herland —
« L’imaginaire est un champ de fleuves et de replis qui sans cesse bougent », écrit Edouard Glissant dans la préface à cette anthologie poétique d’un nouveau genre. Elle est nouvelle en effet en ce qu’elle ne fixe pas de bornes géographiques ou linguistiques au choix des auteurs (même si les versions originales des textes non francophones sont rarement reproduites) et en ce qu’elle ne suit aucun ordre : ni temporel, ni spatial, ni même thématique. Il y a néanmoins un fil conducteur, labyrinthique ou plutôt – pour mieux coller aux concepts glissantiens – rhizomatique, celui qu’a trouvé Glissant, poète lui-même, à travers le champ immense qu’il nous propose d’explorer à sa suite.
Il y a des embranchements inopinés, des retours vers des auteurs déjà rencontrés, la reprise de thèmes qu’on croyait épuisés. Libre à chacun de suivre le guide dans son cheminement, de parcourir après lui les thèmes qui semblent organiser la succession des poèmes (ou extraits de poèmes) retenus dans l’anthologie : la mort, l’humanité dans sa diversité, l’esclavage et la traite négrière, le dépaysement, la poésie, le paradis terrestre et la chute, les intermittences du cœur, la fusion de l’homme dans l’univers, la succession des âges et des saisons, la négritude, les sans-papiers, etc. Ou de parcourir le recueil à son gré, en s’arrêtant au gré de sa fantaisie pour relire un poème su par cœur ou découvrir un auteur exotique dont on ignorait jusqu’au nom.
Les curiosités contenues dans ce recueil ne sont pas que poétiques, au demeurant. E. Glissant s’est autorisé des incursions dans des genres littéraires divers : le roman (Joyce…), la nouvelle (Faulkner…), l’essai (Elie Faure, Antonin Arthaud…), le témoignage historique (Inca Garcilaso…), etc. En définitive, l’anthologie du Tout-Monde est passionnante au premier chef parce que, n’ayant pas d’autres partis-pris que ceux de son auteur, elle autorise les rencontres les plus inattendues. Avec toutes sortes d’écrivains, 233 exactement qu’il est évidemment impossible de citer tous ! Disons simplement que l’éclectisme de Glissant ne l’empêche pas d’apprécier les plus grands noms de la poésie française, de Louise Labé à Césaire et Perse. Et parmi ces derniers un Mallarmé trop souvent tenu pour démodé. A tort, comme le prouve le vers suivant, aux rares allitérations en o et en i :
Aboli bibelot d’inanité sonore.
Michel Herland.