— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —
La réflexion sur les questions linguistiques s’effectue aujourd’hui en Haïti dans un environnement difficile et fort complexe. Au moment où nous écrivons ces lignes, le pays de Dessalines et de Toussaint Louverture est livré à la fureur mortifère des gangs armés fédérés sous l’œil complice de l’administration Moïse/Joute et avec la bénédiction des « amis d’Haïti » regroupés au sein du Core Group. La criminalisation/gangstérisation du pouvoir d’État, devenue systémique durant la dictature trentenaire des Duvalier, s’est métastasée dans le corps social et se donne désormais à voir à l’aune du délitement des institutions républicaines en dépit de certains acquis démocratiques consignés dans la Constitution de 1987. Ces derniers mois, le Parlement, haut-lieu de marchandages mafieux, a été mis en coma artificiel et n’exerce aucun contre-pouvoir face aux dérives autoritaires d’un pouvoir exécutif néo-duvaliériste kleptocrate –celui du PHTK, le Parti haïtien Tèt kale–, qui s’adonne à une violente répression des manifestations pacifiques partout sur le territoire national. En embuscade à chaque coin de rue, l’insécurité couplée à la corruption d’État gagne du terrain et se généralise, la peur s’installe dans les familles comme au temps des Duvalier, la Police nationale impuissante face aux gangs fédérés est instrumentalisée par le Parti haïtien Tèt kale et joue le rôle de fer de lance de la répression dans les quartiers populaires, tandis que les institutions citoyennes de la société civile poursuivent un âpre combat pour préserver les libertés républicaines. La sous-culture de l’impunité léguée par le duvaliérisme occulte les massacres d’État perpétrés récemment à La Saline, au Bel-Air et ailleurs, et elle couvrira sans doute de sa chape de plomb l’odieux assassinat du bâtonnier de l’Ordre des avocats de Port-au-Prince, Me Monferrier Dorval, le 28 août 2020.
C’est dans un tel contexte d’insécurité, d’impunité et de délitement des fonctions régaliennes de l’État qu’a été signé, le 8 septembre 2020, à l’occasion de la Journée internationale de l’alphabétisation, « un protocole d’accord pour encourager l’État à prendre toutes les dispositions pour rendre disponibles, en créole et en français, les documents civils et les actes officiels » (AlterPresse, 8 septembre 2020). Cet accord d’une durée de deux ans, paraphé conjointement par la Secrétairerie d’État à l’alphabétisation (SEA) et l’Académie du créole haïtien (AKA), « a pour ambition de réunir la SEA et l’AKA, à travers une commission spéciale et permanente [sic], devant permettre aux deux institutions de collaborer dans les opportunités [sic], liées à l’avancement de l’alphabétisation et du créole, souligne le vice-président de l’AKA, Michel Frantz Grandoit » (AlterPresse, ibidem). Faut-il s’en réjouir ? Cet accord s’inscrit-il dans un processus d’aménagement linguistique garant de l’application des droits linguistiques de tous les locuteurs haïtiens, unilingues et bilingues ? Ou bien s’agit-il d’un nouvel accord cosmétique et démagogique dont l’échec est à l’avance programmé ?
Confusion et fausse représentation quant aux mandats spécifiques de la Secrétairerie d’État à l’alphabétisation et de l’Académie du créole haïtien
Sous réserve d’une analyse détaillée du texte de ce protocole d’accord signé le 8 septembre 2020, l’on peut déjà s’interroger sur ses objectifs tels que révélés lors de l’annonce publique de sa signature par les responsables de la Secrétairerie d’État à l’alphabétisation et de l’Académie du créole haïtien. En amont il faut noter une étonnante contradiction dans les termes mêmes de présentation du projet puisque l’accord, « établi sur une durée de deux ans », prévoit la création d’« une commission spéciale et permanente ». L’on se propose donc d’atteindre des objectifs… « sur une durée de deux ans » en établissant une « commission spéciale » qui, elle, sera « permanente »…
À bien prendre toute la mesure du lourd déficit de vision de l’État haïtien en ce qui a trait à l’aménagement linguistique, les objectifs annoncés de l’accord du 8 septembre 2020 accréditent une nouvelle confusion quant aux mandats respectifs des parties signataires, ce qui illustre encore une fois que –en matière d’aménagement du créole–, l’actuel exécutif Tèt kale intervient sur un mode erratique, aléatoire, sans plan de travail sur le long terme et sans établir les mécanismes d’application et de contrôle d’une intervention d’État. Pire : la Secrétairerie d’État à l’alphabétisation et l’Académie du créole haïtien, il faut fortement le souligner, n’ont aucun mandat spécifique relatif à l’aménagement du français, l’une de nos deux langues officielles. Le mandat de ces deux structures ne cible que le créole mais sur des registres différents. Selon sa charte constitutive, la Secrétairerie d’État à l’alphabétisation, depuis sa création en 1994, n’a qu’un seul mandat, celui de mener des campagnes nationales en vue d’éradiquer l’analphabétisme qui touche selon des sources concordantes environ 60% des Haïtiens. La plupart des observateurs qui ont dressé des bilans d’étape de la Secrétairerie d’État à l’alphabétisation ont conclu qu’elle n’est parvenue à alphabétiser, de 1994 à 2020, qu’un nombre dérisoire de locuteurs du créole. Le bilan est maigre et interroge, comme l’a analysé le linguiste Renauld Govain auteur de l’article « Dix nouvelles années d’alphabétisation en Haïti : quel bilan tirer ? » paru le 9 septembre 2005 dans Le Nouvelliste. Bien au fait de l’échec des trente dernières années en alphabétisation, il expose sans complaisance que les « campagnes d’alphabétisation constituent une machine à fabriquer des illettrés », en particulier lorsqu’elles sont dévoyées par un pouvoir d’État populiste et démagogique. Sous-financée, largement dépourvue de personnel professionnel qualifié, en panne de vision et minorée par l’État, la Secrétairerie d’État à l’alphabétisation peine à exister et a du mal à dépasser l’horizon d’une inopérante propagande politique.
Pour sa part, l’Académie créole, mise sur pied de manière prématurée en 2014 en dehors d’une politique linguistique d’État, peine elle aussi à exister ; elle se plaint publiquement d’avoir été « abandonnée » par l’État et, à l’échelle du pays tout entier, n’a aucun impact mesurable et connu en ce qui a trait à l’aménagement du créole (voir notre article « Maigre bilan de l’Académie du créole haïtien (2014-2019) : les leçons d’une dérive prévisible », Le National, 5 avril 2019). En ce qui concerne l’aménagement du français, l’Académie créole, comme c’est le cas pour la Secrétairerie d’État à l’alphabétisation, ne dispose d’aucun mandat ciblant cette langue et l’accord du 8 septembre 2020, sur ce point précis, s’avère être une usurpation de mission. Ainsi, prétendre, de manière fallacieuse, que l’Académie créole devra « encourager l’État à prendre toutes les dispositions pour rendre disponibles, en créole et en français, les documents civils et les actes officiels » est une usurpation de mission sinon une mystification puisque –à l’exception de la « Loi portant création de l’Académie du créole haïtien » datée du 7 avril 2014 et votée uniquement en créole–, toutes les lois, tous les documents de l’État sont produits en français seulement depuis 1804. Cet état de fait n’a pas changé avec la Constitution de 1987 qui, en son article 5, accorde le statut de langues officielles au créole et au français. Il y a également lieu de rappeler que l’Académie créole est une micro-structure de nature déclarative et non pas exécutive comme l’est la Secrétairerie d’État à l’alphabétisation. Selon la « Loi portant création de l’Académie du créole haïtien » du 7 avril 2014, l’AKA doit « soumettre des propositions », émettre des « recommandations », des souhaits sinon des vœux, tel qu’illustré au « Titre II » / Article 11 – « Mission de l’Académie créole » : « e) Faire en sorte que les institutions de l’État appliquent la Constitution en publiant tous les documents officiels dans la langue créole ; » et elle doit aussi « f) Soumettre des propositions quant aux façons d’utiliser la langue créole dans les communications publiques au pays ». Le lecteur attentif aura noté les restrictions contenues dans les termes utilisés dans la Loi du 7 avril 2014 : « faire en sorte que », « Fè pwopozisyon », « soumettre des propositions », ce qui limite l’action de l’AKA à la sphère déclarative. Ce même article 11-e du « Titre II » est d’ailleurs en contravention avec l’article 5 de la Constitution de 1987 qui consigne la co-officialité du français et du créole. De manière tout aussi essentielle, compte-tenu de sa nature déclarative et selon les termes mêmes de la Loi du 7 avril 2014, à aucun moment l’Académie créole ne peut contraindre l’État à agir en matière d’aménagement du créole : elle n’a aucun pouvoir légal contraignant. L’enfermement de l’Académie créole dans la sphère des recommandations, des souhaits et des déclarations sans portée légale obligatoire et contraignante est renforcé par le choix de certains termes, parfois imprécis, parfois vagues, dans la Loi du 7 avril 2014 (« Ankouraje », « Travay epi siveye », « Travay pou enstitisyon leta yo », etc). Micro-structure de nature déclarative et non pas exécutive, l’Académie créole, de 2014 à 2020, n’est pas parvenue à faire rédiger et adopter une seule loi en créole, son action se limitant à des interventions ponctuelles de promotion de la langue créole sans effets durables dans les institutions de l’État, dans celles de la société civile et dans le système éducatif national.
Trente-trois ans après l’adoption de la Constitution de 1987, aucun énoncé de politique linguistique d’État, aucune loi d’application n’a permis la mise en œuvre mesurable de l’article 40 de cette charte fondamentale. Cet article, il faut bien le rappeler, stipule qu’« Obligation est faite à l’État de donner publicité par voie de presse parlée, écrite et télévisée, en langues créole et française aux lois, arrêtés, décrets, accords internationaux, traités, conventions, à tout ce qui touche la vie nationale, exception faite pour les informations relevant de la sécurité nationale. » L’article 40 de notre charte fondamentale pose donc une explicite obligation d’État, celle de produire et de diffuser tous les documents officiels de l’État en créole et en français. La stricte mise en œuvre de l’article 40 de la Constitution de 1987 exclut donc d’emblée tout accord, tout projet, toute directive qui se situerait en-deçà d’une telle obligation ; elle exclut également toute initiative pouvant enfermer le créole dans la seule sphère des recommandations, des souhaits, du récitatif cyclique des bonnes intentions et des déclarations sans portée obligatoire et contraignante. On retiendra dès lors que l’accord du 8 septembre 2020 entre l’Académie créole et la Secrétairerie d’État à l’alphabétisation s’annonce déjà inopérant quant aux objectifs annoncés et il est un nouvel exemple d’initiative erratique et aléatoire sans lien avec une loi d’aménagement simultané de nos deux langues officielles. En l’espèce, l’initiative du 8 septembre 2020 reproduit l’aphone valse des ententes bidon des dernières années, comme on l’a vu lors d’un accord passé en 2015 entre l’Académie créole et le ministère de l’Éducation nationale et qui visait le secteur éducatif.
En effet, le « Pwotokòl akò ant ministè Edikasyon nasyonal ak fòmasyon pwofesyonèl (Menfp) ak Akademi kreyòl ayisyen (Aka) » du 8 juillet 2015 énonçait ainsi ses objectifs : « Atik 1. Dokiman sa ase yon pwotokòl akò ki angaje ministè Edikasyon nasyonal ak fòmasyon pwofesyonèl (MENFP) ak Akademi kreyòl ayisyen an (AKA) sou fason pou yo kalobore pou pèmèt lang kreyòl la sèvi nan tout nivo anndan sistèm edikatif ayisyen an ak nan administrasyon MENFP. » Et dans les « Considérations générales » de cet accord, il est précisé que « Misyon MENFP ak misyon AKA kwaze sou kesyon politik lang nan peyi a, espesyalman nan sistèm edikatif ayisyen an kote tout aktè yo dwe respekte dwa lengwistik elèv ayisyen yo. » En clair, il s’agissait de « permettre » l’utilisation de la langue créole à tous les niveaux du système éducatif et dans l’administration du ministère de l’Éducation –et non pas de rendre son usage obligatoire et d’encadrer juridiquement pareil usage. La mesure annoncée n’étant nullement contraignante ni mesurable, aucun règlement d’application n’a précisé les mécanismes de sa mise en œuvre. En bout de piste, cinq ans après sa signature, aucun texte public portant la signature des deux parties n’a fourni un quelconque bilan d’une présumée mise en œuvre de l’accord du 8 juillet 2015. Un accord mort-né, comme du reste nous l’avions analysé dans notre article daté du 15 juillet 2015, « Accord du 8 juillet 2015 – Du défaut originel de vision à l’Académie du créole haïtien et au ministère de l’Éducation nationale ».
Sans lien explicite avec l’accord du 8 juillet 2015, le ministère de l’Éducation nationale a par la suite conçu le « Plan décennal d’éducation et de formation 2018 – 2028 ». L’orientation générale de ce nouveau plan est ainsi formulée : « (…) au cours des dix années du plan décennal (2018-2028), de nombreuses actions seront entreprises pour (…) notamment « Renforcer le statut du créole en tant que langue d’enseignement et langue enseignée dans le processus enseignement/apprentissage à tous les niveaux du système éducatif haïtien » (« Plan décennal…» p. 28). Dans un article paru en Haïti, nous avons analysé les lourdes lacunes de ce nouveau plan, notamment le fait qu’il n’a pas été conçu selon les termes d’une politique linguistique éducative nationale et que le volet spécifiquement linguistique de ce plan est disséminé à travers plusieurs chapitres et de manière incohérente (voir notre texte « Un « Plan décennal d’éducation et de formation 2018 – 2028 » en Haïti dénué d’une véritable politique linguistique éducative » (Le National, 31 octobre 2018). Au jour d’aujourd’hui, l’on ne sait pas si ce « Plan décennal » est entré officiellement en vigueur, s’il coexiste avec des reliquats de la réforme Bernard de 1979 et encore moins quel est le facteur de cohérence entre ce « Plan décennal », l’accord du 8 juillet 2015 et celui du 8 septembre 2020.
Droits linguistiques et État de droit : de la nécessité d’une Secrétairerie d’État aux droits linguistiques en Haïti
En dépit des conditions actuelles en Haïti, il est nécessaire de poursuivre une réflexion rassembleuse sur l’aménagement simultané du français et du créole et de dégager, pour le moyen terme, des perspectives réalistes, cohérentes et conformes à la Constitution de 1987. L’une des leçons qu’il faut tirer des initiatives erratiques et cosmétiques du pouvoir Tèt kale ces dernières années, dans le champ linguistique et dans le domaine éducatif, est que l’empilement cyclique ou saisonnier de dispositifs annoncés publiquement –notamment l’annonce du « Plan décennal d’éducation et de formation 2018 – 2028 », celle des accords du 8 juillet 2015 et du 8 septembre 2020–, ne peut en aucun cas se substituer à une politique linguistique d’État ni à une loi d’aménagement simultané de nos deux langues officielles. Également, la simple promotion du créole, épisodique ou quasi liturgique, sans vision linguistique d’ensemble et sans enracinement institutionnel durable, ne saurait constituer un programme garantissant la mise en œuvre de son aménagement dans l’espace public, dans le système éducatif national et dans l’Administration publique. De ce constat objectif découle un second : il est irréaliste et anti-constitutionnel de poser que l’aménagement linguistique en Haïti ne concerne qu’une seule de nos deux langues officielles, le créole, à l’exclusion du français réclamée par une toute petite minorité de « créolistes » fondamentalistes (voir nos articles « Faut-il exclure le français de l’aménagement linguistique en Haïti ? », Le National, 20 et 31 août 2017 ; et « Le monolinguisme créole est-il une utopie ? », Le National, 31 juillet 2017).
D’autre part, il faut aussi bien comprendre qu’il est illusoire de confier à des instances structurellement faibles, limitées quant à leur vision linguistique, largement minorées par le pouvoir exécutif, sous-financées et dépourvues d’enracinement à l’échelle nationale, (la Secrétairerie d’État à l’alphabétisation et l’AKA), la conduite d’actions qui ne relèvent pas de leurs mandats respectifs et auxquelles l’on voudrait confier la mission d’« encourager l’État à prendre toutes les dispositions pour rendre disponibles, en créole et en français, les documents civils et les actes officiels ». Alors même que la production et la diffusion en créole de tous les documents de l’État sont une obligation constitutionnelle, il est illusoire de croire et de faire croire que l’on peut aménager l’une de nos deux langues officielles, le créole, à coups de « recommandations » sans lendemain, de « souhaits » et de « vœux » en dehors de tout cadre légal, de mécanismes de contrôle et de mesure d’efficience conformes à la Constitution de 1987. Ces illusions, qui s’apparient à une vision uniquement idéologique et propagandiste de la situation linguistique d’Haïti, contribuent à alimenter la fausse idée que l’aménagement linguistique est affaire de slogans ou de liturgie commémorative qui en évacuent sa dimension politique et déresponsabilisent l’État.
À contre-courant de ces illusions, l’enjeu est précisément d’instituer l’aménagement linguistique, trente-trois ans après l’adoption de la Constitution de 1987, dans le cadre de l’établissement en Haïti d’un État de droit : un aménagement cohérent, méthodique, devant garantir l’effectivité des droits linguistiques de tous les locuteurs haïtiens et porté par un énoncé de politique linguistique d’État à partir duquel sera élaborée et votée la première loi d’aménagement de nos deux langues officielles. Centrale, rigoureuse et documentée dans plusieurs de nos publications, cette vision de l’aménagement linguistique que nous proposons en partage est conforme à la Déclaration universelle des droits linguistiques de 1996 votée à Barcelone ; elle est étayée dans les livres et dans les articles que nous avons publiés depuis 2011 (voir entre autres « L’aménagement linguistique en Haïti : enjeux, défis et propositions », par Robert Berrouët-Oriol et al., Cidihca et Éditions de l’Université d’État d’Haïti, 2011 ; voir aussi le « Plaidoyer pour les droits linguistiques en Haïti / Pledwaye pou dwa lengwistik ann Ayiti », par Robert Berrouët-Oriol, Cidihca et Éditions Zémès, 2018); voir également notre article « Droits linguistiques et droits humains fondamentaux en Haïti : une même perspective historique » (Le National, 11 octobre 2017).
L’une des idées-phare consignée dans l’une et l’autre de nos publications est que l’aménagement linguistique en Haïti, en tant qu’entreprise politique d’État, doit être conduite par une future Secrétairerie d’État aux droits linguistiques chargée de la mise en œuvre de la politique linguistique nationale ciblant nos deux langues officielles. Portée par la société civile organisée et par un prochain Exécutif non soumis au diktat kleptocratique du PHTK, et dont la légitimité aura été forgée de manière consensuelle puis votée par un Parlement renouvelé et non mafieux, cette Secrétairerie d’État aux droits linguistiques sera l’instance exécutive centralisant toutes les interventions de l’État en matière linguistique.
Les fondements constitutionnels de la Secrétairerie d’État aux droits linguistiques sont consignés dans les articles 5 et 40 de la Constitution de 1987. En conformité avec les articles 5 et 40 de notre charte fondamentale, la future Secrétairerie d’État aux droits linguistiques, instance qui sera dotée d’un réel pouvoir exécutif et réglementaire d’aménagement des deux langues officielles du pays, devra disposer d’un mandat explicite et sa mission consistera à mettre en oeuvre et à garantir l’effectivité de la première politique linguistique de l’État haïtien et de la première législation linguistique contraignante qui sera adoptée par le Parlement.
Interlocuteur exclusif de toutes les institutions du pays dans son champ de compétence, la Secrétairerie d’État aux droits linguistiques aura la responsabilité de la coordination interinstitutionnelle, de la concertation, de la promotion et de la mise en oeuvre de la politique linguistique de l’État haïtien. Responsable de la cohérence de toutes les interventions gouvernementales en matière linguistique, elle devra également conseiller l’Exécutif sur toute question relative à la politique linguistique de l’État.
Travailler à mettre sur pied la future Secrétairerie d’État aux droits linguistiques revient dès maintenant à instituer une dynamique rassembleuse qui, entre autres, permettra à la société civile organisée de contribuer à
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formuler les orientations générales de la politique d’aménagement linguistique de la République d’Haïti dans l’Administration publique et dans le système éducatif ;
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définir le cadre législatif de l’aménagement des deux langues officielles du pays et circonscrire le cadre institutionnel de l’aménagement linguistique en Haïti.
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cibler et définir les droits linguistiques de tous les Haïtiens ainsi que les obligations de l’État en matière de droits linguistiques, notamment en ce qui a trait au droit à la langue maternelle créole et à son emploi obligatoire et juridiquement encadré dans le système éducatif national.
La Secrétairerie d’État aux droits linguistiques aura également pour mission d’élaborer le dispositif juridique et méthodologique du vaste chantier de traduction en créole de toutes les lois du pays et de fournir à l’Administration publique le cadre méthodologique de rédaction en créole des documents de l’État. Elle devra pour cela faire appel aux ressources expertes de plusieurs institutions nationales, notamment celles de la Faculté de droit et de la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti.
La création de la Secrétairerie d’État aux droits linguistiques en Haïti permettra également de remettre l’État au centre du dispositif constitutionnel d’aménagement linguistique, de rompre avec la tradition des interventions erratiques, cosmétiques et sans lendemain, et de proposer une claire vision de l’aménagement simultané des deux langues de notre patrimoine linguistique national, le créole et le français.
Montréal, le 15 septembre 2020