Début des Massacres dans le Constantinois le 20 août 1955
Les massacres d’août 1955 dans le Constantinois, dits également massacres de Philippeville et d’Hel Halia ou insurrection du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois, sont des tueries perpétrées par les indépendantistes du FLN puis, en représailles, par l’armée française et des civils pieds-noirs armés, qui ont touché toute la région du Constantinois.
Ces massacres étaient perpétrés d’un côté contre les populations civiles d’origine européenne, et musulmanes loyalistes, ainsi que contre des notables musulmans modérés signataires d’un appel condamnant « toute violence d’où qu’elle vienne ». De l’autre côté, les tueries commises contre la population musulmane étaient aveugles et ne faisaient aucune distinction : des modérés furent ainsi victimes de la répression. L’indignation suscitée par ces massacres de civils a attiré l’attention de l’opinion internationale sur le combat algérien pour l’indépendance ; c’était justement l’un des buts poursuivis par le FLN, qui voulait par ailleurs semer la peur dans les rangs de l’ennemi, des colons et de leurs auxiliaires musulmans.
Contexte
Les massacres ont éclaté à l’initiative de Youcef Zighoud, responsable du Nord-Constantinois du FLN dans le but de relancer un mouvement qui s’essouffle et de contrecarrer les avances faites par Jacques Soustelle, délégué général du gouvernement français en Algérie. Il s’agissait, selon le témoignage de Lakhdar Bentobal, ancien adjoint de Youcef Zighoud, recueilli par Yves Courrière, de prévenir le découragement du peuple en creusant un infranchissable fossé de sang entre les Algériens et les Français par des massacres aveugles.
Déroulement
Le 20 août 1955, dans la zone Collo-Philippeville-Constantine-Guelma, plusieurs milliers d’hommes armés d’armes blanches encadrés par des moudjahidin équipés d’armes à feu se lancent à l’assaut d’une quarantaine de villes et villages et assassinent à coup de haches et de pioches les Français et les musulmans supposés complices.
À la mine de pyrite d’El Halia (ou Hel Halia) située à 15 km à l’est de Philippeville (actuelle Skikda), 140 personnes (hommes, femmes et enfants) dont 70 des 130 Européens et environ 70 musulmans sont massacrés, parfois dans d’horribles souffrances. Des enfants, certains de moins de 3 ans sont égorgés, ou fracassés contre les murs, les femmes sont violées. Dans le reste du Constantinois, une trentaine de personnes et plusieurs personnalités sont assassinées.
À Collo 4 membres des forces de l’ordre, 6 Européens et 12 insurgés sont tués.
À Aïn Abid, 9 Européens sont assassinés à coup de hache, dont un bébé de cinq jours tué sous les yeux de sa mère et replacé dans les entrailles de celle-ci après avoir été éventrée.
À Saint-Charles, 13 Européens dont 3 enfants sont assassinés.
Dans la ville de Philippeville, les quartiers sont envahis par des milliers de manifestants encadrés par quelques dizaines de combattants du FLN aux cris de « Djihad djihad » et « Allahou akbar ». L’assaut est néanmoins stoppé par les forces de l’ordre en quelques heures. Les assaillants laissent sur le terrain 134 morts et la police procède à plus de 700 arrestations. Quatorze membres des forces de l’ordre sont tués, 8 civils européens sont tués et 11 blessés.
À Constantine, huit commandos d’une dizaine d’hommes s’attaquent à des musulmans alliés des Français. Le neveu de Ferhat Abbas ainsi qu’un avocat élu de l’assemblée algérienne sont exécutés. Une bombe explose dans un bar du quartier juif.
Quelques centaines de soldats de l’ALN s’attaquent également sans grand succès à des gendarmeries et des postes de police.
Averti de longue date de l’imminence d’un passage à l’action par le FLN mais s’étant abstenu d’agir, le responsable des renseignements, Paul Aussaresses, alors capitaine, aurait délibérément laissé faire en dehors de la ville, mais pas au centre-ville, où des accrochages ont lieu entre des insurgés infiltrés et des CRS, ne faisant qu’un ou cinq morts selon les sources.
Des localités comme Guelma ou Mila ne se soulèvent que plusieurs jours après.
Au cours des 20 et 21 août, se sont finalement 47 attaques qui sont signalées aux autorités.
La réponse des autorités françaises était comparable à celle de 1945 lors du massacre de Sétif, Guelma et Kherrata et une application concrète du principe de responsabilité collective. Selon Bernard Droz, de même qu’en 1945, des milices de colons ont été formées, à la suite de l’ordre du préfet de Philippeville, par Benquet-Crevaux, qui a tenu plusieurs discours incitant au meurtre et à la vengeance. Au contraire, Sylvie Thénault indique qu’il n’y eut pas de levée de milices, et Guy Pervillé évoque « les vengeances de civils armés ». À partir du 23 août, une totale liberté d’action pour réprimer ainsi qu’un ordre de conduire les opérations avec rigueur furent donnés à l’armée par le général Lorillot, commandant militaire de l’ensemble de l’Algérie.
Par exemple, après les funérailles des victimes, le maire de Philippeville, Benquet-Crevaux, organise une levée d’urgence pour la constitution de milices armées tandis que des unités spéciales formées principalement de parachutistes et de légionnaires investissent le centre-ville. L’armée bombarde tous les douars des environs, plus particulièrement le hameau du Béni Malek. Des milices et des militaires désorientés par la tournure des événements et surtout par la violence des miliciens du maire abattent à vue tout individu suspect pendant huit journées consécutives. Quelques jours après, le croiseur Montcalm arriva au port de la ville et commença à pilonner les hameaux situés le long de la bande côtière entre Philippeville et Collo.
Des milliers de prisonniers formés d’hommes âgés de 14 à 70 ans sont capturés et emmenés au stade municipal de la ville qui fut transformé en véritable camp pour interrogatoire. Malgré les efforts de Dupuch, préfet de Constantine, pour leur éviter une mort certaine13, ces prisonniers ont été massacrés à la mitrailleuse, et enterrés dans une fosse commune.
Selon un soldat français présent : « Toutes les mitraillettes et les mitrailleuses étaient alignées devant la foule de prisonniers qui se mirent immédiatement à hurler. Mais nous avons ouvert le feu ; dix minutes plus tard, c’était pratiquement fini. Il y en avait tellement qu’il a fallu les enterrer au bulldozer. »
Le militant anticolonialiste Daniel Guérin estimait le nombre des victimes algériennes dans la ville de Skikda à 2 000.
Des villages entiers comme El Harrouch ou Oued Zenati furent désertés par leurs habitants masculins. Dans la mechta de Zafzaf, les Algériens qui étaient rencontrés dans les rues ou les cafés par les militaires français furent tués, les hameaux brûlés et le bétail massacré. Un rapport militaire mentionnait le chiffre de 750 morts pour le seul secteur d’El Harrouch.
À El-Khroub, un des officiers français raconte : « Soixante suspects ont été arrêtés la nuit suivant les attaques repoussées sur El Khroub. Ils ont été exécutés le lendemain entre 6h 30 et 9h 30. L’endroit où ils ont été enterrés a été nivelé par un bulldozer. ».
Un rapport officiel des autorités françaises de l’époque avance 1 273 Algériens victimes de la répression, alors que le FLN recensa 12 000 morts et disparus. Un ancien du FLN, M’hamed Yousfi, va jusqu’à estimer le nombre de victimes à près de 20 000, autant de chiffres qui ne sont pas repris dans les recherches récentes.
Conséquences
Bilan humain
Les sources divergent quant au nombre des victimes. Ainsi, Claire Mauss-Copeaux affirme que lors des affrontements 26 militaires ont été tués, et que 96 civils dont 71 Européens ont été massacrés. Elle avance en 2011 que si l’on se fie aux estimations officieuses de militaires français, 7 500 Algériens auraient été tués entre le 20 et le 25 août. Estimation qui ne tient compte toutefois que des hommes tués au cours des affrontements et des ratissages. Selon l’historienne : « Il ne faut pas oublier les autres victimes, massacrées par les milices ou tuées après le 25 août »27. Néanmoins, ces conclusions ont été critiquées par Guy Pervillé qui souligne que l’auteure « s’est contentée d’une enquête incomplète et a pris le risque de généraliser imprudemment ses conclusions […] ». Dans un compte-rendu détaillé du livre de Claire Mauss-Copeaux Algérie, 20 août 1955. Insurrection, répression, massacres, il reproche à celle-ci de s’être faite l’« avocate d’une cause, en sélectionnant parmi les faits ceux qui allaient dans le sens de ce qu’elle voulait démontrer ».
Dans un article paru dans La Nouvelle Revue d’histoire, Roger Vétillard estime que le total des morts atteint 119 Européens, une cinquantaine dans les forces de l’ordre et au moins 42 musulmans et que les victimes du côté des insurgés sont entre trois et cinq mille morts.
Conséquences politiques
Jacques Soustelle, délégué général du gouvernement français en Algérie, se rend à El Halia. Plus tard, il écrit :
« Les cadavres jonchaient encore les rues. Des terroristes arrêtés, hébétés, demeuraient accroupis sous la garde des soldats…. Alignés sur les lits, dans des appartements dévastés, les morts, égorgés et mutilés (dont une fillette de quatre jours) offraient le spectacle de leurs plaies affreuses. Le sang avait giclé partout, maculant ces humbles intérieurs, les photos pendues aux murs, les meubles provinciaux, toutes les pauvres richesses de ces colons sans fortune. À l’hôpital de Constantine des femmes, des garçonnets, des fillettes de quelques années gémissaient dans leur fièvre et leur cauchemars, des doigts sectionnés, la gorge à moitié tranchée. Et la gaieté claire du soleil d’août planant avec indifférence sur toutes ces horreurs les rendait encore plus cruelles. »
Sur le plan politique, il en conclut qu’il n’est pas possible de discuter avec l’ALN, qualifiée de « terroriste ». Le gouvernement d’Edgar Faure riposte en décidant le rappel du contingent libéré ainsi que le rappel du premier contingent de 1954. La répression par l’armée française, disproportionnée, fait plusieurs milliers de victimes. Le FLN a atteint son objectif sur le plan psychologique. Les forces politiques et militaires, de même que les civils européens, sont tombés dans le piège de la répression. La violence conjointe du FLN et de l’armée française, plus particulièrement lors de sa répression aveugle et disproportionnée, ne fit qu’élargir le fossé entre le gouvernement colonial et les musulmans d’Algérie, ainsi qu’entre les pieds-noirs et les musulmans.
La peur saisit une partie des Européens d’Algérie et on assiste à la première vague de départs vers la métropole.
Conséquence militaire
Les massacres du Constantinois ont entraîné la création d’une formation de réservistes originaires des départements d’Algérie, les unités territoriales.
Discours de Constantine du président Nicolas Sarkozy
Le 5 octobre 2007, le président de la République française Nicolas Sarkozy déclare, à l’occasion du discours de Constantine, au sujet de ces massacres :
« Les pierres de Constantine se souviennent encore de cette journée terrible du 20 août 1955 où chacun fit ici couler le sang pour la cause qui lui semblait la plus juste et la plus légitime. […] Le déferlement de violence, le déchaînement de haine qui, ce jour-là, submergea Constantine et toute sa région et tua tant d’innocents étaient le produit de l’injustice que depuis plus de cent ans le système colonial avait infligée au peuple algérien. L’injustice attise toujours la violence et la haine. Beaucoup de ceux qui étaient venus s’installer en Algérie, je veux vous le dire, étaient de bonne volonté et de bonne foi. Ils étaient venus pour travailler et pour construire, sans l’intention d’asservir, ni d’exploiter personne. Mais le système colonial était injuste par nature et le système colonial ne pouvait être vécu autrement que comme une entreprise d’asservissement et d’exploitation. »
Source : Wikipedia