Tribune Son crime est d’avoir composé une chanson où il dénonce les exactions de la police. Je ne défends pas un rappeur qui insulte la police, je défends mon pays.
Par Hind MEDDEB et Cosignataires : Djel de la Fonky family Ekoué de La Rumeur Imhotep de IAM Mouloud Mansouri directeur de l’association Fu-Jo qui organise des concerts de rap en prison Raashan Ahmed rappeur américain de Oakland, Medine, Yasmine Hamdan, Oxmo Puccino et Joey Starr
Weld El 15 a 25 ans ; il risque aujourd’hui même deux ans de prison. Son crime est d’avoir composé une chanson où il dénonce les exactions de la police : plus de deux ans après la chute de Ben Ali, la police continue de réprimer les manifestations, d’insulter et de tabasser ceux qui tombent dans ses filets.
Depuis sa diffusion sur YouTube, son clip Boulicia Kleb («Les flics sont des chiens») a dépassé le million de vues. Alaa Eddine Yacoubi, alias Weld El 15, est désormais le porte-voix d’une jeunesse qui réclame plus de liberté dans une Tunisie où les promesses révolutionnaires s’éloignent. La rage qu’il exprime remonte à son arrestation pour consommation de cannabis le 21 février 2012. Weld El 15 passe neuf mois en cellule pour un joint. A sa libération, il tourne le clip de Boulicia Kleb, chanson qu’il a composée en prison et qui raconte les circonstances de son arrestation.
La vidéo est mise en ligne le 3 mars sur YouTube. Très vite, sur sa propre page Facebook, la police publie des menaces de mort à l’encontre du rappeur. Le 21 mars, le tribunal de première instance de Ben Arous condamne Weld El 15 et les rappeurs auxquels le clip est dédicacé à deux ans de prison ferme. La police débarque dans sa famille. Par chance, il n’y est pas. Pour éviter les mauvaises surprises, Alaa Eddine ne répond pas à la convocation. Il est en cavale depuis trois mois, mais aujourd’hui, il a décidé de se présenter au tribunal pour son procès. Weld El 15 assume ses paroles et ses actes. Il ne veut pas se dérober devant la justice. S’il est en cavale depuis trois mois, c’est pour échapper à la violence policière.
Si la justice le condamne aujourd’hui, ce sera une nouvelle défaite pour la liberté d’expression en Tunisie. Dans sa chanson, Weld El 15 n’appelle pas au meurtre. Il raconte son histoire. «Je rêve d’égorger un policier comme on égorge un agneau le jour de l’aïd.» Mais il ne dit pas «Tuez des policiers» ; criant sa fureur, il met en pratique ce que dit Aristote : la chanson Boulicia Kleb constitue une forme de catharsis. Plutôt que de passer à l’acte, Alaa Eddine hurle sa rage ; il offre ainsi une revanche aux jeunes victimes de violences policières. Si la justice le condamne, alors elle doit interdire les films de gangsters pour incitation à la violence. Le président Moncef Marzouki et la coalition au pouvoir (les partis Ennahda, Ettakatol et le CPR) sont inquiets. Le rap tunisien envoie chaque jour à la jeunesse des quartiers populaires des messages ciblés. Une nouvelle révolution serait-elle en marche ? Ceux qui gouvernent ont-ils peur de perdre le pouvoir qu’ils viennent de conquérir par les urnes ?
Weld El 15 est le symbole de cette résistance à la répression policière. Certes, il est loin d’être le seul. Les rappeurs Klay Bbj et Phenix l’ont démontré dans leur dernier morceau :«Notre rap est plus écouté que les discours de votre président. Je ne suis pas là pour les amadouer, je suis là pour les faire pleurer.» En avril, la mère de Klay Bbj a été menacée dans la rue par deux policiers en civil : «Votre fils devrait être prudent.» Elle leur a répondu : «Vous voulez dire qu’il devrait arrêter le rap ?» Ce à quoi ils ont rétorqué : «Non, il peut toujours chanter mais qu’il cesse de se mêler de politique.»
Les arrestations se succèdent. Pour son clip Bastardo dénonçant l’hypocrisie d’Ennahda et son utilisation de la religion à des fins politiques, Abdesslem Naouali, alias Phenix, est aussi arrêté le 28 juin 2012 pour consommation de cannabis. Il rejoint en prison son ami d’enfance Alaa Eddine. Rien qu’en 2012, les rappeurs Weld El 15, Phenix, Madou et Emino ont passé entre six et neuf mois derrière les barreaux. A leur sortie, la rage au ventre, ils ont dénoncé la violence policière et critiqué le gouvernement, qui ne change rien au système répressif dont il a hérité.
Aujourd’hui à Tunis, les rappeurs sont la voix du peuple, de la jeunesse, des plus démunis qui n’ont pas les moyens de résister à l’appareil d’Etat qui broie chaque jour des vies. Ce texte est un appel aux autorités concernées. Au lieu de jeter en prison les rappeurs, l’Assemblée constituante devrait se soucier de réformer le corps de la police et le ministère de l’Intérieur.
Je ne défends pas un rappeur qui insulte la police, je défends mon pays qui a le droit de disposer d’une police respectueuse de ses citoyens. En ce jour de procès, j’appelle les musiciens du monde entier à cosigner cet appel et à soutenir leur collègue Weld El 15 qui risque une peine aussi lourde qu’injuste.
12 juin 2013 à 19:06