— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Alors que la question de la mémoire est sur toutes les lèvres en Martinique et que la crise identitaire s’accentue, il nous a semblé important de nous interroger dans cet article sur ce que pourrait être la réponse politique ou policière de l’État français face aux tensions identitaires et raciales qui se font jour aux Antilles /Guyane.
Même si les activistes n’ont pas causé de troubles majeurs jusqu’ici, cette situation ne peut perdurer indéfiniment car les conséquences pourraient en être redoutables.
Cette poussée de fièvre mémorielle peut être lourde de conséquences à brève échéance dans un contexte mondial où la demande sécuritaire et la tentation de plus de répression envers certains groupes de citoyens, prennent corps au sein du monde occidental, notamment aux États-Unis et en France . Pour le moment, le président Macron et le gouvernement français font profil bas, mais se pose désormais la question de la nature de la riposte et jusqu’à quand on laissera faire, d’autant qu’il est important de subodorer les différents scénarios de réponse aux attaques des activistes rouge vert noir par les autorités françaises, d’autant que la lutte des classes est entrain de disparaître au profit de la guerre entre races, aux Antilles. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère potentiellement explosive, car la contestation de la représentation du passé n’est pas un acte anodin quand il s’agit de l’histoire touchant à plusieurs groupes de personnes traumatisées et que la résilience n’a pas encore fait son œuvre réparatrice ; et quand ces représentations entrent en contradiction avec des discours dominants, officiels, le rapport de force et les diktats voire ultimatums s’installent durablement dans le paysage politique . La réminiscence devient alors moins évidente, plus douloureuse, et l’analyse de ce passé est plus confuse, délicate, et potentiellement dévastatrice pour la Martinique et les Martiniquais.
J’ai dit dans le passé, au grand dam de certains , que, d’une certaine façon, l’idée d’indépendance reviendrait bientôt à l’ordre du jour pour ce qui concerne la Guadeloupe et la Martinique voire même la Guyane.
Rappelons nous que c’est la conférence afro-asiatique de Bandung en1955 et ce après le massacre colonial de 80000 victimes à Madagascar qui contribuera à radicaliser les mouvements indépendantistes en Afrique, et que 4 ans après, dans un discours prononcé à Dakar, c’est le général de Gaulle qui admet le principe d’une indépendance octroyée pour plusieurs pays africains.
Mais une des dimensions les plus intéressantes des nouvelles formes de contestation de l’histoire aux Antilles , est de rappeler que rien n’est irréversible, à condition de trouver les bons leviers et de se donner les moyens d’agir pour faire taire les passions héritées de l’ère de l’esclavage et de la colonisation et ainsi conquérir la confiance du peuple en vue d’un nouveau concept de développement et de souveraineté .
Et rien ne paraît plus dangereux que le laisser faire des activistes qui conduira inéluctablement au pourrissement tant le rapport de force est déséquilibré entre la France sixième puissance mondiale et la Martinique /guadeloupe : jusqu’ici, il était couramment admis que la population des Antilles souhaite rester dans le giron français . Peu d’experts pourrait admettre aujourd’hui que cette volonté est aujourd’hui très incertaine et qu’il est même possible que l’Etat français las de cette situation de mise en accusation permanente de colonialisme et de racisme se décide d’agir pour en changer radicalement la vision . Une nouvelle montre s’avère , en réalité, possible pour un changement radical de la position traditionnelle de la France aux Antilles pouvant aller jusqu’à accélérer le processus de changement statutaire en Martinique, Guadeloupe et Guyane.
Depuis l’émergence d’une vague d’activisme mémorielle aux Antilles/Guyane, les élus Martiniquais et guadeloupéens se taisent et feignent de ne rien voir ni entendre quand certaines régions d’outre-mer grondent et les situations s’enveniment avec une certaine forme de violence symbolique avec la destruction de statues symboles de la présence française ? Attendent-ils que ça passe, comme toutes les autres fois ? Attendent-ils que ces mouvements de colère, qu’on appelle « crises mémorielles », ces signes d’un dysfonctionnement identitaire, social, économique et politique, fassent le buzz médiatique un moment et que les activistes finissent par se résigner, ou se déchaîner parce qu’on leur aura donné une audience, une écoute, une attention, une fonction, une mission de réinvention de la mémoire … Ne soyons pas dupes, si rien ne bouge sur le front des institutions, quelques années plus tard, tout recommencera , mais ce sera à d’autres de gérer le désordre et le chaos . Ainsi va l’histoire aux Antilles , n’est-il pas !…..
Ce faisant, on s’éloigne de l’essentiel à savoir la vulnérabilité du système économique de la Martinique.
Or en l’état actuel des choses, la France n’a aucun intérêt à perpétuer un système départemental qui lui coûte énormément d’argent et qui ne lui rapporte rien ni sur le plan économique et encore moins stratégique vu le nouveau contexte de mondialisation . La question de la zone économique exclusive (ZEE) aux Antilles est une supercherie intellectuelle car à l’heure actuelle l’économie de la mer est une vue de l’esprit car il n’existe ni ressources minières, ni ressources énergétiques et encore moins de ressources halieutiques exploitables en l’état dans l’environnement maritime des Antilles . Faire croire que la France tire un quelconque profit financier des DROM est un mensonge éhonté véhiculé par des ignares dont l’engagement politique ou le militantisme le disputent à la distanciation scientifique, de sorte que les propos portant sur le sujet se révèlent au mieux être de parfaites constructions imaginées pour se donner de bonnes raisons de croire en une présence française immuablement fixée dans le marbre.
C’est ce qu’on appelle une vue de l’esprit, car que signifie être la deuxième puissance mondiale maritime quand cela coûte et ne rapporte pas un centime aux caisses de l’état qui sont déjà vides. La France actuellement ne peut fonctionner qu’avec l’emprunt, mais un jour la fuite en avant de la dépense publique devra cesser en raison du niveau astronomique de la dette qui aura forcément raison de la confiance des investisseurs qui prêtent encore avec des taux très bas à l’état, et donc nul doute qu’un jour viendra l’heure des comptes.
Et pourtant cet argent qui se compte actuellement en milliards , aussi immense soit-il en apparence, ne mesure que l’ampleur de la procrastination de dirigeants paralysés par l’ampleur de la crise et contraints de recourir à la dette : Chaque jour, les dettes explosent, les licenciements et les faillites se multiplient ; nul ne sait comment répondre à des questions urgentes : comment faire fonctionner des économies sous la menace d’un virus ? Comment transmettre un savoir à tous les élèves et étudiants qui ne pourront peut-être pas aller dans les écoles et universités à la rentrée ? Comment donner du travail aux dizaines de milliers de jeunes qui arrivent maintenant sur le marché du travail ?
Et l’heure des comptes signifie pour moi jusqu’à nouvel ordre réduire la dépense publique ainsi que les transferts publics en direction des DROM, et couper tôt ou tard drastiquement dans les dépenses notamment sociales.
Dans ce concert, d’autres (qui sont aussi d’accord avec la formule d’indépendance pouvant être octroyée aux Antilles et à la Guyane ) osent à peine objecter que si cette indépendance est effectivement octroyée, ce serait partiellement parce que celui qui apparaît toujours comme le colonisateur ne souhaiterait plus s’encombrer du « fardeau » de ses anciennes colonies. Moralité, cessons de jouer avec le feu de la problématique mémorielle car comme le disait Benjamin Stora : «La décolonisation des imaginaires n’est pas une question achevée mais elle est potentiellement explosive pour les colonisés»… En clair, il ne faut pas se laisser entraîner par l’émotion et la dérive politique, et force est de constater que dans le cas contraire, nous allons payer nos errements très cher à l’avenir dans la mesure où cette situation troublée ne peut perdurer en l’état , et donc il y aura forcément un retour du balancier.
» Dan épi lang ka fâché « . (Les dents et la langue se fâchent.) Signifie que même des personnes proches peuvent avoir des divergences d’opinions et se séparer.
Jean marie Nol économiste.