— Par Roland Sabra —
Le GRAF-M , Groupe d’Action et de Recherche Féministe de Martinique est né d’une démarque de l’UFM, Union des Femmes de Martinique. Mais la double appartenance est possible. Petite structure, comparée à l’UFM, la nouvelle association revendique une plus grande indépendance à l’égard des organisations politiques et sans doute, parce que la nature même de la divergence est difficile à apprécier, une approche différente des rapports hommes/femmes. Le vendredi 18 janvier la foule se pressait à l’invitation de cette jeune organisation pour débattre, en présence de Fabienne Frémeaux, membre du Graf-M et auteure de « Comment je me suis faite arnaquer par mon psy », de l’emprise.
Le titre même de l’ouvrage est discutable, il s’inscrit dans la longue série des attaques frontales menées contre la psychanalyse depuis le « Livre noir de la psychanalyse » en passant par les tentatives de réglementation de l’activité des « psy » et autres promotions des Techniques (le mot est juste!) comportementalo-cognitivistes1. Mais l’amendement Accoyer à l’origine de cette loi de police a conduit à une impasse. Roselyne Bachelot est la quatrième Ministre de la Santé confrontée à la difficulté de publier les décrets d’application de cette Loi mal née. Pour le dire vite, Fabienne Frémeaux a été « victime » d’un psy « pervers ». C’est ce qu’elle raconte dans le détail dans cet ouvrage, tout en refusant de dire si l’histoire est vraie ou si elle a été rêvée, pour tout dire fantasmée.
La pulsion d’emprise, est une découverte de Freud de 1897 et formalisée pour la première fois sous ce terme en 1905 dans les « Trois essais sur la théorie sexuelle ». Il la liera en 1913, dans « La prédisposition à la névrose obsessionnelle » à la dyade activité-passivité du stade anal. Stade que Abraham décomposera plus tard en sous-stades. Le disciple allemand de Freud fait de la pulsion d’emprise une pulsion non sexuelle, une forme atténuée d’un sadisme qui viserait non plus la destruction de l’objet mais son contrôle, sa conservation. L’objectif pour l’enfant est de contrôler l’environnement, d’exercer une maîtrise sur lui-même et sur autrui. A coté du jeu de la bobine, le célèbre for-da, expérience de la symbolisation autour de la présence-absence de la mère, il y a aussi ce jeu qui consiste à lancer indéfiniment un jouet qu’un adulte ramassera et rapportera à l’enfant. Par là il exerce son contrôle, son influence, son emprise sur le monde extérieur en général et sur l’adulte en particulier. Précisons que la pulsion d’emprise ignore le sort et même l’existence de l’objet qui demeure indifférencié . Il s’agit de se protéger d’un objet vis à vis duquel aucune pitié n’existe : on est là en deçà du bien et du mal.
Robert Stoller évoque, dans l’immaturité psychique du nourrisson, livré aux soins maternels, l’origine d’une prédisposition à la perversion nouée ou dénouée par liaison au moment de l’Oedipe2. Alain Pierre-Louis, Président du Comité Martiniquais Contre les Manipulations Mentales rappellera avec justesse que la Loi dans sa fonction de bornage de la jouissance permet l’accès au plaisir. Mais il ne s’agit pas ici de limiter la pulsion d’emprise à la seule structure perverse, il faut y adjoindre l’obsessionnel qui dans une démarche mortifère d’absolu contrôle du vivant, vise à la domination, si ce n’est la destruction, de l’autre, et sans doute le paranoïaque qui projetant ses propres failles sur l’autre, le désigne comme coupable pour mieux le persécuter. Dans tous les cas il s’agit d’interdire à l’autre, non pas tant d’être que, de désirer. La confrontation au désir de l’autre renvoie l’instigateur de l’emprise à son propre manque, insupportable en l’occurrence. Admettre que l’autre ne puisse pas venir combler son propre manque, suturer sa béance, et que l’incomplétude est de structure est le résultat d’une démarche quelques fois un peu longue. Il faut bien souvent en passer par une analyse.
Si toute relation intersubjective peut donner naissance, dans certaines circonstances à une relation d’emprise il existe un dispositif dans lequel celle-ci émerge plus facilement : la relation soignant-soigné. Et l’instigateur peut être des deux côtés de la relation.
Le mot soin déjà dans son étymologie laisse deviner quelque chose d’inquiétant, il est en effet lié au mots anglais et allemand qui signifie « péché ». Le soin serait lié au péché. On s’en doutait un peu! En effet le soigné est en position d’infériorité parce qu’il demande des soins, il est demandeur et comme le dit Lagache, il est en position de persécuté-persécuteur. Réduit à la position d’objet de la science médicale. Un ami effaré devant la dépersonnalisation des soins à l’hôpital des XV-XX à Paris, disait à son médecin qu’il regrettait de ne pouvoir lui envoyer son œil par la poste pour les soins! Tout ce qui entoure l’oeil est pour ces ophtalmologues une gêne, une souffrance qu’il faut endurer. Un patient c’est un glaucome, une cataracte, un corps morcelé. Un point c’est tout.
Mais le soignant lui-même peut être l’objet d’une relation d’emprise. Devant l’obligation qui lui est faite de soigner il peut se trouver dans une situation d’obligé du soigné qui se comporte alors comme un ayant droit qui exige d’être satisfait, tout en mettant, le cas échéant, en œuvre les moyens nécessaires pour faire échec au savoir médical. On comprendra pourquoi certains analysants règlent infiniment des comptes avec leurs analystes.
Revenons en justement à la psychanalyse. Le psychiatre Robert Brice dans un exposé original puisqu’il portait sur l’emprise dans le magico-religieux évoquait la dimension médico-psychologique de l’emprise. Force est de reconnaître que l’accolade des deux mots porte à discussion en matière de soin. Du côté médical s’il s’agit le plus souvent de rétablir un état semblable à celui antérieur, dans la cure analytique il n’en est rien. Et surtout l’analyste ne veut pas le bien de son patient. Il faut effectivement se méfier de ceux qui veulent notre bien! Il y a là la mise en acte d’un discours du Maître et d’un Bien, valable pour tous , en tous lieux, dont le Médecin est le garant.
On comprendra mieux la position de Lacan, reprise de Freud dans l’analyse terminable et analyse interminable, qui présente la guérison comme un bénéfice de surcroît. Il faut conseiller à certains, tentés d’oublier la visée thérapeutique de la cure d’aller voir dans le Robert ce qui est désigné par « surcroît » : il ne s’agit pas « d’un supplément accessoire et secondaire » mais bien « d’un apport supplémentaire, naturel et nécessaire. » Dire que la guérison n’est pas la visée première ne veut pas dire qu’elle n’existe pas comme visée!
Par ailleurs entre le Lacan de l’Ethique et celui du voyage aux Etats-Unis les variations sont assez larges sur l’aphorisme de « la guérison par surcroît »3 Mais c’est dans le Sinthome ( 1975-1976), séminaire qui remanie profondément l’apport lacanien, que Lacan précise ce qu’il peut en être de la sortie de cure à savoir la substitution sinthomatique, c’est à dire la trouvaille par l’analysant d’un nouveau sinthome source de moins de souffrance. Déjà aux Etats-Unis, juste avant d’ouvrir « Le sinthome », il déclarait : « Quand l’analysant pense qu’il est heureux de vivre, c’est assez ». Ce qui ne suffit pas à en faire un analyste mais là c’est une autre histoire…
Fort-de-France, le 20 janvier 2008
Roland Sabra,
2 On lira toujours sur Madinin’Art « La perversion est au service de la société et de l’espèce » et plus sérieusement « La Perversion » de Robert Stoller Le fantasme mis en actes
3 On lira avec profit le Bulletin Freudien N° 20 d’Avril 1993 notamment Patrick de Neuter : « La cure psychanalytique : pour guérir de quoi? »