— Par Yves-Léopold Monthieux —
On ne les attendait plus, maintenant que la pandémie est maîtrisée. Mais il nous fallait des Cubains. Absolument. Nous les avons ! Les anciens se rappellent l’expression « yo rivé apré lanmo medsin » (ils sont arrivés après le mort du médecin). Aujourd’hui c’est le médecin qui arrive après la mort du malade, ou la guérison de celui-ci. Aussi bien, en prévoyant pour leur venue un budget plus important que celui qu’il aurait fallu pour défaire le nœud gordien de l’eau courante en Martinique, quel était le véritable objectif de celui qui les avaient invités ? « Historique » est le mot utilisé par le Président de la Martinique à la descente des médecins cubains sur le tarmac de l’aéroport du Lamentin. Ainsi, sans hypocrisie inutile, il mettait au second plan le caractère médical de la coopération. Il n’avait pas su empêcher que soit attaché à l’aéroport le patronyme d’Aimé Césaire, le laudateur de Victor Schoelcher dont la statue vient d’être brisée en morceaux. En revanche, le début de l’histoire qui pourrait commencer entre Martinique et Cuba, ce sera lui. A cet arrière-goût d’indépendance, il ne lui aura manqué que le tapis rouge.
Ainsi donc, les soignants cubains ont été reçus tous drapeaux déployés y compris celui de la Martinique. Côtoyant le célèbre étendard cubain l’image du lambi s’est substituée aux couleurs du drapeau français. En réponse à l’hymne national cubain, il n’y a pas eu non plus de Marseillaise : le refrain était martiniquais. Qu’elle ait estimé que la venue en soutien de quelques médecins ne méritait pas tant d’honneurs et qu’elle n’ait pas retenu la musique et les nouvelles couleurs martiniquaises, la presse locale pourrait être passée à côté de l’histoire. En effet, cette substitution certes surréaliste pourrait être le symbole d’une promesse de nation. C’est, semble-t-il, le seul intérêt de la présence spectaculaire de cette brigade de soignants, les docteurs de la 25ème heure. C’était juste un moment à la gloire du président de la collectivité.
« Merci, président Macron », n’a pas manqué de proclamer le Président de Martinique, sans doute dans l’attente d’autres libéralités. L’attention paraît évoquer le souverain comme le fait la Barbade indépendante pour la reine d’Angleterre. Opportunément pour le président de l’Exécutif de la Collectivité territoriale de Martinique, le devoir de réserve oblige à la veille d’élections, les autorités régaliennes laissaient libre court à AMJ et à sa séance d’indépendance-fiction. Sans doute, l’Etat ne pouvait pas se prêter à un tel décorum s’agissant juste de coopération médicale.
On n’avait jamais observé un tel tintouin lors de l’arrivée d’autres médecins juste venus servir en Martinique : des praticiens d’origine africaine, maghrébine, européenne. Une mention particulière doit être portée à la dizaine de médecins haïtiens qui ont été formés par l’Université haïtienne, lesquels, depuis longtemps et sans bruit ni trompette, soignent les Martiniquais dans nos hôpitaux et nos villes. A cet égard, tout se passe comme si nous avions besoin pour nous accrocher au passé, d’emprunter à Haïti les héros noirs qui nous manquent, mais d’inscrire l’avenir martiniquais dans le modèle cubain, oubliant le sort réservé par ce pouvoir de Blancs à ses Afro-descendants.
Voilà donc ce qui se cachait derrière ce drapeau dit du Lambi, présenté lors de sa conception comme devant être à usage exclusivement sportif et culturel. Voilà un aspect supplémentaire de la démocratie martiniquaise qui met devant le fait accompli un peuple qui semble prêt à se laisser faire. Un drapeau, donc, à haute signification politique, un évènement qui ne peut qu’être salué par une classe politique qui n’a rien perdu de sa cubanomania. De la part des porteurs du drapeau Rouge-Vert-Noir et des activistes qui en font la promotion, il serait de mauvais goût d’assombrir l’éclat de cette rencontre « historique » qui était attendue depuis plus d’un demi-siècle par l’intelligentsia martiniquaise.
Mais la réalité s’invite parfois à la fête. Missionnés à Andorre dans le cadre de la pandémie du coronavirus, deux soignants cubains ont demandé l’asile politique de la principauté. Celle-ci n’est pas comme ces régimes autoritaires où de telles initiatives sont toujours vouées à l’échec. On peut imaginer l’embarras de l’autorité préfectorale voire de la chancellerie, s’il devait se manifester des défections au sein de la brigade que le président Marie-Jeanne vient de nous offrir.
Fort-de-France, le 28 juin 2020
Yves-Léopold Monthieux