À Fort-de-France, deux âges, deux formes d’expression
Aimé Césaire : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouches. Ma voix la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir. »
Des jeunes Martiniquais se mobilisent contre le racisme
À Fort de France, le mercredi 10 juin, à midi sur la place de l’Enregistrement, devant le centre commercial Perrinon, on a pu applaudir une trentaine de jeunes étendus par terre, les mains dans le dos. Ils étaient accompagné de tanbouyés. La mise en scène était organisée mercredi par des collégiens, lycéens et étudiants, de Rivière-Salée et de Sainte-Luce.
Ils dénonçaient les violences policières perpétrées contre les Noirs. Un flashmob de 8 minutes et 46 secondes — le temps où le policier a maintenu son genou sur le cou de sa victime, le temps pendant lequel sa victime a suffoqué avant de mourir… Un flashmob pour faire écho à la mort de George Floyd, aux États-Unis, pour lui rendre hommage, mais aussi pour interpeller le public : « C’est un autre moyen d’occuper l’espace public : on a choisi d’occuper la rue car George Floyd est mort dans la rue. On s’est rallié à la cause parce que nous aussi on est concerné, c’est notre communauté. J’ai pleuré devant la scène. Il faut qu’on se mobilise tous, c’est pour ça qu’on fait ce flash-mob », a expliqué une jeune fille, à Pierre-Yves Honoré, de Martinique la 1ère
La manifestation, montée en trois jours par ces jeunes, afin de sensibiliser la population au problème du racisme et à celui des violences policières, a duré une dizaine de minutes. Pour rappel, la mort de George Floyd est la dernière d’une longue série, ces dernières années, de décès d’hommes noirs aux États-Unis, pour la plupart non armés, tués par des policiers.
Janine Bailly, d’après France Antilles et Martinique la 1ère
Tribune de Philippe Pierre-Charles, Secrétaire général de la CDMT
Aimé Césaire : « Le grand cri nègre ébranlera les assises du monde. »
Le soulèvement antiraciste qui secoue la planète donne au mot de Césaire un air de prophétie. À force de crimes impunis, de mauvais traitements couverts par des pouvoirs complices, il s’est trouvé inévitablement un dérangé pour commettre « l’assassinat de trop », celui qui transforme la victime en martyr emblématique et les indigné-e-s en révolté-e-s dont l’action impétueuse menace heureusement les structures oppressives du système dominant.
Nous, les « descendants du plus grand génocide de l’histoire », sommes bien placés pour comprendre que les assises de ce monde ont été construites en grande partie sur le sang et les souffrances, le rapt et le pillage des peuples afro descendants.
Toute notre histoire est un long cri contre le racisme. Un racisme consubstantiel à la domination de classe parce que forgé pour la justifier.
Poignée de maîtres esclavagistes contre masses esclavagisées, gros planteurs békés contre ouvrier-e-s agricoles « nègres » puis « nègres » et « coolies », grandes majorités « de couleur » en lutte contre le racisme, pour l’école, pour des salaires décents, pour des droits démocratiques contre des minorités blanches jouissant des privilèges de la fortune et de la peau.
Chez nous comme ailleurs la lutte contre le racisme ne saurait se contenter des discours sur « la tolérance », « l’acceptation de l’autre ».
Certes ces valeurs sont aussi indispensables que la rééducation des racistes et des xénophobes.
Mais à tout cela il faut ajouter la lutte déterminée pour renverser les structures économiques, sociales, politiques qui nourrissent et ré-alimentent en permanence la bête immonde du racisme.
Tant que la terre, le commerce, la finance, les usines, les places dirigeantes dans les institutions administratives ou autres, les relations incestueuses avec le pouvoir politique seront le monopole quasi absolu de minorités ayant la » bonne couleur de peau », alors les préjugés refleuriront. Les puissants continueront alors d’utiliser le poison du racisme pour diviser les opprimés.
La bonne nouvelle c’est que des millions de femmes et d’hommes de toutes les couleurs accèdent aujourd’hui à la conscience que ça ne peut plus durer, que quelque chose de fondamental doit changer dans l’organisation du monde.
Il est triste que l’histoire humaine ait souvent besoin de martyrs pour avancer. George Floyd n’avait pas choisi de s’immoler. Il voulait simplement respirer sortir de dessous la botte d’un nazillon protégé par le chef actuel des suprématistes qui trône encore à la Maison blanche.
Le nom de George Floyd restera t-il dans la grande histoire humaine comme celui grâce à qui toutes les victimes de la chiourme commenceront à se dresser pour respirer ? Cela ne dépend que de nous, les femmes et les hommes épris de justice.
Il n’y a plus une minute à perdre. L’heure n’est plus aux lamentations même si pleurer est humain. L’heure est à l’action pour mettre fin à toute oppression, à toute domination.
Philippe Pierre Charles, sur People Bò Kay, le 11 juin 2020