— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Au delà des condamnations de principe de la destruction des statues de Victor Schoelcher, les responsables politiques et économiques de la Martinique ne se rendent pas compte qu’il s’agit là en fait d’un acte réitéré de défiance envers la communauté dite des békés et de la présence française en Martinique.
Nous sommes en présence d’une intentionnalité à part entière et non pas d’un simple épiphénomène .
En effet, tout cela laisse à penser qu’il existe actuellement en Martinique un terreau propice à la radicalisation des esprits. Cette forme de radicalité de certains activistes Martiniquais découle d’une réappropriation des concepts de lutte des classes et d’inégalités sociales par une génération que le confort et la consommation à outrance avaient dépolitisée.
La coup d’éclat actuel des activistes pan-africanistes nourrit aussi des dénonciations fortes, et dessine des aspirations plus manifestes encore qu’en 2009 , en précipitant des dynamiques enclenchées antérieurement par certains hommes politiques et intellectuels Martiniquais.
Pour beaucoup, la radicalité de l’action de destruction des statues de schoelcher révèle les défaillances de notre modèle départemental, une scandaleuse inversion des priorités de nature idéologique et historique , et une course insensée d’un système à la fois assimilationniste et nationaliste que nul ne maîtrise. Par un effet vertigineux s’imposent simultanément l’irruption des jeunes sur la scène politique , et l’évidente nécessité de nouvelles réflexions sur notre monde actuel.
Il ne faut surtout pas sous-estimez cette nouvelle radicalité car elle en dit long sur l’état moral, psychologique et politique de la Martinique.
En cette morne et fugace campagne de déstabilisation, par certains activistes pan-africanistes, des repères socio-historiques de la société Martiniquaise , le débat doit en fait selon nous se focaliser en filigrane sur la question des pertes et profits en cas de sortie du cocon de l’Etat providence français . Spéculations et contre-spéculations vont bon train quant au coût économique, social et politique d’un éventuel renoncement aux valeurs de la départementalisation par la Martinique et la Guadeloupe . On s’interroge en effet trop rarement sur les conséquences du scénario possible de la peur ambiante des citoyens , celui d’un maintien ou non dans le giron assimilationniste de la France , perçu à tort ou à raison comme un horizon de stabilité ou un facteur d’aliénation de l’âme de la société Antillaise . La question de ce point de vue apparaît de plus en plus simple à formuler : la contestation permanente en l’état de la légitimité de la présence française aux Antilles conduira-t-elle l’état français à réagir et accélérer le processus de la fin progressive de la départementalisation en poussant à l’autonomie voire à une indépendance de type néo-coloniale ?
Que l’on s’en félicite ou qu’on la déplore, la logique économique de l’intégration de la Martinique et de la Guadeloupe à l’union européenne depuis le début des années 1980 est limpide : La crise presque fatale du coronavirus est venue confirmer la stabilité existentielle aux Antilles de cette Europe à somme nulle, où ce qui est gagné par les uns est perdu par les autres.
A l’heure où nous nous interrogeons pour savoir si le système de la départementalisation favorise le développement et la protection sociale , les pays émergents de notre environnement géographique se rendent à l’évidence : l’Etat-providence français est la parade à la crise du Covid 19 .
Faire refluer brutalement la départementalisation sociale reviendrait à nous appauvrir considérablement, et avec nous les générations futures. Car le contexte actuel de crise économique et sociale en France ne permettra pas le moindre faux-pas dans notre approche politique des problèmes économiques et sociaux de la Martinique et la Guadeloupe . Pour mieux comprendre la problématique actuelle dans le contexte de crise, il faut au préalable camper le décor sur un plan global de la situation économique et sociale en France et dans le monde.
Bruno Le Maire ministre de l’économie dit aujourd’hui s’attendre à une vague de faillites et de licenciements en France. Celui-ci confirme s’il en était besoin notre précédente analyse qu’il n’y aura pas de rebond dit « en V », qui suivrait rapidement la dégringolade conjoncturelle causée par la pandémie de coronavirus. Nous avions exclu cette hypothèse pour l’économie de la Guadeloupe . Pour la France le conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne a indiqué ne pas s’attendre à une reprise rapide de l’économie. Plutôt qu’une courbe en V, ils s’attendent à une courbe en U, soit un retour plus lent à la normale. A ce jour, l’Etat a garanti plus de 100 milliards d’euros de prêts au bénéfice de 50 000 entreprises. Le chômage partiel a indemnisé 12 millions de salariés. Les loyers et charges sociales peuvent être suspendus. Efficace pour les entreprises en bonne santé financière au moment de l’entrée en confinement. Mais aujourd’hui insuffisant pour les plus fragiles. Le pire reste à venir, prévient le journal Libération. Les reports de charges sociales de loyers et les prêts garantis par l’État vont devoir être remboursés d’ici quelques mois. Un « mur de dettes » va ainsi se créer comme nous l’avions analysé dans notre dernier article et tel que dit bon nombre d’entreprises ne pourront faire face à ces échéances.
Et pour mieux éclairer notre sujet de préoccupation de l’heure, je me permets de réitérer le fait que peu de gens réalisent l’ampleur de la chute qui nous attend avec cette crise du Covid 19 couplée avec celle à venir de la dette .
Peu de gens veulent entendre parler de la réalité : Aux Etats-Unis, la production va baisser de plus d’un tiers au deuxième trimestre, et sans doute d’un cinquième sur toute l’année ; en Europe, ce sera à peine moins. Aux Etats-Unis, près d’un quart de la population est menacé de perdre son emploi (déjà 33 millions de personnes au chômage en deux mois de confinement) ; en Europe, ce sera à peine moins. En France, une entreprise sur quatre ou cinq envisage de licencier. Dans les pays émergents, 1,6 milliards de gens, travaillant dans le secteur informel, vont sans doute perdre la seule source de revenu de leur famille selon les dernières données de l’organisation internationale du travail . On risque d’avoir dans les semaines et les mois qui viennent, une multitude d’entreprises qui se retrouvent dans cette situation difficile et donc avec des emplois dont la pérennité n’est pas assurée. On va au devant de plans de restructuration et de licenciement, qui pourraient se généraliser et conduire à une prochaine paupérisation de la classe moyenne. N’oublions pas l’expérience douloureuse de la Grèce où les salaires et retraites ont été amputés d’un tiers pendant la dernière crise. Les Français ne pourront pas supporter un tel choc social, aussi il y aura du grabuge avec l’émergence de troubles sociaux en France et aux Antilles .
Un balancier qui pourrait commencer à tanguer particulièrement à partir du 2 juin, moment à partir duquel le chômage partiel sera moins pris en charge par l’État ”afin d’encourager les entreprises à reprendre l’activité et éviter de se reposer uniquement sur le chômage partiel”. À l’inverse, certains secteurs seront soutenus plus longtemps comme celui du tourisme.
Force est de constater qu’en Guadeloupe et Martinique, aussi, les premières remontées du déconfinement ne sont pas particulièrement encourageantes, non plus, et que la confiance en l’avenir n’est pas au beau fixe.
A pointe à pitre et fort de France , les gens circulent sur les trottoirs de la rue Frebault et ceux de la rue de la République , avec ou sans masque, mais bien peu rentrent dans les commerces. Une fréquentation quasi nulle qui fait craindre le pire au commerce mais aussi au tissu de petites et moyennes entreprises. Quand au secteur de l’hôtellerie restauration, il est durablement sinistré au moins pour les années 2020/2021.
Ainsi déjà, “Une vague de Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) est en préparation”, met en garde , Pierre Ferracci, président du groupe Alpha, spécialisé dans les relations sociales. Quand Marine Roussannes, directrice de la practice mutations des entreprises et restructurations de LHH France assure “crouler sous les sollicitations”.
En se basant sur une estimation, jugée plutôt optimiste d’une chute de 8% voire 10% du PIB cette année, le FMI table sur un taux de chômage à 10,4% à la fin de l’année 2020 en France. Une situation explosive qui fait craindre au gouvernement un “appauvrissement généralisé”, pour reprendre les mots d’Édouard Philippe le 7 mai dernier lors de la présentation de son plan de déconfinement.
Les associations caritatives, elles-mêmes en danger, tirent la sonnette d’alarme. Nombreuses sont celles a avoir observé une hausse de leurs bénéficiaires dans le cadre des distributions alimentaires.
Le logement est également vu comme une véritable “bombe à retardement”. “Certains bailleurs sociaux parlent déjà de 10% de loyers impayés depuis le début du confinement mais le risque, majeur, de défaut de paiement de loyers et de charges est encore devant nous, avec à terme, la menace d’expulsion”, explique ainsi Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre.
La protection sociale contribuerait selon certains à l’affaissement moral des individus ? C’est faux : elle assure leur bien-être. Depuis trente ans, l’Etat Providence n’est envisagé que sous l’angle de son coût financier et son inéluctable effondrement. Ce discours inquiétant se veut performatif : on espère préparer ainsi les esprits au recul inévitable de l’Etat aux Antilles et pour tout dire souhaitable pour certains hommes politiques en vue de plus de responsabilités locales, et de la mutualisation des risques sociaux.
Le XXIe siècle, lui, sera celui des crises économiques et sociales mais également culturelles . Deux choix s’offrent à nous : soit, on ne fait rien, et le marasme ambiant ira en s’accentuant, soit on crée les institutions nécessaires pour sortir de l’impasse politique et idéologique . Il faut sortir de l’incertitude qui caractérise la question politique, économique et sociale aux Antilles (on ne peut prévoir les crises), pour l’appréhender à partir de la notion de risque, et ainsi voir qui est reponsable de quoi, avec quelle conséquence pour qui. C’est cela qui permettra de sortir de l’ambiguïté et d’avancer vers la dure réalité de l’exercice du pouvoir politique.
Est-ce qu’on comprend vraiment ce que ces données signifient ? Quand va-t-on le réaliser ?
Mais quelque que soit les événements à venir, ayons toujours en mémoire que : « Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise. » …
Jean-Marie Nol économiste