Et « Nous » alors, me direz-vous ?

— Par Bernard Leclaire —

Suite à l’entrevue de J. Attali sur ETV le 23/04/20 avec le journaliste Fundere et le Politologue G. Calixte. Jacques ATTALI : incidences du COVID-19 sur l’économie

La crise du COVID-19 est-elle un retour de bâton de la mondialisation ?

Je ne partage pas l’idée d’une Mondialisation qui constituerait l’unique solution à tous nos maux, et dont la traduction ultime serait la création d’une grande société humaine dans un but prétendument altruiste ou philanthropique : Aussi à mon sens faut-il considérer, en effet, que la situation présente est un effroyable retour de bâton de cette Mondialisation effrénée !

L’utopie, pour fondatrice et nécessaire qu’elle soit, doit rester mesurée. L’amélioration si fortement espérée du sort de l’Humanité ne se concrétisera pas par un grand marché planétaire, ni par une démocratie généralisée couvrant le globe.

L’eau aura le temps de couler sous les ponts, et l’accélération des changements climatiques aura tôt fait de provoquer la disparition de continents entiers, et nous avec.

Bien qu’elle ait ses partisans, l’idée Attalienne d’un Gouvernement Mondial – c’est bien de cela dont il s’agit ! – signerait inéluctablement la mort des petits territoires et de leur population.

Qui a priori serait d’accord pour partager le monde entre les cinq plus grandes puissances, sur la simple promesse d’une bouchée de riz à chacun ? Essentiellement les cinq puissances en question, chacune convoitant secrètement la tête de ce Nouvel Ordre Mondial.

Il me semble tout aussi illusoire d’espérer de cette crise sanitaire majeure l’émergence d’une Europe post-Covid 19 qui arborerait fièrement ses valeurs nouvelles de solidarité et de partage. Il apparaît, au contraire, que chaque pays devra dorénavant œuvrer pour garantir sa « souveraineté », ce afin d’être en mesure d’affronter les cataclysmes à venir. La gestion pour le moins hasardeuse de la crise liée au coronavirus a mis en lumière failles et dysfonctionnements ; elle a aussi démontré le caractère vital de l’autosuffisance, dans les domaines très divers de l’alimentation ou de la santé.

Je crois fermement, en revanche, à un réveil détonnant des Pays Africains, dynamisés par une hyper démographie bouillonnante, et qui, inévitablement, se trouveront dans une situation de « mise en demeure » de survie dans les trois prochaines décennies.

La fermeture des frontières de l’Europe produira une réaction inventive et révolutionnaire des sociétés africaines qui n’auront d’autre choix que d’apprendre à s’organiser ! La jeunesse seule possède le secret et la capacité de s’adapter à de telles situations.

Quant aux autres pays, européens ou non, ils seront dans l’obligation d’aider, de faciliter et de promouvoir ce jaillissement des « États-Unis d’Afrique » afin de pallier les éventuels flux migratoires qui risquent de devenir incontrôlables. D’autant plus que ces anciens empires esclavagistes, aujourd’hui en voie de tiers-mondialisation, ont mené des politiques de développement économique et de contrôle des natalités désastreuses. Afin de rassurer le peuple, la fermeture des frontières deviendra en un premier temps un gage présidentiel.

Des décennies durant, certains pays ont sabordé leur secteur industriel, en délocalisant un savoir-faire reconnu en Chine. Le laboratoire de Wuhan en est un exemple flagrant. Ironie du sort (ou juste retour des choses ?), l’Europe est devenue aujourd’hui une colonie Chinoise ! La recherche systématique du profit a paradoxalement affaibli l’Europe, la rendant dépendante d’une économie chinoise qui, elle, ne cesse de croître. C’est un marché de dupes, d’autant plus que la qualité du « Made in China » est aux antipodes du savoir-faire européen évoqué précédemment.

Les ramifications de ces renoncements coupables sont profondes, et ses incidences psychologiques réelles : économie en berne, vieillissement accéléré des populations, incapacité manifeste à pouvoir faire face aux grands défis de ce siècle…C’est, de toute évidence, le cas de la France, la nation allemande semblant quant à elle davantage maîtresse de son destin…

Les conséquences de la dénatalité sont multiples : la raréfaction prévisible de la main-d’œuvre nécessite fatalement le recours à une main-d’œuvre extérieure. Ainsi, cette immigration que vous refusez aujourd’hui, vous vous mettez dans l’obligation de l’accepter demain, toujours avec ce même dédain de l’autre, à tout le moins. C’est là un autre aspect des conséquences démographiques décrites précédemment.

Alors même que l’économie française est vacillante, l’État persiste dans une politique dénataliste. C’est une aberration car toute velléité de redémarrage de l’économie française se heurterait de plein fouet à la problématique de la main-d’œuvre ! Il faut, au contraire, encourager une politique de baby-boom indissociable de mesures sociales réellement incitatives pour les familles.

La Chine, qui ne (re)connait que la Chine, semble se complaire, elle, dans une autarcie narcissique et presque monstrueuse !

L’appétit de cet ogre des temps modernes est gargantuesque, et bien que la capacité de son estomac soit par définition limitée, il se verrait bien engloutir le monde entier !

Sait-il seulement qu’il sécrète lui-même le poison qui causera sa perte ? Ce péril qui le menace sourdement c’est l’immense majorité de sa population, une population misérable qui regarde danser ses nouveaux riches avec amertume, concupiscence et impatience…

Le jour où le petit peuple chinois sera à même de décrypter le phénomène des antagonismes sociaux, et surtout lorsqu’il intégrera la théorie de la lutte des classes, marquera le début de terribles contestations sociales et de sanglantes tensions. Lorsque des millions de pauvres hères (sans doute au cours de cette présente décennie) réclameront le droit au consumérisme et à la modernité, la Chine risque fort de connaître aussi sa prise de la Bastille : malheur aux nantis ! La révolte du peuple chinois sera à l’aune de sa docilité légendaire : il y aura vraisemblablement un avant et un après, exactement comme pour le virus qui nous frappe actuellement ! Du reste, l’expansionnisme chinois ressemble à s’y méprendre à un néocolonialisme, en Afrique notamment. D’où la nécessité pour celle-ci de s’affranchir d’une mise en tutelle insidieuse qui ne vise en définitive qu’à asseoir la suprématie chinoise face au grand rival américain.

On aura aussi compris l’impérieuse nécessité pour un pays où l’implosion démographique menace constamment, de désengorger les grandes villes. Sans doute faut-il s’attendre dans les années qui viennent à une extension tentaculaire de la diaspora chinoise.

Qu’en est-il des USA ? Nous sommes très loin désormais du charisme d’Obama qui faisait l’unanimité mondiale. Donald Trump a discrédité non seulement la fonction présidentielle mais encore le pays dans son ensemble.

L’Amérique est (re)devenue exécrable aux yeux de beaucoup, faisant resurgir ses vieux démons. Ainsi, la question raciale, toujours très prégnante, suscite l’indignation et l’écœurement du reste du monde.

Les arrestations arbitraires, d’une brutalité inouïe, perpétrées à l’encontre des Afro descendants sont tous les jours vues en vidéo par des millions d’internautes. Trump semble avoir déclaré la guerre aux minorités et particulièrement aux Noirs. Sait-il seulement que les USA ont bâti leur empire sur le vol, le viol et le génocide des Amérindiens ?

À bien des égards, le pays a perdu de son lustre : du fameux Rêve américain ne subsiste plus qu’un douloureux mirage…

Dans cette Amérique lourdement armée, une guerre civile n’est pas exclue, en particulier contre les afro descendants. Les redoutables répercussions du COVID menacent plus que jamais l’unité et l’économie nationales. Alors que Trump pensait brandir le drapeau de la réussite, de la relance économique et de l’endiguement du chômage, voilà que ce virus va annihiler sa part de succès et de pseudo légitimité.

Et « Nous » alors, me direz-vous ?

Il nous reste à trouver d’urgence avec la France un statut qui nous permette, avec une autonomie accrue, de mieux penser notre économie, de mieux identifier les exigences de notre développement social et culturel.

Nous devons impérativement tenir compte de notre histoire, de notre géographie et de notre cadre géopolitique. Nous devons très rapidement être en mesure d’appréhender et d’anticiper notre avenir commun. Nous vivons depuis trop longtemps dans une incertitude et une approximation érigées en système. La Politique Guadeloupéenne a perdu de sa noblesse et de sa grandeur ! Jamais l’infantilisation n’a été autant orchestrée par le pouvoir central, avec un certain succès il faut le reconnaître. En effet, l’observateur attentif de la vie politique régionale s’interroge en vain : « où sont nos tribuns ? Où sont les femmes et les hommes réellement engagés dans la vie politique du pays ? Où sont les femmes et les hommes pleinement conscients de l’importance capitale de leur mission sociétale ? C’est une évidence : il y a pénurie d’hommes, il y a pénurie de leaders ! Les intellectuels guadeloupéens ont sombré dans une léthargie sans précédent. Comme écrasés par la désespérance de l’actualité, ils ont capitulé et renoncé à leur rôle de héraut du peuple.

Sommes-nous tous devenus aveugles au point de ne pas voir ce qui nous paralyse ? Dans un monde qui a considérablement évolué, et où les rapports de force sont en perpétuelle évolution, il doit nous appartenir de décider de notre place et de notre posture. La France elle-même a-t-elle encore les moyens de ses ambitions et de sa politique ? Ne vit-elle pas dans une sorte de nostalgie de sa splendeur et de sa puissance évanouies ? Quid, dès lors, de notre devenir ?

Nous sommes revenus « an tan Sorin » et le pays de Guadeloupe a à sa tête un Gouverneur de fait, légalisé par notre propre inertie, notre absence de solutions et de perspectives pour notre propre territoire. Nous avons brillamment échoué et nous passons aujourd’hui pour les responsables de l’échec généralisé.

Je parle de la gestion calamiteuse de l’eau, de la gestion des Communes, l’état des routes, la vie chère, l’état économique général du pays, la Santé etc. … Même si tout ne nous incombe pas directement, nous acceptons, donc nous sommes aussi responsables, à défaut d’être coupables !

Qui défend ce pays aujourd’hui ? Qui ? Qui parle ? Qui porte nos idées et notre voix ? La cacophonie ambiante nous a rendus inaudibles ! L’absence de concorde nous a rendus impotents, impuissants, dirais-je, dans toutes les acceptions du terme ! Aux yeux de l’État français nous demeurons encore et toujours d’éternels enfants… D’où une absence patente de crédibilité ; d’où un déficit flagrant de légitimité…

Au milieu de ce XXIème siècle nous devrions accéder à une forme d’indépendance, laissant dès lors place à une priorité d’échanges commerciaux consentis, bilatéraux et bien sûr, autant que faire se peut, avec des relations amicales vis-à-vis de cette France désormais « partenaire ».

Cette transition doit être minutieusement et rigoureusement préparée ; elle doit être conçue comme un levier économique afin d’aborder avec sérénité les enjeux déterminants qui seront les nôtres demain. Elle requiert un bilan mais aussi un prévisionnel sur les trente ans à venir !

Il conviendrait aussi d’établir dès aujourd’hui avec les autres états de la caraïbe un véritable pont économique. Plus que de banals (mais logiques) échanges commerciaux, il importe que nous forgions une vision commune de cet espace caraïbe qui est nôtre aujourd’hui de diverses manières. Mais au-delà de ces différences, qui constituent de fait nos richesses singulières, il s’agit de nous inscrire dans une audacieuse et novatrice démarche commune, au nom d’une Histoire, d’une souffrance, d’une gémellité de trajectoires -bref d’un patrimoine- partagés ! Cette fraternité identitaire et économique est la condition sine qua non d’un développement harmonieux et équitable de nos aires caribéennes.

L’avenir des Peuples de la Caraïbe passe par l’émergence d’une prise de conscience d’une « Union Caribéenne » plus forte, en termes de marché, d’emploi, de développement économique, d’échanges, de coopération, de transport, etc. …

Il conviendra sans doute de redéfinir la CARICOM (La Communauté caribéenne) ; actuellement composée de quinze États, celle-ci devra s’élargir afin de faire cause et consensus pour un même territoire.

La levée de l’embargo qui pèse sur Cuba est un prérequis indispensable ! Les Caraïbes sont aujourd’hui fragmentées entre vingt-sept États dont vingt-trois sont souverains, et plus de quatre d’entre eux possèdent dix-huit dépendances. Cette Caraïbe multiple, mais unie, tente de se construire en une entité internationale. Il convient, à cet égard de souligner et de saluer l’admirable initiative de l’Association des États de la Caraïbes (AEC), qui prône un marché unique de la Caraïbe et un passeport commun de la CARICOM.

Nous restons favorables à une fusion des lignes aériennes, gage d’une plus grande liberté de déplacement, à la mise en place d’une bourse régionale et d’une centrale d’achat inter caribéenne, et bien sûr à un accord de libre-échange. La Caraïbe est à nos portes, nous ne la voyons pas, or elle est notre avenir !

La Guadeloupe et la Martinique (pourquoi pas la Guyane ?) se doivent d’honorer ce rendez-vous. Nous devons être moteur et acteur pour la promotion de cette entité comme l’éclosion d’un sixième Continent.

Il s’agit de redonner force et confiance à notre jeunesse, de réenchanter demain et de sublimer l’Espoir ! Tout est à faire, nous ne sommes qu’au début de nous-mêmes. Osons ce partenariat dans le respect de l’autre, et également dans l’affirmation de nos valeurs, de notre essence !

Ce que Marley a réussi avec le Reggae, nous le pouvons aussi sociologiquement et économiquement, car la Caraïbe est aujourd’hui ce que le monde sera dans mille ans !

Bon « déconfinement » à tous : gardons nos enfants chez nous tant que le spectre viral du Covid 19 est encore en circulation. Ne laissons pas la « comorbidité » économique prendre le pas sur les vraies questions sanitaires, et sur notre bien commun le plus précieux : la Vie !

#Bernard LECLAIRE

GB, le, 30/04/20