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L’eau du fleuve qui passe devant notre village est sale. Sale et blanchâtre depuis plusieurs mois. Il devient gênant de laver son linge, de se laver, de laver son enfant qui va boire cette eau en se baignant. C’est à cause d’un nouveau chantier d’orpaillage, très grand, sur la crique Lipolipo |
«La terre de Guyane ne sera plus violée impunément», promettait Nicolas Sarkozy, il y a un an, à Camopi, un village amérindien de ce département d’outre-mer, en annonçant un plan de renforcement de la lutte contre l’orpaillage clandestin. Mais pour les villages établis sur le fleuve Maroni, près de la frontière du Surinam, la situation n’a fait que s’aggraver et ils dépérissent, victimes de la pollution et de la violence provoquées par les garimpeiros, les chercheurs d’or clandestins. L’ONG Survival (www.su
Réalisé par É.Pa Kindy Opoya.
«Je suis née en 1986 à Talhuen, un village à environ deux heures de pirogue en amont de Maripasoula. Je suis assistante de vie scolaire. Aujourd’hui, le quotidien dans nos villages, c’est la peur des garimpeiros. La peur, jour et nuit. Ils ont envahi notre vie. Chaque jour, nous craignons de trouver notre abattis dévasté : ils pillent et emportent la canne à sucre, les dachines, les bananes… Chaque jour, nous avons peur de faire une mauvaise rencontre en forêt. La nuit, on dort mal : le bruit des pirogues à moteur nous réveille, les clandestins volent nos moteurs pour remplacer ceux que les gendarmes leur ont saisis. Beaucoup de villageois dorment armés.
«On a peur, bien sûr, mais parmi ceux qui ont peur, il y en a qui veulent se défendre. Il y a déjà eu des échanges de coups de feu. L’eau du fleuve qui passe devant notre village est sale. Sale et blanchâtre depuis plusieurs mois. Il devient gênant de laver son linge, de se laver, de laver son enfant qui va boire cette eau en se baignant. C’est à cause d’un nouveau chantier d’orpaillage, très grand, sur la crique Lipolipo. Dans nos villages, les puits et pompes mis en place par l’administration ne fournissent de l’eau potable que quelques heures par jour, le matin seulement.
«En octobre, les légionnaires sont arrivés à Twenke. Au début de leur installation, ils faisaient bien leur travail : aucune pirogue de clandestins ne passait, ils défendaient vraiment le fleuve, sans avoir peur de bousculer les clandestins ni de jeter leurs cargaisons à l’eau. Un jour, ils ont sévèrement battu un clandestin devant tout le monde. Mais je crois qu’on leur a fait le reproche d’être trop agressifs. Depuis, ils sont devenus moins énergiques.
«Les gendarmes, c’est autre chose. Ils sont calmes et ordonnés, ils disent qu’ils attendent les ordres du sous-préfet pour intervenir, mais les ordres ne viennent pas. Ils se plaignent souvent que le sous-préfet ne leur donne pas assez de moyens. Ils disent que le fleuve est international, et qu’ils ne peuvent pas arrêter les gens qui y passent. Parfois ils contrôlent tout de même les pirogues, mais les Brésiliens s’amusent d’eux : ils leur montrent de fausses autorisations rédigées en néerlandais pour travailler en amont, du côté surinamien, mais une fois passé le contrôle, ils traversent le fleuve pour se rendre à Lipolipo, du côté français. Les gendarmes le savent, mais ne peuvent rien faire. Les clandestins n’ont pas peur des gendarmes. Ils se regroupent à dix ou quinze pirogues, ils ont des moteurs de 115 chevaux, ils foncent.
«Malgré l’arrivée des légionnaires et des gendarmes, la situation n’a fait que s’aggraver. Ils ne parviennent pas à retenir les clandestins, ils sont débordés. Il y a cet énorme chantier d’orpaillage du côté français contre lequel ils ne font rien : j’ai parlé de Lipolipo, mais il y a aussi Pëlekumalu, où les clandestins sont plusieurs centaines. En face, au Surinam, ils stockent leur matériel. A Yaopasi, presque en face de Twenke, mais aussi tout près de Maripasoula : là, il y a une grande ville nouvelle construite par les Brésiliens.
«Il y a aujourd’hui environ dix gendarmes et quarante légionnaires à Twenke. Ils logent dans les carbets des villageois. Ils ont construit des tinettes partout. Avec les quads qu’ils ont pris aux clandestins, les gendarmes dévastent le terrain. Lorsque nous arrêtons une pirogue de clandestins, ils nous empêchent de nous servir, mais eux-mêmes font la cuisine avec les marchandises qu’ils saisissent. Les Amérindiens se disputent aussi entre eux à cause de l’orpaillage. Il y a ceux qui se résignent et ceux qui se battent. Ceux qui, petit à petit, se lancent dans le commerce avec les orpailleurs, d’autres encore qui se lancent dans l’orpaillage. Les chefs coutumiers sont de plus en plus contestés. Mais que peuvent-ils faire ? Aux vacances scolaires, tous les villageois qui le peuvent se rendent sur le littoral, comme moi-même. Il n’y a plus de douceur de vivre chez nous.
«Je souhaitais témoigner de ce qu’est devenue notre vie. Les journalistes ne restent jamais assez de temps pour comprendre tout ce qui se passe, mais quand même, c’est bien, ils font des reportages, aujourd’hui beaucoup de gens sont au courant t: autorités, médias, la population en Guyane et en France. Mais ils ne savent pas que depuis plusieurs années, presque tous les jours et toutes les nuits, notre vie est en désordre.»