— Par Célia Cuordifede —
Dans les départements d’Outre-mer, le nombre de patients atteints du Covid-19 semble stagner. Néanmoins, l’inquiétude de voir un pic épidémique arriver est omniprésente dans ces territoires encore moins bien dotés que les hôpitaux métropolitains.
« Un mois« . Le 31 mars, interrogée sur la chaîne de télévision La Première, la ministre des Outre-mer Annick Girardin tenait à souligner le temps de retard de l’épidémie de coronavirus entre la métropole et les territoires ultra-marins. « Ce mois d’avance on l’a gardé encore aujourd’hui« , déclarait-elle, insistant : ”Il n’y a pas d’impréparation”. Le lendemain, auditionné par la mission d’information de l’Assemblée nationale sur l’état d’urgence sanitaire, le Premier ministre Édouard Philippe reconnaissait toutefois la ”fragilité plus grande des territoires ultramarins sur les questions sanitaires”. Dans ces territoires où les hôpitaux sont encore bien moins dotés qu’en métropole, et où le transfert de patients vers d’autres régions s’avère compliqué du fait de l’insularité, l’inquiétude monte quant à une possible flambée des cas de patients Covid positifs.
Moins touchés par l’épidémie, avec 980 cas et 15 décès pour 2,8 millions d’habitants, les territoires ultramarins sont néanmoins confinés depuis trois semaines. La Martinique et la Guadeloupe ont même décrété un couvre-feu à partir de 20 heures.
A La Réunion, 358 cas ont été enregistrés depuis le 9 mars et pour l’heure aucun décès. ”Depuis quelques jours, nous observons un tassement de la courbe des malades du Covid-19 sur l’île”, note le Dr. Kathia Cadinouche, médecin généraliste. ”Un phénomène qui pourrait être lié au confinement en quelque sorte précoce, puisque nous l’avons mis en place ne même temps que l’Hexagone alors que nous n’avions recensé que 14 cas”, explique-t-elle. Néanmoins, les médecins réunionnais restent prudents car il est encore trop tôt pour savoir si ce décalage par rapport à la métropole donne un avantage au territoire d’Outre-mer sur la propagation de l’épidémie, ou non.
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Effrayante insularité à La Réunion
Sur l’île de La Réunion comme ailleurs dans les Dom-Tom, les premiers cas de Covid-19 sont apparus par l’intermédiaire de personnes qui venaient du Vieux Continent. ”Désormais on observe l’apparition de quelques dizaines de ”cas autochtones”, soit des personnes en lien indirect ou sans lien avec un cas importé”, note Jérôme Lamant, chef de pôle urgence, réanimation et cardiologie au CHU-Sud. Si le docteur Lamant ne souhaite pas être alarmiste, il admet tout de même que ces cas dits ”autochtones” sont une source d’inquiétude. Ils posent notamment des questions quant à la vitesse de propagation du virus parmi les 850.000 habitants de l’île, dont près de 40% vivent sous le seuil de pauvreté et dans la promiscuité.
Les médecins continuent ainsi de se préparer à un possible pic épidémique. Habituellement dotée de cinquante lits de réanimation, l’île peut désormais arriver à en proposer une centaine si nécessaire. ”Mais si la vague de malades arrive, ici comme ailleurs, on n’aura ni le matériel ni le personnel suffisant pour faire face”, estime Jérôme Lamant. ”D’autant qu’en métropole, lorsqu’une région est très touchée et d’autres moins, il y a une possibilité de transférer des malades… Ce qui est plus compliqué ici, à dix mille kilomètres du territoire français”.
Pour pallier ces difficultés liées à l’insularité des territoires ultramarins, Emmanuel Macron a ainsi annoncé le 25 mars dernier, lors de son discours depuis l’hôpital de Mulhouse, le déploiement de deux porte-hélicoptères censés apporter une aide matérielle et un soutien aux services publics locaux, dans le cadre de l’opération Résilience. Le Dixmude pour les Antilles françaises (Guyane, Guadeloupe et Martinique) et le Mistral pour les îles de l’Océan indien, dont La Réunion. ”Un bon coup de communication”, déplore Jérôme Lamant. ”Tout cela s’est fait au dernier moment et ce navire n’avait pas grand chose à nous apporter malheureusement”.
A Mayotte, ”c’est soit le Covid, soit on meurt de faim”
A 1.400 kilomètres de là, l’agacement est similaire chez Mansour Kamardine, député Les Républicains (LR) de la 2ème circonscription de Mayotte. ”Le Mistral est arrivé et reparti de Mayotte samedi 4 avril. Il n’a pas apporté d’aide logistique ni sanitaire. Il a débarqué une centaine de militaires censés renforcer les capacités du détachement de la légion étrangère. Car l’exécutif cherche surtout à dissuader les troubles à l’ordre public”. Or, pour le député mahorais, faire respecter l’ordre public est nécessaire mais pas une priorité sur l’île, où 80% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. ”Il convient d’abord de développer une stratégie qui tienne compte des réalités de terrain où l’on a des familles entières qui vivent sans eau courante et sans sanitaire, dans une case en tôle avec des températures qui dépassent souvent les 40 degrés”.
L’archipel de l’Océan indien, connu entre autres pour être le département le plus pauvre de France, compte pour l’heure 171 cas Covid positifs et 2 décès. Parmi les malades, le personnel soignant et les forces de l’ordre sont durement touchés, avec respectivement 31 et 20 malades. Alors que les plannings des uns et des autres tournent déjà à flux tendu toute l’année, l’épidémie réduit encore les équipes. D’autant que le Covid-19 intervient à un moment où la dengue occupe encore les soignants de l’île. Comme à La Réunion, le confinement a été mis en place en même temps que dans l’Hexagone, mais la diffusion du Covid-19 y semble plus rapide. ”On dénombre 50 cas d’infection au coronavirus pour 100.000 habitants au bout de seulement 3 semaines, ce qui signifie que l’épidémie à Mayotte se développe beaucoup plus rapidement qu’elle ne l’a fait en métropole”, explique Mansour Kamardine.
Si pour l’heure les médecins de Mayotte ne parlent pas de pic épidémique, Hanima Ibrahima, maire de la ville Chirongui, située au sud de l’île, ne cache pas son inquiétude et déplore ”une situation humanitaire catastrophique, propice à la prolifération du virus”. Chaque jour, elle reçoit des dizaines d’appels d’administrés qui n’ont pas de quoi nourrir leur famille. Une bonne partie de la population vit de l’économie informelle et en ces temps de confinement n’a pas accès au moindre revenu. Alors, ”entre attraper le Covid et mourir de faim et de soif, le choix est vite fait pour ces populations chez qui la culture du risque n’est pas du tout ancrée”, regrette la maire. Avec l’aide du département, Hanima Ibrahima a réussi à obtenir des bons alimentaires d’une valeur de 110 euros ainsi que la mise en place de citernes d’eau dans les quartiers les plus défavorisés. ”Pourvu que ces gens aient moins de mal à rester confiné avec ces aides », espère-t-elle malgré une solution en demi-teinte… Puisqu’une fois que les citernes d’eau trôneront au milieu des quartiers, elles deviendront autant d’endroits sources de propagation du virus.
Réserve de médecins cubains dans les Antilles
En Guadeloupe, la question de l’eau est également tout aussi prégnante que celle de la viabilité des infrastructures sanitaires. Dans une vidéo publiée par l’Agence France Presse, un habitant de la ville de Petit-Bourg déclare devoir aller chercher de l’eau sur la plage et à la rivière, alors que le confinement est en vigueur depuis trois semaines. ”Du fait du confinement, on utilise plus d’eau que d’habitude et c’est plus compliqué de s’alimenter”, explique l’homme. Difficile donc dans ces conditions de respecter à la lettre les gestes barrières. ”Les coupures d’eau sont un problème récurrent dans certains quartiers de l’archipel et cela touche surtout les plus démunis”, déplore le professeur Michel Carlès, chef de service de réanimation du CHU de Pointe-à-Pitre, tout juste remis sur pied après avoir été lui-même malade du Covid-19.
Pour le moment la Guadeloupe compte 137 cas avérés et 7 décès. Comme partout en France, le praticien s’inquiète du manque de matériel pour faire face à une vague de patients. ”On aurait essentiellement besoin de respirateurs. On en a bien reçu la semaine dernière mais il ne sont pas efficients pour maintenir le souffle d’un patient sur plusieurs jours”, détaille le médecin du CHU dont la pharmacie risque également de vite devenir inutile si elle n’est pas réapprovisionnée dans les prochains jours.
Manque de personnel soignant
Derrière ces inquiétudes, Michel Carlès tient tout de même à rassurer sur la tournure que semble prendre l’épidémie, notamment grâce au confinement mis en place alors que l’archipel ne comptait qu’une trentaine de malades. ”Le nombre de nouveaux cas est faible par rapport aux deux semaines précédentes. Il semblerait que nous soyons dans une phase stagnante que l’on appelle phase plateau”. Néanmoins, beaucoup d’incertitudes demeurent concernant cette phase dite de ”plateau”, sachant que l’évolution du Covid-19 est encore très peu connue. ”La balance pourrait pencher d’un côté comme de l’autre, alors restons vigilants et continuons de nous préparer”, ajoute le praticien.
La Martinique, qui compte désormais 151 personnes atteintes par le Covid-19 et 4 décès, observe le même constat au sujet cette fameuse phase plateau. ”Nous sommes confinés depuis trois semaines et nous devons aller jusqu’au bout de nos efforts”, répète de son côté Catherine Conconne, sénatrice de Martinique. ”D’autant plus que nous avons une population vieillissante, souvent atteinte par les pathologies à risque face au Covid-19, comme le diabète ou encore l’hypertension”.
Dans ce département ultramarin, ce sont les personnels soignants qui semblent faire défaut à l’Hôpital public. Alors le 31 mars dernier, le gouvernement français a décidé d’accepter par décret la venue de médecins cubains sur son sol pour soulager les territoires à la peine. ”Nous n’avons pas de problème sur les services de réanimation”, tient à rassurer Christine Conconne, à l’origine du texte. Sur les 80 lits dont dispose la Martinique, seulement 12 sont occupés pour l’instant. La sénatrice attendait une réponse de l’Etat à ce sujet depuis l’été 2019… Car le manque de médecins ne date pas du Covid-19.
Source : Marianne.fr