— Par Christiane Marty Fondation Copernic —
L’effectif de population active est un paramètre très influent pour l’équilibre financier du système de retraites car, couplé au taux de chômage, il détermine le nombre de cotisants. Alors que le rapport Moreau sur l’avenir des retraites doit être remis la semaine prochaine au Premier ministre, tout exercice de projection du besoin futur de financement nécessite de faire des hypothèses sur l’évolution des taux d’activité des femmes et des hommes. Or les hypothèses de l’Insee sur lesquelles s’appuie le Conseil d’orientation des retraites (COR) se révèlent très conservatrices, et même régressives, vis-à-vis de l’emploi des femmes : elles n’intègrent aucune hausse de leur activité à l’avenir, sauf ponctuellement pour les plus de 50 ans, conséquence attendue des réformes passées. Alors que jusqu’à ce jour, l’activité des femmes ne cessait de progresser – ce qui a permis une réduction (encore insuffisante) des inégalités entre les sexes -, alors que la part des femmes dans la population active se rapprochait de la parité (47,7 % en 2010), cette dernière est projetée à la baisse à partir de 2015 ! Aurions-nous donc atteint le seuil maximal d’égalité envisageable ?
Le taux d’activité des femmes reste pourtant bien inférieur à celui des hommes (84,2 % contre 94,8 % dans la tranche des 25-49 ans en 2010). La France ne se classe qu’au 14e rang européen, loin derrière des pays comme la Norvège, l’Islande, la Suède, etc. qui ne sont pas, eux-mêmes, des modèles indépassables en matière d’égalité. Il y a donc de larges marges de progrès, et on ne comprend pas le scénario du COR qui revient à enterrer l’égalité entre les femmes et les hommes et à priver les régimes de retraite d’un fort potentiel de cotisantes. En effet, si l’activité des femmes rejoignait celle des hommes, quelle que soit l’échéance, l’effectif de population active serait supérieur d’environ 5 % (4,8 % en 2020, 4,9 % en 2030) à celui prévu par les scénarios actuels.
Quel serait alors l’impact sur les recettes des caisses de retraite ? En première approximation, cette augmentation se traduirait, à taux égal de chômage, par un accroissement relatif de même ampleur du volume de cotisations, près de 5 % donc. Or le COR (rapport de décembre 2012) a chiffré la hausse du taux de cotisation qui serait nécessaire pour équilibrer le système de retraites en 2020 : elle est de l’ordre de 2 points (2 % du volume de cotisations). Cela signifie donc que l’égalisation de l’activité des femmes et des hommes suffirait amplement à assurer cet équilibre ! Et même la moitié du chemin suffirait. Un tel scénario de hausse de l’activité féminine n’a rien d’utopique. Car de très nombreuses femmes souhaiteraient travailler (professionnellement) mais y renoncent, ou se contentent d’un temps partiel, par manque de solution pour accueillir leur enfant. Même si la France est plutôt mieux lotie que certains de ses voisins, le besoin de crèches est notoire, estimé à 500 000 places. Lancer un programme d’investissement public pour répondre à ce besoin fait ainsi partie des politiques à mener. Cela participerait d’un cercle vertueux fondé sur une relance économique visant à satisfaire les besoins sociaux, permettant la création de nombreux emplois – qui ont vocation à s’adresser aussi aux hommes -, l’augmentation du volume de recettes sociales comme fiscales et l’amélioration de l’égalité entre les sexes. Une activité féminine plus élevée n’est pas facteur de chômage mais suscite au contraire des activités nouvelles. Or s’il est un domaine où les politiques conduites influent largement, c’est bien celui de l’emploi des femmes : les mesures adoptées en matière fiscale (mode d’imposition des couples), familiale (congé parental), en matière d’égalité professionnelle, de qualité des emplois, influencent significativement le comportement des femmes à l’égard de l’emploi, dans le sens soit d’une incitation au retour au foyer – la modification de l’allocation parentale d’éducation en 1994 a rapidement causé une forte chute du taux d’activité des mères -, soit d’une facilitation de leur présence dans l’emploi, par le développement de crèches, le congé paternel, etc.
On entend fréquemment les analystes se féliciter d’une situation «favorable» de la France, avec son taux de fécondité de 2 enfants par femme – assurant presque le renouvellement des générations – très supérieur par exemple à celui de l’Allemagne (1,4). Ce faible taux est mis en relation, à juste titre, avec la pénurie criante de modes d’accueil des enfants qui contraint souvent les Allemandes à choisir entre avoir un emploi ou un enfant. Le lien qui existe entre la disponibilité de crèches, l’activité professionnelle des femmes (y compris la part de temps partiel) et le taux de fécondité est notoire. Il est donc inouï que cette piste de l’amélioration de l’emploi des femmes reste absente des scénarios officiels ! Mentionnons encore que la suppression des inégalités de salaire entre les sexes représente aussi une source non négligeable de cotisations supplémentaires. Ainsi, des politiques volontaristes en matière d’emploi des femmes sont à même de modifier radicalement l’équation financière des retraites. Le gouvernement a annoncé vouloir réduire les inégalités, en particulier celles qui frappent les femmes. On attend donc des propositions centrées sur une meilleure répartition des richesses et sur une politique en faveur de l’emploi, avec en bonne place, celui des femmes.
Coauteure de «Retraites : l’heure de vérité» (Syllepse 2010) et «Le Féminisme pour changer la société» (Syllepse 2013).