Le fondateur de Free a jusqu’au 2 mars pour présenter un plan de reprise du quotidien d’outre-mer, mis en liquidation judiciaire le 30 janvier.
— par Sandrine Cassini —
Quelle mouche a piqué Xavier Niel, actionnaire à titre personnel du Monde ? Depuis que le tribunal de commerce de Fort-de-France a dévoilé, mardi 18 février, l’intention de l’homme d’affaires de sauver le quotidien France-Antilles, présent en Guadeloupe, Guyane et Martinique, l’heure est à l’interrogation chez les salariés. « C’est politique. C’est en tout cas comme ça qu’on le perçoit. Ne pas avoir de quotidien dans ces territoires, c’est compliqué par rapport à tout ce qui circule sur les réseaux sociaux », tranche Caroline Bablin, la rédactrice en chef de France-Antilles Guadeloupe.
Une chose est sûre : la fermeture du seul quotidien des Antilles constituait « un sujet de préoccupation majeur » pour le gouvernement. Lors de ses vœux à la presse, le 15 janvier, Emmanuel Macron s’était ému de la situation. « Des mesures spécifiques seront prises pour la presse en outre-mer, particulièrement fragilisée », avait alors lancé le locataire de l’Elysée.
Depuis la mise en redressement judiciaire du quotidien, en juin 2019, l’Etat n’avait pas ménagé sa peine pour le sauver, se disant même prêt à investir. Las ! L’actionnaire actuel, AJR Participations, dirigé par Aude Jacques-Ruettard, petite-fille de Robert Hersant, qui avait lancé la première édition de France-Antilles en Martinique en 1964, n’avait pas réussi à boucler son plan de continuation. Le 30 janvier, le tribunal avait donc prononcé la mise en liquidation judiciaire.
Le quotidien « France-Antilles » disparaît des kiosques
« Ce sont des territoires complexes sur le plan politique, avec des tendances quelque peu extrémistes, des mouvements indépendantistes… L’absence de presse écrite régionale pose question », explique Frédéric Verbrugghe, directeur général de France-Antilles. « Il y a des sujets chauds comme le chlordécone, cet engrais toxique utilisé dans les bananeraies. C’est pour cela qu’il faut un canal d’information, qui permet de modérer le “makrélaj” [les ragots, en créole] », corrobore une source proche du groupe. Sans parler du fait que le Rassemblement national gagne progressivement du terrain à chaque élection et ce, à deux ans du scrutin présidentiel.
« Montagnes russes émotionnelles »
Paradoxalement, ce n’est que très tard – fin janvier – que le ministère de la culture a contacté Xavier Niel. « Jusqu’à la dernière minute, tout le monde pensait qu’il y aurait un repreneur », explique une source. « Le personnel politique et l’opinion publique s’étaient convaincus que rien ne pouvait arriver à France-Antilles. Le président de la région Guadeloupe, Ary Chalus, avait réagi, mais Alfred Marie-Jeanne, de la collectivité territoriale de Martinique, pas du tout. Et les députés se sont manifestés de manière sporadique », complète Frédéric Verbrugghe.
Que proposera Xavier Niel, qui avait déjà repris Nice-Matin au nez et à la barbe d’Iskandar Safa, le propriétaire de l’hebdomadaire de droite Valeurs actuelles, pour sauver France-Antilles ? Le fondateur de Free, qui ne fait pas de commentaires, doit déposer son offre au plus tard le 2 mars, pour une décision du tribunal le 10 mars.
Le groupe emploie 235 personnes, réalise un chiffre d’affaires de 28 millions d’euros et perd jusqu’à 6 millions d’euros par an. L’homme d’affaires a promis « la reprise d’un nombre significatif de salariés » et « un vrai projet de presse quotidienne », selon un communiqué de NJJ, le holding personnel du milliardaire, cité par l’Agence France-Presse.
Mardi, au tribunal de commerce de Fort-de-France, les syndicats de France-Antilles Martinique ont accueilli favorablement l’arrivée de Xavier Niel, tout en émettant un certain nombre de réserves. « Ils souhaitent rencontrer M. Niel ou son représentant, demandent des garanties sociales et le maintien de l’outil industriel en Martinique », relate Mélinda Boulai, journaliste à France-Antilles Martinique. « Ils veulent aussi des précisions sur la ligne éditoriale et l’ouverture d’un plan de départs volontaires à ceux qui en ont assez », précise Caroline Bablin, qui évoque « les montagnes russes émotionnelles » vécues par les salariés depuis huit mois. En attendant, les salaires seront payés au moins jusqu’au 10 mars.
Source : LeMonde.fr