— Par Roland Sabra —
José Chalons
Chorégraphie et auteur du projet : José Chalons. Interprètes: Yna Boulangé et José Chalons. Création musicale : Maurice Bouchard et Alfred Fantone. Collaboration artistique, son- lumière : Dominique Guesdon et Valéry Petris.
1959 au Japon, un jeune garçon, seul sur scène, danse ( Bu) frappant des pieds(Tô) sans musique, couvert de craie, mime un rapport sexuel avec un poulet suivi de l’étranglement du volatile entre ses cuisses, puis se laisse approcher, dans l’ombre, par un homme plus âgé… Le scandale immense, préside à la naissance du Butô. Tatsumi Hijikata, avec son spectacle « Hijinsky » (« couleur interdite ») vient de poser un acte.
En moins d’un siècle depuis l’avènement de l’ère Meiji, le Japon féodal a fait alliance de la façon la plus totale, totalitaire même, avec la modernité la plus extrême dont la dernière ponctuation porte les noms douloureux d’Hiroshima, Nagasaki. Le Butô est est un non qui fait nom. Non à cette alliance barbare au nom d’une autre alliance critique, d’une part celle de l’ « Ausdrucktanz »,celle des « maudits » tels Sade, Lautréamont, Artaud, Bataille, Genet et d’autre part celle de la lenteur, du minimalisme, de l’ésotérisme de la tradition Nô et d’anciens rites shintô. La gestuelle, d’une certaine lenteur donc s’accompagne de positions torturées expressions catharsiques d’un oubli de soi à l’image de l’effacement de l’homme dans la modernité. Le ralentissement du mouvement a pour but de brouiller l’origine du geste, son déroulement et son accomplissement en contrariant le travail du logos. Le danseur ne figure pas , ne mime pas la situation mais il la crée. Il est la situation. Les corps sont des objets manipulables et manipulés, des produits déformables et déformés, mais toujours réfractaires in fine, à la totalisation. La « Part maudite »,l’excès, le sexe, la violence et la mort, l’érotisme donc, échappent à l’enfer-me-ment du sens.
Il existe autant de Butô qu’il existe de danseurs, de l’esthétisme de Sanka Jukku à la brutalité joyeuse de Dancing Love Machine. José Chalons lui, est passé par l’Afrique et il nous propose avec « Substance de vie » un spectacle Afro-Butô, ressemblant étrangement par moment à celui que la Cie Transit avec Cinzia Menga et Cécile Raymond présentait l’an dernier sur la péniche » La Légia « à Liège.
Le travail est intéressant, les lumières de l’incontournable Guesdon sont belles comme d’habitude, même s’il lui a fallu s’inventer de nouveaux repères en passant du théâtre à la danse. La création musicale d’inspiration africaine, est tout à fait réussie. La magie pourrait opérer. Mais voilà et c’est un vrai problème en Martinique le nombre de présentations d’un spectacle est tellement réduit que presque toujours l’impression d’une prestation « en rodage » finit par l’emporter. José Chalons et Yna Boulangé se cherchent sur scène et ne se trouvent pas toujours, d’autant plus que José Chalons, avec son métier, occupe ostensiblement, l’espace scénique. Même quand il ne danse pas il est là, statufié sur le devant de la scène et cela ne semble pas sans effets inhibiteurs sur sa partenaire fort convaincante par ailleurs. Enfin le propos mériterait d’être raccourci et plus explicite. Voilà encore un spectacle qui re-travaillé, joué de nombreuses fois devrait emporter l’adhésion la plus grande.
José Chalons et Yna Boulangé ont le mérite de nous présenter en Martinique un spectacle qui sort des sentiers battus, pourquoi faut-il donc qu’ils aient eu si peu de temps devant eux. Gageons que, dans un an, la réussite sera plus grande. Il suffit pour cela que l’on daigne leur donner les moyens nécessaires. Le spectacle en vaut la peine.
19/02/2006
Roland Sabra