–Tribune libre de Yvon Joseph-Henri —
Dans la bataille qui est conduite aujourd’hui en Martinique, en reflet de celle qui est menée en France hexagonale, chacun doit comprendre que l’issue de ce combat sera mortelle pour l’un des camps. Pourquoi ? Parce que le pouvoir en place a déjà choisi sa stratégie : le président est prêt à faire une croix sur les élections municipales pour gagner cette confrontation qui lui permettra, s’il réussit, d’anéantir les syndicats, les partis d’opposition s’il en reste, et le gros de la population – les « sans-dents » de Hollande – définitivement écrasée de taxes, d’impôts et de chômage.
Dans ce contexte, ce qui se passe en Martinique ne laisse pas d’être inquiétant d’amateurisme.
Un syndicaliste digne de ce nom mouille sa chemise intellectuellement et physiquement. Ce n’est le cas de quasiment personne, en tout cas pas des grosses centrales syndicales. Inviter à des réunions publiques à la Maison des Syndicats n’est pas sérieux dans la conjoncture actuelle. Il faut aller à la rencontre des syndiqués, les interpeller, leur expliquer, les entraîner…Je ne crois pas avoir vu réellement cela.
Face à l’apparente complexité et au brouillage de la situation en Martinique, il faut aussi être clair, et sans langue de bois, expliquer que si le premier degré ne bouge guère, c’est sans doute parce que l’UNSA fait partie des réformistes. C’est son droit, mais cela ne doit pas jeter l’opprobre sur ceux qui font grève. Car, fondamentalement, reste posée la lutte d’un grand nombre d’acteurs notamment du second degré contre la réforme des retraites et, en sus pour le lycée, la lutte contre la réforme bâclée du baccalauréat et le scandale d’un contrôle continu dont les collègues voient bien qu’il n’est pas mis en place pour servir la réussite des élèves mais la réussite d’une casse de l’Éducation. Cela fait beaucoup mais porte la revendication de la majeure partie de la population.
Or, rajouter par exemple à ceci l’exigence d’un départ du recteur n’est qu’un brouillage de pistes qui démobilisera les grévistes en cas de succès, en leur faisant croire qu’ils ont gagné quelque chose alors que le prochain recteur appliquera les mêmes consignes !
Il reste aussi à fustiger des syndicats mous, bureaucratiques dans une période où un bulletin aurait été plus que nécessaire, ou la connaissance de ce qui se passe dans les moindres recoins de l’académie servirait à mobiliser les différents acteurs en leur donnant véritablement le sentiment qu’ils sont loin d’être seuls, et qu’ils portent au contraire une revendication qui l’emportera. Il faut plus que jamais que nos responsables se mobilisent, se déplacent et expliquent en long et en large que les médias nationaux trop souvent mentent ou se taisent, complices du pouvoir. Ils doivent aussi rassurer ceux qui perdent espoir en leur expliquant que faire grève est difficile psychologiquement et que les syndicats ont des stratégies pour allumer les feux sans épuiser les acteurs. Et puis, on attend de ces responsables qu’ils aient de véritables relais dans les collèges et les lycées, que ceux-ci mobilisent et reçoivent la visite des responsables locaux au plus haut degré.
La seule stratégie qui permette de durer est l’organisation de grèves à tour de rôle à l’intérieur des établissements et d’un établissement à l’autre. Or, ceci ne s’organise pas spontanément ! Il faut un moteur, le responsable syndical à l’échelle de la Région ou du département. Il faut un numéro de téléphone accessible à tous, il faut une publication journalière des classes et/ou des établissements touchés par la grève, du pourcentage de grévistes et communication à France Antilles et à la radio, etc… etc…Une mobilisation se crée !
Et puis, comment ne pas ressentir la gêne de la population, qui adhère pleinement à la revendication initiale d’un rejet de cette réforme des retraites, mais s’inquiète pour sa jeunesse ? Population qui s’interroge aussi sur la possibilité, derrière cette bataille, d’une autre bataille, politique, plus locale tant certains syndicats voient leurs secrétaires impliqués dans les bureaux politique d’un même mouvement politique. Depuis 2009, la population se défie des syndicats. Ils gagneraient à plus de limpidité, et de clarté dans leurs actes ; mais cela passera sans doute par un renouveau d’individus.
Enfin, il reste, pour la population, pour nos élèves, à bâtir une école de la réussite. Récemment, le recteur pointait un différentiel de 7 points en moins pour la Martinique par rapport à la France. Quand on sait que si 61% de nos élèves réussissant au baccalauréat sont reçus au second groupe d’épreuves, lorsque traditionnellement, les pressions sont exercées sur les correcteurs ou les présidents de jury pour relever les notes des candidats, on peut se dire que nos élèves, avec parcours Sup, n’ont majoritairement aucune chance de faire des études longues et prestigieuses dans de grandes écoles. Quelles sont nos réponses, nos propositions dans une mondialisation des métiers, des emplois ? Il serait grand temps de se mettre au travail ce qui rassurerait les parents et éviterait toute fuite vers un privé étrangement muet aujourd’hui.
Fort-de-France, le 27 janvier 2020
Yvon JOSEPH-HENRI
Professeur retraité de l’Education Nationale
Ancien secrétaire du lycée V. Schoelcher,
Ancien secrétaire académique du SNES Martinique
Ancien secrétaire départemental de la FSU Martinique
Ancien membre du Ceser Martinique