Notre sélection jazz en 2 sets. Erroll Garner, Baptiste Trotignon, Roberta Martin, Kamilya Jubran & Werner Hasler, Coltrane, Stephane Belmondo & Sylvain Luc, « The Sound Before The Fury – Archie Shepp », aujourd’hui. Seconde partie, demain. Ce florilège veille à représenter jazz ancien et approche contemporaine, artistes jeunes et plus âgé.e.s, hommes et femmes, sans oublier les créateurs et créatrices issu.e.s de cette diversité qui contribue à la richesse culturelle et humaine de la France. Erroll Garner, facétieux démiurge du swing
Collection « Octave Remastered » (Mack Avenue/Pias)
Sur les 4 rééditions « Dreamstreet » (1959), « Closeup in Swing » (1961), « One World Concert » (1962) et« A New Kind of Love » (1963), le facétieux démiurge du piano (et prolifique compositeur) sévit avec une virtuosité jubilatoire. Chaque volume procure du bonheur. Les mélomanes aimant le live choisiront « One World Concert ». Si on préfère un grand orchestre à la somptueuse section à cordes, on se procurera « A New Kind of Love ». Garner officie en trio avec Eddie Calhoun (contrebasse) et Kelly Martin (batterie) sur les 3 autres CD. On se régalera avec les 9 minutes euphoriques de « Oklahoma ! Medley », sur « Dreamstreet ». Enfin, sur « Closeup in Swing » (« St. Louis Blues » et « All Of Me », entre autres), souffle aussi un beau vent d’inventivité.
12 CD séparés ; selon MP3 ou CD ou vinyle, env. de 10 à 14 euros
Vidéo, « St. Louis Blues », Erroll Garner, du disque « Closeup in Swing »
Baptiste Trotignon, le piano à fleur de frisson
« You’ve Changed » (Okeh/Sony)
Dès la première plage, jeter aux orties ses préjugés et s’abandonner à la douce mélancolie de la ballade « I’m a Fool to Want You », que chantèrent Frank Sinatra et Billie Holiday, et qu’interprètent ici Camélia Jordana (révélée par la Nouvelle Star) et le pianiste français multi-récompensé, dans un duo dépouillé, à fleur de frisson. Baptiste Trotignon a enregistré ce CD en solo ou en duo, notamment avec le trompettiste Avishai Cohen (sur le standard « You’ve Changed »), le violoncelliste Vincent Ségal (« Adios », de Trotignon) et Thomas de Pourquery (au chant, dans « Sugar Man », de Sixto Rodriguez). Au fil de reprises, de compositions originales et de pièces totalement improvisées, Baptiste Trotignon livre un art pur, introspectif, dans un écrin acoustique de toute beauté.
Vidéo, Baptiste Trotignon, avec Camélia Jordana, « I’m a Fool to Want You » (teaser)
Roberta Martin, premier groupe vocal mixte
« The Roberta Martin Singers 1947-1962 » (Frémeaux & Associés/Socadisc)
Cette édifiante anthologie de 3 disques braque les feux sur un matrimoine insuffisamment connu. Le spécialiste Jean Buzelin a effectué la sélection des 72 plages et rédigé l’excellent texte du livret. La pianiste, chanteuse, compositrice et arrangeuse Roberta Martin (1907-1969) dirige, avec l’intelligence du cœur et de l’esprit, sa formation vocale gospel, premier ensemble gospel mixte (dans le sens féminin-masculin). On préfèrera, selon sa sensibilité, les faces Apollo (1949-1955), frémissantes d’authenticité, ou la période suivante (pour le label Savoy), pétrie de maturité. On entend bien plus que des chants gospel religieux : se dessine la puissance d’un style qui, déjà, sème les graines de la soul music et qui sortira de l’église pour s’imposer comme expression artistique à part entière.
Coffret de 3 CD, 29,99 euros, chez les disquaires, à la Fnac et ici
Vidéo, The Roberta Martin Singers, « I Shall Know Him » (1962), du CD 3.
Kamilya Jubran & Werner Hasler, abstraction lyrique
« Wa » (Everest Records)
Pour leur 3e disque, Kamilya Jubran (chanteuse et joueuse d’oud française d’origine palestinienne) et Werner Hasler (trompettiste et créateur électro helvétique) poursuivent leur exploration, imbriquant étroitement langage verbal et langage musical. Non pas explicites, mais suggestifs, les mots (en arabe) contribuent, en osmose avec la musique, à imprimer peu à peu, dans notre imaginaire, une saisissante abstraction lyrique. Répétitivité lancinante, ruptures inopinées, timbres insolites… « Wa » interroge et fascine.
Vidéo, Kamilya Jubran & Werner Hasler, « Yama », du CD « Wa »
John Coltrane, pépite exhumée
« Blue World » (Impulse/Universal)
En 1964, pour la BO du film « Le chat dans le sac » (du Québécois Gilles Groulx), cette musique fut enregistrée par le mythique saxophoniste et compositeur et son quartet historique (McCoy Tyner, piano ; Jimmy Garrison, contrebasse ; Elvin Jones, batterie). Une pépite récemment exhumée. Certes, 3 prises du morceau « Village Blues » côtoient 2 prises de « Naima », outre les titres « Blue World », « Traneing In » et « Like Sonny ». Mais, y compris en terrain (apparemment) connu, le génie de Trane nous subjugue.
Selon CD ou vinyle, env. de 13 à 23 euros :
Vidéo, John Coltrane, « Blue World », du disque éponyme
Stephane Belmondo & Sylvain Luc, douce maestria
« 2.0 » (Naïve/Believe)
Avec Stephane Belmondo (à la trompette, au bugle et même, ici, à l’accordéon, son premier instrument) et Sylvain Luc (guitare) fêtent, avec « 2.0 », vingt ans après, les retrouvailles de leur duo doux et audacieux. Dans le passé, leur discrète maestria a servi les plus grands, tels que Chet Baker et Dee Dee Bridgewater pour Stephane Belmondo, Al Jarreau et Michel Portal pour Sylvain Luc. La formule magique du disque « 2.0 » recèle neuf compositions originales de l’un ou de l’autre, trois pièces surgies de l’improvisation et deux reprises (une de Philippe Sarde et l’autre de Stevie Wonder). Leur virtuosité, empreinte d’humilité, peint des univers enchanteurs, tantôt mélancoliques, tantôt ensoleillés. De la dentelle.
Selon CD ou MP3, 10 ou 14 euros
Vidéo, Stephane Belmondo & Sylvain Luc, EPK du CD « 2.0 ».
« The Sound Before The Fury – Archie Shepp », le cri d’Attica
Documentaire de Lola Frederich et Martin Sarrazac (Les Mutins de Pangée)
Le son précédant la fureur (« The Sound Before The Fury ») : un titre bien choisi pour ce documentaire fulgurant. Fruit d’une production indépendante, le film est remarquablement construit. De judicieux allers-retours font le lien entre, d’une part, la révolte réprimée dans le sang au pénitencier d’Attica par les autorités états-uniennes en septembre 1971 et, d’autre part, la re-création de l’album « Attica Blues » menée, 40 ans plus tard, en 2012, par Archie Shepp avec un big band franco-américain. En effet, quelques mois après le massacre, le légendaire saxophoniste, compositeur et activiste avait enregistré, en guise de protestation, « Attica Blues » (1972), foudroyant kaléidoscope sonique de la Great Black Music.
En bonus, des images extraites du concert au festival Jazz à la Villette 2012, réalisées par Frank Cassenti, complètent le puissant hommage que Lola Frederich et Martin Sarrazac rendent aux victimes d’Attica en même temps qu’à la science et à la conscience d’Archie Shepp.
DVD, 102 minutes, 17 euros, ici
Vidéo, extrait de « The Sound Before The Fury – Archie Shepp »
Nat King Cole, suprême élégance
« Incomparable ! » (Cristal/Sony)
Bravo à l’érudit Claude Carrière pour ses morceaux choisis et son texte de livret (en français et anglais). Cette anthologie présente astucieusement Nat King Cole (1919-1965) selon 3 thématiques en autant de CD. Le CD 1 (« The Voice ») s’attache au crooner et à ses versions suaves de « Unforgettable », « Nature Boy », « The Christmas Song »… Dans le CD 2 (« The Trio »), on l’entend à la tête de sa formation de prédilection : lui au piano et au chant, avec un guitariste et un contrebassiste ; parfois en duo ou avec des invités, tels que le délicieux trompettiste Harry « Sweets » Edison et Stuff Smith, pionnier du violon jazz. Exclusivement au piano dans le CD 3, la star américaine des années 1940-1950 déploie, du trio au grand orchestre, sa maîtrise instrumentale. Au total, 3 heures d’élégance suprême.
Coffret de 3 CD, 20 euros, disponible ici :
La diva Ella et le glaneur de sens Jean-Pierre Leloir
« Ella Fitzgerald, Les sessions photographiques » (éd. Glénat)
Avec ce livre sur Ella Fitzgerald, la collection « Les sessions photographiques de Jean-Pierre Leloir » propose une admirable rétrospective sur quatre décennies de tournées en Europe. Du premier concert de la diva du jazz en France en 1955 (au Théâtre des Champs Elysées) à la prestation scénique de 1980 au Palais des Congrès , l’éminent et regretté Jean-Pierre Leloir (1931-2010) n’a cessé d’immortaliser des moments de magie, saisis sur scène, dans les aéroports, en coulisses, dans les festivals…
Les textes sont signés de Jean-Michel Boissier et la préface, de Marion Leloir, fille de Jean-Pierre. En noir et blanc ou en couleur (avec quelquefois des effets de filtres), les clichés traduisent la patience et la passion qui animaient le glaneur d’images gorgées de sens. Ici, le pianiste Oscar Peterson murmure une confidence à l’oreille de la chanteuse. Là, on voit cette dernière à la salle Pleyel en 1966 avec son complice, le pianiste Duke Ellington. Ou encore en 1964 au festival de jazz d’Antibes Juan-les-Pins, où son dialogue improvisé avec les cigales (particulièrement loquaces ce soir-là !) deviendra une pièce d’anthologie de l’album « Ella At Juan-les-Pins » (voir vidéo ci-dessous). Plus de 250 photos, dont nombre d’inédites, et des notes de carnets. Bref, davantage qu’un beau livre, une splendeur.
Livre de 192 pages, 39,95 euros, en librairie et sur Internet.
Louis Sclavis abolit les murs
« Characters On A Wall » (Ecm)
Inspiré par l’art urbain d’Ernest Pignon-Ernest exposé notamment à Ramallah, ce disque, produit par Manfred Eicher (boss du label Ecm), abolit les murs entre jazz, musique contemporaine et même un certain classicisme. Avec son remarquable nouveau quartet (Benjamin Moussay, piano ; Christophe Lavergne, batterie ; Sarah Murcia, contrebasse), le clarinettiste lyonnais sait allier à la rigueur fertile de son écriture à de troublants envols vers l’improvisation. Au mystère de la musique s’ajoute celle de titres évocateurs, comme « Prison », « Extases » et « Darwich dans la ville ».
Selon le format (CD, MP3 ou vinyle), entre 12 et 20 euros.
Alain Jean-Marie, hallucinant cocktail bop-biguine
« The Complete Biguine Reflections » (Frémeaux & Associés/Socadisc)
Embrassant bop et biguine dans une même étreinte, le maestro du piano comble notre corps et notre esprit. Il concilie autorité dans le jeu et invitation au déhanchement. En 4 CD, sont regroupés 5 de ses disques, enregistrés en trio entre 1992 et 2013. Avec Eric Vinceno à la basse et Jean-Claude Montredon à la batterie, sauf pour le CD 1 où Serge Marne est derrière les fûts et cymbales. De son hallucinante technique, le modeste géant guadeloupéen ne fait nul étalage. En chaque note, se nichent vive sensibilité, sagacité musicale et swing pétillant. Outre ses propres compositions et celles d’artistes actuels, Alain Jean-Marie revisite des pièces d’éclaireurs antillais – Robert Mavounzy, Al Lirvat, Eugène Delouche, etc. Ce corpus, qui appartient au patrimoine culturel vivant de France, mais aussi du monde, devrait être disponible dans les conservatoires, écoles et autres lieux de transmission.
Coffret de 4 CD, 30 euros ici :
Marion Rampal & Pierre-François Blanchard, un rêve poétique éveillé
« Le secret » (MusicOvations/L’autre distribution)
La chanteuse et le pianiste traversent les siècles, les styles et les géographies, avec une véritable cohérence. Mélodies classiques, jazz et chanson dialoguent à travers l’interprétation prégnante qu’accomplit le duo (auteur de deux des titres). Verlaine est associé à Debussy, Chausson ou Fauré. Se côtoient aussi des textes ou des musiques de Brigitte Fontaine, Pierre Barouh, Michel Legrand, Agnès Varda, etc. Le spleen d’un blues de prison (plage 10, avec Archie Shepp en invité) fait un écho étrange et pénétrant au poème « Le ciel par-dessus le toit » (plage 3), que Verlaine écrivit en geôle, et dont la version, en ce disque, entrelace subtilement la voix souveraine de Marion Rampal et les inflexions exquisément éraflées du saxophone ténor (par Archie Shepp). Un rêve poétique éveillé.
Selon format MP3 ou CD, env. 8 ou 13 euros, ici et ici :
Miles Davis, visionnaire
Miles Davis, « Rubberband » (Rhino/Warner)
Inédit, ce bijou enregistré par le musicien visionnaire en 1985-1986, puis sorti des tiroirs en 2017, et achevé par son neveu Vince Wilburn (batteur dans cet album) et les producteurs d’origine Randy Hall (à la guitare ici, aussi) et Zane Giles (de plus à divers instruments). Ont été ajoutées des pistes, à l’instar de celles où Ledisi et Lalah Hathaway chantent (chacune sur un morceau). Trompette inimitable de Miles (en outre aux claviers sur certains titres), joie d’entendre Mike Stern, Bob Berg, Felton Crews, les percussionnistes Steve Thornton et Marilyn Mazur… Cet album à l’énergie funk combine magistralement jazz, astucieux arrangements orchestraux, éléments caribéens (sur « Carnival Time »), grooves dansants, avec un son résolument actuel peaufiné par les producteurs.
Selon format MP3, CD ou double vinyle, env. 11 euros, 17 euros ou 24 euros, plateformes d’achat
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