— Par Roland Sabra —
Ce premier concert a été pour beaucoup, et j’en suis, une découverte, celle d’une pianiste qui balance avec audace, autorité et beaucoup d’aplomb, entre puissance, finesse, élégance et des pointes de fulgurance qui émanent de l’obéissance de l’instrument à ses moindres gestes. Marialy Pacheco, c’est elle, réécrit les codes de son univers pianistique, bouscule les habitudes, et rappelle à tout un chacun, qu’elle ne tolérera aucun accommodement avec ce qui pourrait porter ombrage à l’épanouissement de son art musical. Et cela avec fermeté et délicatesse dans une célébration de l’exigence et du divertissement. Il faut dire qu’elle est allée à bonne école.
Née à la Havanne elle a grandit dans univers musical affirmé. Les deux parents, ainsi que sa tante, sont des musiciens de formation classique. Elle commence elle-même sa propre éducation musicale avant d’être admise à l’age de sept ans au Conservatoire Alejandro García Caturla à La Havane. A l’age de quinze ans elle entre à la Escuela Nacional de Artes dont elle ressort à l’age de dix-neuf ans diplômée avec mention pour se diriger vers la composition musicale avec Tulio Peramo Cabrera à l’ Instituto Superior de Arte de La Havane. En 2004, elle a vint-et-un an elle accompagne sa mère aux World Choir Games à Brème en Allemagne et elles remportent ensemble deux médailles d’or. Le jeu pianistique de Marialy Pacheco a fait sensation. Elle retourne en Allemagne l’année suivante pour enregistrer son premier album. Cette reconnaissance européenne en Allemagne explique sans doute son installation dans ce pays en 2013. L’année suivante elle est la première pianiste de jazz femme au monde à devenir un «artiste Bösendorfer officiel» dont le premier dans la série n’est autre que Franz Liszt, célèbre pour son jeu passionné.
A l’instar de l’ensemble des pianistes cubains elle possède une solide assise classique. Dans un entretien déjà ancien elle confiait : “A mon avis, ce qui fait la particularité des pianistes cubains ; c’est qu’ils possèdent cette faculté de jouer du classique, le jazz et bien d’autres rythmes du fait de leur solide formation. Nous possédons une excellente technique qui nous permet d’aborder sans grande difficulté toutes les musiques.”
Le concert de Fort-de-France le confirme, un peu de blues, du jazz, du traditionnel revisité, du classique repeint aux couleurs caraïbes, du plaisir partagé. De sa main gauche elle joue la basse, entraîne le discours musical qui sert de support aux mélodies de sa main droite dont elle souligne la profondeur. Et c’est dans ce jeu de dialogues, de rapprochements, d’éloignements, de disputes et d’embrassades que la magie de l’envoûtement prend naissance.
De magie il sera aussi question dans le deuxième set, mais sur un tout autre mode. Un peu hâbleur, mais par ailleurs d’une générosité sur scène sans limiotes, Richard Bona dira de la tournée qu’il poursuit avec son complice Alfredo Rodriguez, et qui les baladent de Singapour à Rio de Janeiro en passant par Fort-de-France, que c’est cette dernière étape qu’il préfère. La veille ils étaient à L’Artchipel, je parierais qu’il a dû dire la même chose au public guadeloupéen. Le percussionniste et chanteur Pedrito Martinez qui devait les rejoindre était absent pour cause d’incendie de sa maison. Tristesse. Mais comme dirait Sacha Guitry, ces trois là font la paire !
Entre le chanteur, bassiste, multi-instrumentiste camerounais et le pianiste, chanteur cubain il y a une passion pour la musique afro-cubaine et les belles rencontres musicales faites de tonalités originales.
Richard Bona est lui aussi né dans une famille de musiciens. Il apprendra dès l’enfance passée dans l’Est du Cameroun le balafon. Presque trentenaire il quitte le pays, s’installe à New York et va multiplier pendant une quinzaine d’années les rencontres avec des artistes du monde entier à la croisée d’une foule d’influences (jazz, bossa, pop, afro-beat, chants traditionnels, funk…). Il se dit de lui, et c’est un bel hommage, qu’il a « donné à la musique africaine une dimension nouvelle, réellement universaliste. » D’héritage, le nom de son dernier album en invention il cultive le mélange des genres à l’image de sa hauteur de voix quand il chante et la gravité du registre qu’il emprunte quand il parle.
La carrière d’Alfredo Rodriguez été lancée suite à sa rencontre avec Quincy Jones au Montreux Jazz Festival en 2006. Formé à la rigoureuse école cubaine, il peut se permettre des échappées aussi bien du coté de Bach que de celui d’Astor Piazzolla sans oublier son attirance, sa passion même pour la musique afro-cubaine mâtinée de jazz. Son rapport à l’instrument est plus rude, je n’ose dire plus virile en ces temps de gender studies, que celui mis en œuvre dans le premier set, mais il relève de la même maîtrise.
La complicité qu’entretiennent sur scène Richard Bona et Alfredo Rodriguez est un vrai bonheur et la soirée n’en était que plus réjouissante. Un MJF 2019 bien parti.
Fort-de-France, le 01/12/19
R.S.