— Par Scarlett Jesus —
« La beauté devant moi fasse que je marche », ne voilà-t-il pas un titre bien long, pour un roman si court, un roman d’à peine 119 pages !
Mais le paradoxe ne s’arrête pas là puisque le roman prétend vouloir rendre compte de « l’immanente beauté du drame ». Réunissant deux termes qui s’opposent, la formule relève de l’oxymore.
Un vrai « roman », nous certifie l’auteur, affirmant que « les personnages sont fictifs ». Doit-on accorder du crédit à une soi-disant fiction alors que celle-ci adopte la forme d’un journal intime à la première personne ? N’avons-nous pas plutôt affaire à un « mentir vrai » qui, comme le disait Aragon, utiliserait un matériel autobiographique pour dire le vrai ?
Le matériel en question se présente sous la forme de fragments, ou « pensées » ou sens large, que l’auteur va organiser comme la toile de fond d’une action construite autour de deux personnages : un homme, Jérôme, et une femme, la narratrice, dont on ignorera jusqu’au bout le nom. En dépit de nombreux indices, le pacte de lecture imposé nous interdit d’affirmer formellement que le JE du personnage est bien celui de l’auteur.
Le déclencheur de l’action revient, comme l’indique l’incipit, au geste d’une amie venue offrir un carnet, alors que la narratrice confesse « écrire sa vie sur un carnet ». Ce qu’attesteront d’ailleurs les pages qui suivront, issues de neuf carnets différents. Elles constitueront autant de feuillets sensés rendre compte d’une vie et des drames que celle-ci a traversés. Mais aussi de l’existence de la beauté qui lui a permis de transcender ses malheurs et d’avancer.
Le drame tient en quelques mots. C’est d’abord l’histoire d’une trahison, celle de l’homme que l’on a aimé qui quitte sa compagne pour une autre. Lorsqu’il lui reviendra, cette dernière sera confrontée à un second drame, son compagnon étant subitement victime d’un accident cardio-vasculaire. C’est donc l’histoire d’un long cheminement, d’une « marche » aux allures de « voyage au bout de la nuit » que relate la narratrice. Mais un voyage qui débouchera sur la conviction que l’« immanente beauté » témoigne d’un au-delà dépassant les simples événements du réel.
C’est, bien entendu, à l’art que la notion de beauté renvoie en premier lieu. Cette passion est aussi bien partagée par la narratrice que par l’écrivain qui, parallèlement à l’écriture de romans, a tenu pendant de nombreuses années une galerie d’art. A cette dernière revient le choix de l’illustration de la maquette de couverture : une esquisse de Chagall dans laquelle se retrouvent nombre de symboles propres au roman : le couple, l’arbre (évoquant le raisinier bord de mer du jardin), la mer, le soleil, la spiritualité que suggère l’oiseau et le surgissement du merveilleux et du mystère lié à la verticale d’un poisson aux dimensions disproportionnées. A l’instar de la dualité du yin et du yang, le rouge qui imprègne l’esquisse de Chagall correspond aussi à la couleur d’un réveil à la stridence irritante qui s’oppose, dans le roman, à l’omniprésence de bleu de la mer et du ciel, propice à la contemplation, à la méditation et au rêve. Le personnage de la narratrice, elle également passionnée d’art et possède plusieurs toiles d’artistes dans lesquelles son regard peut s’abimer. Elle évoquera une œuvre de Thierry Alet et une autre de Calixte Henri, peintre haïtien.
Par-delà les drames traversés, la fuite d’un temps dont on cherche les repères, et des questions laissées sans réponse (« Qui sommes-nous ? », « Pourquoi écrit-on…? »), la narratrice procède à une quête spirituelle dans laquelle elle rejoint les peintres dits surréalistes ou naïfs, mais aussi la « pensée magique » des Indiens Navajos, la philosophie bouddhique ou encore la mythologie des Egyptiens.
Ainsi, l’écriture de Michèle Cazanove cherche-t-elle à s’extraire d’une réalité par trop prosaïque concernant la maladie, les soins à apporter ou encore l’hôpital. Elle y parvient par des rituels de guérison aussi magiques que le sont les chants sacrés des Navajos ; ou encore au moyen de rituels personnels de méditation « d’avant jour », dont témoigne la transcription d’impressions ressenties face à une aube semblable à celle d’un premier matin du monde. Une écriture poétique que l’on pourrait qualifier d’impressionniste et qui permet au personnage de se fondre dans le mouvement de cette houle qui lui fait face. A l’issue du roman, avec la guérison de son compagnon et l’amour retrouvé, la narratrice aura, elle-aussi, pansé ses plaies. C’est avec sérénité qu’elle envisagera désormais « le vieil âge » comme un recommencement qui serait aussi un « rajeunissement ». Se sentant totalement en harmonie avec le flux et le reflux de la houle, image parfaite de cette énergie qui aspire à la Vie.
Scarlett JESUS, 18 novembre 1019.
« La beauté devant moi fasse que je marche », roman écrit par Michèle Cazanove sous la forme d’un journal et publié par Edilivre.