— Par Alain Nicolas —
Avec l’attribution du Wepler à Lucie Taïeb et de sa mention à Bruno Remaury, les jurys des prix d’automne ont presque tous rendu leur verdict. Premier bilan de la cuvée 2019.
La course aux prix tire à sa fin. Si quelques couronnes (les prix des lycéens, l’Interallié, le Flore) attendent encore leurs lauréats, les grandes tendances se sont confirmées avec l’attribution du prix Médicis le 8 novembre et du prix Wepler-Fondation La Poste hier. Avec Luc Lang et Lucie Taïeb, deux beaux romans ont été couronnés, et attribués à des auteurs soutenus depuis longtemps par les critiques de l’Humanité. De « La Tentation » (Stock), notre chroniqueur disait dans sa chronique « Sans doute aucun, ce texte inspiré et ample, au souffle puissant, s’affirme comme l’un des plus convaincants de la rentrée. » Une conviction qui a manifestement été celle du jury du Médicis, qui a distingué le douzième roman d’une œuvre forte, délibérément tournée vers la fiction et le travail de la langue. « Les grands cerfs », de Claudie Hunzinger « avant tout une œuvre littéraire, magnifiquement écrite, qui met au centre l’engagement de l’écrivain et ses difficultés à embrasser un réel mouvant, avec un refus absolu du manichéisme », selon notre critique, a reçu le prix Décembre, et « Civilization », de Laurent Binet, romancier dont nous louions « l’invention foisonnante » le Grand Prix du roman de l’Académie Française.
Comme souvent, la palme de l’originalité, voire de l’audace, est allée au Wepler, qui a distingué Lucie Taïeb. Face à une sélection très relevée, cette jeune romancière et poète a été récompensée pour son second roman, « Les Échappées », qui figurait dans notre sélection d’août. « Venue de la poésie, elle donne au roman cette voix ample, sobre, qui appelle le lecteur à échapper aux fictions dominantes et à contribuer à son rêve », ajoutait la critique parue le 10 octobre dans l’Humanité. Le prix a aussi mis en lumière le travail d’une jeune maison d’éditions, l’Ogre, qui a bâti en quelques années un catalogue remarqué. Le fait est assez rare pour être mentionné. La mention spéciale est allée au beau premier roman de Bruno Remaury, « Le Monde horizontal », et aux éditions José Corti, là encore trop souvent absentes des palmarès.
Ces choix confirment la volonté des jurys de ne pas céder sur la qualité littéraire des œuvres couronnées. Même si la tentation est grande de voler au secours de la victoire en attribuant leurs prix à des livres déjà bien vendus, des romanciers comme Jean-Paul Dubois, prix Goncourt et plus encore Sylvain Prudhomme, prix Femina n’étaient pas ceux qui faisaient le plus de « buzz ». Côté éditeurs, le choix est un peu plus diversifié encore. Même si l’Olivier et l’Arbalète, respectivement éditeurs du Goncourt et du Femina, appartiennent au Seuil et à Gallimard. On notera le retour de Stock dans les primés d’automne pour le Médicis de Luc Lang, et l’absence d’Actes Sud, bien gâté ces dernières années. Et, redisons-le, la bonne pioche du Wepler avec L’Ogre et José Corti.
Cependant, et même si on ne peut que se louer de la qualité d’ensemble de ce palmarès encore provisoire, ce jeu a toujours des perdants et laisse un petit goût amer quand on songe aux oubliés. Parmi les sélectionnés des prix les plus en vue, on songe à Christine Montalbetti, dont l’œuvre maintenant imposante et très personnelle peut séduire les lecteurs les plus divers, à Vincent Message, Jean-Noël Orengo, Santiago Amigorena, Sylvain Pattieu. On regrettera que des livres qui ont reçu de beaux accueils de la critique et des lecteurs Léonora Miano, Hélène Gaudy, Emmanuelle Pireyre, Natacha Appanah, Anne Pauly, ne reçoivent aucune récompense, pas plus, hors sélection, que Julia Deck, Laure Limongi, Jean-Philippe Toussaint, Tanguy Viel ou Claro. Notons d’ailleurs le côté très masculin de la cuvée d’automne. Aucun des quatre « grands » n’a couronné une femme, laissant ce soin et cet honneur au Wepler et au Femina. De même, si l’on excepte le Prix de la langue française de l’écrivain haïtien Louis-Philippe Dalembert pour « Mur Méditerranée », aucun auteur de la francophonie n’a été distingué.
Garder des regrets fait partie du jeu, dira-t-on. Il n’en reste pas moins que la cuvée 2019 est de bonne tenue, qu’on y trouvera des confirmations, qu’on y fera des découvertes, de belles lectures en tout cas. Et il reste quelques belles chances aux autres jurys de faire notre bonheur.
Source : L’Humanité.fr