Avec Un jardin de silence, Thomas Jolly, L. (Raphaële Lannadère) et Babx portent le souvenir de Barbara au présent. Entre poésie et humanité.
— Par Gérald Rossi —
Sur le rideau de scène s’écrit le nom du ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, qui va remettre un prix à une jeune auteure interprète. Nous sommes en juin 2011, c’est la 30e édition de la Fête de la musique. Tribune, micros, pots de fleurs, tout y est. Même le ministre, sauf que nous sommes au théâtre, et que c’est Thomas Jolly qui a passé le costume. Il ne singe pas les gesticulations vocales mais s’inspire de la couleur des mots, des abysses de sens, des volutes de phrases qui s’oublient à peine entendues. Et c’est d’une drôlerie formidable. Thomas Jolly enfilera plusieurs habits dans ce spectacle inclassable qu’il a mis en scène. Jamais il n’imite, toujours il grossit le trait, jusqu’au-delà de l’absurde. Toute de noir vêtue, lunettes en prime, souvent devant un micro, comme en récital, L. (Raphaële Lannadère) lui donne la réplique, enfin si l’on veut : c’est bien mieux que cela. L. est Barbara, la « longue dame brune », disparue il y a vingt-deux ans déjà. Au présent, L. dit : « Elle est louve, elle est aigle, elle est aussi petite fille au cœur battant, elle est drôle, elle est punk, elle crie (…) J’étais fidèle à ce qu’elle me lègue, à ce qu’elle nous lègue à tous, une exigence de loyauté sans égale, envers soi, une injonction au courage, à l’amour : ne pas tricher. »
L’alchimie transforme la prestation en magie
Un jardin de silence n’est pas un tour de chant, pas une pièce de théâtre, tout en étant un peu tout cela, mais surtout pas un hommage larmoyant. Avec son style, sans chercher la copie d’ailleurs impossible d’un timbre unique, L. chante Barbara, pas forcément les titres les plus connus, accompagnée au piano par Babx, qui ne se contente pas de suivre la partition mais la nourrit de son énergie. Et l’alchimie transforme la prestation en magie. Dans une ambiance insolite, où le piano à queue trône en majesté, pas loin d’une bête empaillée qui semble dormir roulée en boule, un renard sans doute. Et puis voilà des fauteuils et encore des fauteuils, séparés par des fleurs de lys comme une petite forêt. Les costumes et le mobilier sont dus à Sylvain Wavrant, et ils sont remarquables. Tout comme les lumières signées Antoine Travert, douces, apaisées, précises, qui ne mettent en valeur que l’essentiel et laissent deviner d’autres ambiances encore.
C’est vif, tranchant et très drôle
Dans un subtil mélange on entend aussi la voix de Barbara, souvenir de multiples interviews, puis dans un glissement sans grincement, Thomas Jolly prend le micro et la relève. On l’imagine en Denise Glaser, du vieux temps de l’ORTF, en Guy Lux dans ses grands jours d’aboyeur du petit écran, et c’est vif, tranchant, très drôle aussi. L. répond, avec les mots de Barbara. Toujours présente. Et l’on apprend, à défaut de le savoir déjà, que celle qui déclarait à son public chéri : « Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous », était aussi une femme d’humour. Comme une dame d’engagement et de conviction. Elle a chanté Sid’amour à mort, mais on sait peu qu’elle a mené sans aucun regard médiatique, pendant des années, des actions de soutien et de prévention dans des hôpitaux et des prisons. Là encore pour ne pas transiger avec la vie, et combattre les ravages du virus. La grande dame en noir rayonnait bien comme un chaud soleil.
Jusqu’au 3 novembre (21 heures, dimanche 15 heures) ; La Scala, 13, boulevard de Strasbourg, Paris 10e ; tél. : 01 40 03 44 30. Ensuite en tournée à Lille, Redon, Dunkerque, Bayeux, Tarbes, Saintes, Rouen, etc.
Source : L’Humanité.fr