— Par Max Casimir —
Haïti est en ce moment saisi d’un « ETAT DE MAL » qui semble annoncer l’accouchement d’une monstruosité, celle d’un bain de sang. On pourrait assister à une nouvelle situation pleine de promesses, si nous cessons de regarder le déroulement de ce drame avec indifférence ou dans l’incompréhension. Une incompréhension qui nous amènerait à accepter l’idée d’une malédiction dont le pays serait victime. Non la victoire des valeureux esclaves sur l’armée de l’empereur Napoléon Bonaparte n’est pas l’œuvre du diable comme le prétendent certains habitués du prosélytisme. Disons que « Bon Dieu » avait de préférence donné les bons outils à ceux qui étaient victimes de l’oppression et des injustices.
Oui, les élites haïtiennes ont leur part de responsabilités dans la tragédie qui se joue. Nul doute que les metteurs en scène en sont les puissances de l’époque y compris le Vatican. Elles ont imposé des relations inégales et se sont livrées à de véritables actes de brigandage à l’encontre du nouvel état.
Durant la période de la guerre froide, toutes les puissances occidentales ont apporté un soutien actif à la dictature des Duvalier avec les conséquences que nous savons pour le peuple haïtien.
Après une très brève expérience de démocratie, l’ambassadeur étasunien surnommé « bourik châgé » a accordé sa bénédiction à la consolidation du coup d’état militaire fomenté par Raoul Cédras et ses acolytes. Le retour accompagné de Jean-Bertrand Aristide et de René Préval à la tête du pays s’est révélé insuffisant pour faire renaître l’expérience démocratique assassinée à sa naissance. Avec l’arrivée de Michel MARTHELY prolongée par celle de Jovenel Moîse bénéficiant tous les deux de la faveur de l’administration étasunienne, le pays touche le fond.
Le pays se trouve dans une impasse. Les vielles ficelles usées par un chapelet de nœuds ne sont plus opérantes. Depuis 1986, nous avons connu deux interventions étrangères avec rallonges. Nous avons consommé une série de présidences provisoires dont une sous la forme hybride avec Gérard Latortue comme premier ministre. Ce dernier sorti directement d’un chapeau, basse œuvre accomplie est retourné à son employeur sans avoir rendu des comptes à la nation.
Ce long processus douloureux affaibli davantage l’état haïtien déjà mis à mal par la dictature des Duvalier. Cet état est en situation de ruines, incapable de se régénérer, d’autant plus que depuis la dislocation du couple état / société civile, il est en manque de levier.
La présidence et les institutions parlementaires (sénat et chambre des députés) dans leur fonctionnement actuel n’ont qu’un seul rôle, celui de nuire. Leurs fonctions doivent être repensées.
Les chancelleries étrangères ont pitié de nous. Elles ne prennent plus la peine de donner des ordres, nos dirigeants sont comme des pantins. Pour ceux qui ont encore des doutes, nous rappelons la lâcheté dont a fait preuve Jovenel Moîse concernant le dilemme vénézuélien.
Pour noircir davantage le tableau, les dieux, ces hommes providentiels sont tombés des cieux. Ils sont à terre. L’évocation du retour d’un Nicolas Duvalier, fils de Duvalier, d’un Aristide, pour le peuple haïtien équivaut à la signature d’un bail pour l’enfer.
Enfin, la tentation de la violence sera suicidaire. Tout passage à l’acte servira de prétexte à intervention pour les forces hostiles qui souhaitent le maintien du statut quo.
TUTELLE ADMINISTRATIVE
En fait, il s’agit d’une démarche de refondation faisant appel à une expertise politique, institutionnelle, technique et financière.
A tous ceux qui se font des inquiétudes pour le devenir de l’indépendance d’Haïti, nous répondons que force est de reconnaître que l’occupation étasunienne a enterré toutes les illusions à ce sujet. Nous sommes dans un système impérial obscur, menant une existence de parias dans l’arrière cour de cette puissance impérialiste.
Rien ne peut effacer l’histoire d’un peuple. Haïti est et demeurera la première république noire des Amériques. L’épopée de la victoire pour les libertés est à la gloire de l’humanité entière.
Aujourd’hui, réclamer la mise en place d’une tutelle administrative n’est pas une invitation à l’ingérence, encore moins un geste de démission dans un aveu d’impuissance. IL s’agit avant tout d’une revendication à la réparation face à un occident chrétien. Dans un acte de contrition, ces puissances mondiales devraient reconnaître tout le mal qu’elles font au peuple haïtien. Nous ne rêvons pas. La repentance est un signe d’humanité.
TUTELLE ADMINISTRATIVE DANS QUEL BUT ?
Haïti, par son état économique et social ainsi que par l’archaïsme de son système politique, constitue une sorte de dissidence historique et géographique. Aujourd’hui, l’analyse des rapports de force montre qu’aucune des couches sociales n’est en mesure d’imposer sa suprématie. Face à cet état des lieux, une solution endogène serait souhaitable car la dimension de la crise est avant tout idéologique. Mais la création d’un cadre institutionnel indispensable à la réussite d’un projet de stabilité politique et d’un développement durable suppose la capacité des élites haïtiennes à participer, à collaborer à la production de normes, de valeurs. Elle réclame également la fin du dialogue de sourd entre ces élites et le peuple. Sur ce chemin semé d’embûches, la mise en œuvre d’une tutelle administrative permettra de trouver une méthode commune à défaut d’un projet commun. Cette méthode nous conduira à choisir et à partager des objectifs divers correspondant aux intérêts respectifs des uns et des autres.
LES TÄCHES DE LA TUTELLE ADMINISTRATIVE ?
La tâche première sera la mise en place d’une décentralisation capable de rapprocher les lieux de pouvoir des citoyens et de leur permettre de prendre part aux décisions. Le but ultime est la conquête de la citoyenneté.
A – CITOYENNETE POLITIQUE
Dans l’histoire du pays, les institutions de proximité ont toujours été méprisées. La plupart des bâtiments abritant les mairies ne sont que des taudis dépourvus de conforts sanitaires par exemple et d’équipement. Le maire ne perçoit qu’un minable salaire du ministère de l’intérieur. IL ne dispose d’aucun budget annuel ni d’investissement ni de fonctionnement. Tout dépend du bon vouloir du palais national. La ligne budgétaire votée parfois par le parlement finit dans les poches des sénateurs et des députés. Etre maire magistrat communal, comme ils sont nommés en Haïti aujourd’hui, se résume à un titre sans grandeur, ni honneur aux yeux de la société. La tâche de l’administration de tutelle sera de construire dans le cadre de la république une et indivisible, des lieux de pouvoir c’est-à-dire des municipalités de plein exercice, de véritables centres de décision dotés de moyens financiers, de compétences administratives, dirigés par des maires élus entourés d’un conseil municipal également élu par des citoyens identifiés dans un état civil fiable qui reste à organiser. Ainsi, la citoyenneté politique ne se limite pas au droit de vote. Elle contribue à la participation des citoyens à toutes les affaires politiques.
Cette démarche qui doit aboutir à la conquête de la citoyenneté sera inachevée si elle n’est pas accompagnée de voies d’accès à la citoyenneté économique et éducative.
B – CITOYENNETE ECONOMIQUE
Les paysans haïtiens ont toujours été tenus à l’écart de l’épargne et de l’accumulation du capital. La présence de spéculateurs en denrées – la pratique de la rente en nature – la concentration des commerces et des services dans les villes côtières – l’institution de la corvée du temps de l’occupation étasunienne, sont autant d’obstacles qui concourent à l’exclusion du paysan haïtien du marché. La monétarisation de la société est inséparable de l’autonomie individuelle. En effet, la relation marchande libère de nouvelles possibilités de choix pour les individus.
C- CITOYENNETE EDUCATIVE
Là aussi, durant toute l’histoire du pays, la grande majorité de la population a été privée de tout accès à l’éducation. L’enseignement est malade de la république. Aujourd’hui, la situation est bien sombre.
Elle est marquée par un taux d’analphabétisme supérieur à 50 % et par l’absence d’universités dotées de possibilités de recherches. L’analphabétisme et l’illettrisme rendent difficile la confrontation des opinions et font la part belle aux discours populistes. La citoyenneté sortira la société haïtienne de la viscosité sociale dans laquelle elle stagne. L’école est bien un facteur de mobilité, de fluidité.
Donc le premier chantier à mettre en œuvre par cette tutelle administrative se résume ainsi : UNE MAIRIE UN MARCHE DES ECOLES dans toutes les agglomérations du pays.
TUTELLE ADMINISTRATIVE PILOTEE PAR QUI ?
Bien entendu, seule l’ONU est habilitée à prendre des décisions de ce genre. Toutefois, nous estimons que le pilotage de son exécution doit être confié au CARICOM.
Qui aujourd’hui a intérêt à aider Haïti à trouver la voie de la modernisation ?
Le CARICOM communauté des caraïbes est composée de vingt états dont 15 membres à part entière et 5 membres associés. Haïti est reconnu comme membre depuis 2002.
Les principales activités de cette organisation créée en 1973 consistent à coordonner les politiques économiques, la planification du développement, concevoir et mettre en place des projets spéciaux pour les pays les moins développés relevant de sa juridiction. Donc les objectifs fixés dans cette entreprise de mise sous tutelle administrative entrent dans le champ des activités du CARICOM.
Haïti, constituant potentiellement le marché le plus important dans la région avec une population supérieure à dix millions d’âmes, des retards à rattraper dans tous les domaines, la demande d’expertise a toutes les chances d’obtenir un accueil favorable.
Les raisons de ce choix sont aussi historiques. Comme dit Aimé Césaire : « Dans la zone caraïbe, nous constituons bien une communauté, d’abord une communauté d’oppression subie, une communauté d’exclusion imposée, une communauté de discrimination profonde. Bien entendu et c’est à son honneur, une communauté aussi de résistance continue, de lutte opiniâtre pour la liberté et d’indomptable espérance. »
Enfin, la réalisation de cette tâche aussi immense requiert la présence de toutes les compétences, de toutes les bonnes volontés sans discrimination aucune, dans un esprit d’ouverture sur le monde par la libre circulation des idées modernes et également par la mise en jeu d’un atout indispensable, celui d’une nouvelle société nationale extensive, le « onzième département ».
Ce 30 octobre 2019
Max Casimir