Belle soirée de créations chorégraphiques lors du Caraïp’Hop 2019
— Par Roland Sabra —
Trois créations chorégraphiques annoncées sur le programme et quatre présentées au soir de cet avant dernier jour du Caraïp’Hop Festival 2019. Abondance de biens…
« Paternité »
Tout d’abord « Paternité » de Flexx, surnom de Fabrice Vaillant, professeur de Hip-hop dont l’une des élèves a été primée et sélectionnée pour le niveau européen lors du dernier concours National de la Confédération Nationale de Danse en juin de cette année. Qu’en est-il de la paternité pour tout homme ? De par le monde ? En Martinique ? Et les impairs du père ? Le danseur s’avance en diagonale du fond la scène coté jardin en proie à des interrogations, des étonnements, des émerveillements, des inquiétudes, devant une radiographie, sans doute l’image d’une échographie, qui mériterait un affichage en fond de scène. La gestuelle donne sur le registre de l’arrondi avec un summum autour de son ventre prenant la forme repérée dans la couvade, ce phénomène qui traverse certains pères en devenir quand ils n’y sont pas préparés. Baisse de libido, identification à une figure maternelle qu’il est inutile de vouloir préciser tant elle est évidente. Qu’en est-il du père dans sa fonction d’un dire séparateur de l’enfant de la mère quand il n’est que l’auxiliaire de celle-ci ? La pièce de théâtre « Aparté » de Françoise Dô évoque avec une grande perspicacité ce qu’il en est de la dimension incestueuse des couples mère-fils construits sur la marginalisation du « père », souvent choisi plus ou moins inconsciemment pour n’être que géniteur, avec le bénéfice secondaire non négligeable pour la mère de pouvoir entonner l’air de la « femme courageuse qui élève seul ses enfants »! La belle image du papa au landau, tout autant lancé, rattrapé, incorporé et rejeté est porteuse de tous ces sens.
Sodabicachiripunch
David Lome l’organisateur du Festival propose une chorégraphie au nom imprononçable dont on découvrira le sens vers la fin de la prestation. Au lendemain d’une fin d’un monde, annoncée par les collapsologues qui fleurissent sur les plateaux des médias, trois rescapés se retrouvent à partager un bout de terre perdu dans un lointain, vague, incertain plus ou moins inhospitalier. L’universalité du propos est soulignée par l’origine des trois danseurs. L’acculturation occidentale est présente dans la prestation d’un danseur martiniquais, l’émergence africaine dans celle d’un togolais, la destruction des sociétés premières par l’alcool et les drogues est figurée par la présence d’un danseur guyanais venu de Camopi. Ils réinventent l’humanité entre compétition et collaboration, individu et collectif. C’est dans la coopération qu’ils partageront un breuvage tout en affirmant leur spécificité propre dans le nom qu’ils vont lui donner : Sodabi, Cachiri ou Punch ? Guerre des mots dans laquelle le verbe se substitue à l’acte. La prestation dansée semble parfois manquer tout à la fois de légèreté dans le geste et d’intensité dans les figures de styles proposées. Mais il s’agit sans doute d’un « travail en cours d’élaboration ».
Shoes me
Invitée de dernière minute Sandrine Monar d’origine martiniquaise n’était revenue au pays depuis 17 ans. Elle est arrivée, dans ses bagages un douzaine de paires de chaussures qu’elle aligne sur le plateau en fond de scène et coté jardin. Une paire avec talons, de couleur rouge est posée sur le proscenium qu’elle veint chausser après avoir traversé le plateau. Elle se tourne et laisse découvrir au public qu’elle est à cet instant la petite fille qui enfile les chaussures trop grandes de sa mère. De l’enfance à l’age adulte sans oublier l’adolescence de paires en paires elle va raconter et illustrer par ses choix de chaussures des ranger’s aux pantoufle en passant par les palmes, un parcours au cours duquel s’il lui faudra s’affirmer, résister aux agressions sexuelles, elle aura aussi la possibilité de moments de joies, de plaisirs et de repos. Le chemin de sa vie est à ses pieds. Là encore l’expression manque un peu d’élans et d’envolées faisant apparaître quelques longueurs à travers le bonheur manifeste que Sandrine Monar affichait à être sur scène en Martinique.
Addictions
Un couple franco allemand de danseurs chorégraphie la dépendance. Un bande de néons qui prendra diverses couleurs comme des pics glacés sur le sol du plateau se s’ouvre que du côté de la salle. Ils entrent collés au sol enchevêtrés, indiscernables de l’espace qui les oppresse. Elle parvient à se détacher et, muscles, peaux et os autour du fil de fer surmonté d’une tignasse blonde, elle invente des figures improbables, des cassures du corps irréparables, des ellipses démembrées proprement sidérantes, tandis que lui l’homme noir reste plaqué au sol dans les tentatives de se déprendre de ce qui semble l’oppresser malgré la largeur de ses épaules, la puissance des bras que l’on devine et qui sera confirmée plus tard dans des positions défiant les lois de la pesanteur. On comprendra plus tard après la performance qu’il compense par là une légère claudication. C’était sans aucun doute la performance la plus élaborée, la plus aboutie de cette soirée, appréciée par un public de fans dévoués corps et âmes au Hip-hop.
Fort-de-France, le 26/10/19
R.S.