— Par Roland Sabra —
Les 3M ( Le Monde, Mediapart, Marianne ) ont encensé la mise en scène de Pauline Bayle pour le dytpique l’ »Iliade & Odyssée » présenté sur la scène nationale de Fort-de-France comme deuxième pièce de théâtre de la saison à la suite de «Qui a tué mon père ». S’il y a quelque chose que la metteure en scène restitue avec justesse c’est sans aucun doute la durée, la longueur interminable du voyage d’Ulysse.
Le prologue se déroule dans le hall de Tropiques-Atrium. Surgissant du public Agamemnon et Achille s’affrontent. L’un a volé la belle esclave que l’autre avait gagnée. Les héros et les rois sont avant tout de hommes et tout aussi mythiques qu’ils soient leurs soucis, leurs mesquineries participent à leur grandeur. Le prologue hors scène rappelle aussi au public que cette histoire est la sienne, qu’elle est partie prenant de sa culture. Et on le souligne. Quand les deux protagonistes s’éloignent, Ulysse s’adresse à plusieurs spectateurs et les présente comme les rois grecs à la tête de leur flotte dont il énumère le nombre de navires. « Ulysse qui est venu d’Ithaque avec douze bateaux./Thoas qui est venu d’Etolie avec quarante bateaux./Idoménée qui est venu de Crète avec 80 bateaux », etc. La liste est longue. Tous concernés donc. On ne le dira jamais assez. Tous ensemble, les spectateurs peuvent entrer dans la salle.
Sur un plateau nu quelques chaises, avec en fond de scène deux affiches portant séparément les noms des différents personnages, Grecs et Troyens. La première scène va répéter un fois de plus au public, l’actualité, la modernité, du texte. Sur l’Olympe, les dieux se déchirent, se désirent s’engueulent, se jalousent, se trahissent, comme n’importe quel péquin dont ils empruntent le niveau de langue. Zeus est le « Numéro 1 » et Poséidon le numéro deux rêve de devenir le « leader ». Si cela fait sourire dans un premier temps cela tourne vite au procédé. Et ce n’est que le premier. Le second est la mise en œuvre d’un récitatif au cours duquel les comédiens souvent statiques, face au public avancent dans la narration. Mais comme l’époque est au refus de l’assignation genrée la parole des personnages circule rapidement entre comédiens et comédiennes indépendamment du sexe affiché des personnages. Le troisième procédé s’articule autour de très courtes saynètes au cours desquelles l’épisode est joué. Et les trois procédés de revenir jusqu’à l’ennui. Heureusement le récit n’ira pas plus loin que la mort d’Hector.
L’ennui qui s’installait dans l’Iliade » va triompher dans l’Odyssée avec la domination presque hégémonique du mode récitatif, à la limite d’une lecture mise en espace. Sur le plateau les chaises plus nombreuses, représentent les prétendants de Pénélope. Les accessoires scéniques, chaises figurant des personnages ou un rempart, seaux de sang et de paillettes pour illustrer la violence acharnée et l’invincibilité des héros, chute de sable des cintres de la scènes balancent du coté de la spectacularisation destinée à sortir le spectateur de sa torpeur. Un fils dira à son père au moment de sortir : « J’ai failli m’endormir. ». Et c’est pourtant à ce jeune public que le travail de Pauline Bayle semble s’adresser en priorité. Et il en porte la marque, celle d’un travail de fin de conservatoire, porteur de possibilités réelles mais mal dégrossi. Mais la réaction du jeune homme était atypique. Les séances scolaires ont été un vrai succès concrétisant un travail de longue haleine de Tropiques-Atrium en direction des publics scolaires. Le niveau des questions posées par les élèves, les regrets qu’ils ont eus à quitter la salle témoignent de leur adhésion à cette prestation théâtrale. Alors d’où vient cette désillusion ?
Le thème des migrants était à l’affiche du Festival d’Avignon 2019. De nombreux spectacles ont travaillé autour de l’œuvre d’Homère sur des modes différents, faisant découvrir à chaque fois de nouvelles lectures, de nouveaux aspects de l’inépuisable texte et il est un travail très nettement au dessus lot et qui a fait évènement : « Le présent qui déborde – Notre odyssée II », de Christiane Jatahy, d’après Homère.
A qui me balancera le truisme « Comparaison n’est pas raison » je répondrai en citant un de mes maîtres Octave Mannoni, décrié par Aimé Césaire le « Discours… » : « Je sais bien mais quand même » à entendre dans ce cas précis comme » Nul ne peut se constituer comme sujet sans accepter d’être dupe ».
Fort-de-France, le 12/10/2019
R.S.
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Iliade / Odyssée
D’après Homère, dans les traductions de Victor Bérard et Leconte de Lisle. Mise en scène, adaptation et scénographie Pauline Bayle. Avec Charlotte van Bervesselès, Florent Dorin, Alex Fondja, Viktoria Kozlova et Yan Tassin. Assistante à la mise en scène Isabelle Antoine. Assistanat à la scénographie Lorine Baron. Lumières Pascal Noël. Costumes Camille Aït.
Iliade
Coproduction Compagnie À Tire-d’aile, Label Saison et Théâtre de Belleville Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National Avec le soutien du Plateau 31 – Fabrique de culture de Gentilly, du Shakirail et de l’association Rue du Conservatoire – élèves et anciens élèves du CNSAD
Odyssée
Coproduction Compagnie À Tire-d’aile, MC2 : Grenoble, Scène nationale d’Albi, La Coursive – Scène nationale La Rochelle, TPA – Théâtre Sorano – Toulouse et TDC – Théâtre de Chartres Avec le soutien du ministère de la Culture et de la Communication – DRAC Île-de-France
Durée : Iliade 1 h 25
Odyssée 1 h 45