— Par Stéphane Foucart —
« J’appartiens à la race blanche, vous appartenez à la race noire. » Ainsi Eric Zemmour traçait-il, en novembre 2008, sur Arte, une ligne de démarcation entre lui et son interlocutrice, la militante antiraciste Rokhaya Diallo. L’écrivaine Nancy Huston et le biologiste Michel Raymond (CNRS) viennent aimablement d’offrir au polémiste, cinq ans plus tard, une formidable caution scientifique et intellectuelle.
Dans une tribune (Le Monde du 18 mai), les deux auteurs imaginent un parallèle audacieux. De même, disent-ils en substance, que la biologie constate un dimorphisme sexuel dans l’espèce humaine – hommes et femmes diffèrent par certains traits –, elle documente des différences génétiques entre les diverses populations. Ces différences sont scientifiquement démontrées et valident, assurent Mme Huston et M. Raymond, le fait que la notion de race est, s’agissant de l’espèce humaine, pertinente. Ainsi, vouloir rayer le terme de « race » de la législation française – comme François Hollande s’y est engagé – relèverait d’un égalitarisme bien-pensant, avatar d’une forme moderne de lyssenkisme…
La critique est aussi forte que l’argumentaire est pauvre. Le premier argument mis en avant par les auteurs est un remarquable contresens. Puisqu’il existe différentes races de chiens – ce que chacun s’accorde à constater –, il n’y a pas de raisons valables à ce qu’il n’existe pas de races humaines. Ce faisant, les auteurs oublient de rappeler que la diversité des races canines est le fruit d’une sélection effectuée de longue date par l’homme, pour obtenir des animaux adaptés à telle ou telle fonction. Si l’on s’en tient à ce parallèle avec le chien, la race est la conséquence d’un élevage. D’où cet accident rhétorique : d’hypothétiques races humaines seraient le résultat d’une forme d’hygiène raciale. Point de races sans une volonté délibérée d’entretenir certains traits, certaines caractéristiques.
Les auteurs n’en restent pas au chien : ils invoquent le chimpanzé, la girafe ou le raton laveur et leurs multiples sous-espèces, qu’ils présentent également comme des analogues animaux aux supposées races humaines…
Là encore, l’argument est trompeur. Car, dans le reste du règne animal, ces sous-espèces ne tiennent qu’à l’occupation de niches écologiques distinctes. Or, l’une des singularités d’Homo sapiens est qu’il est fondamentalement migrateur. Il s’est affranchi de tous les environnements rencontrés après ses sorties d’Afrique successives, s’adaptant à l’ensemble des biotopes, créant ainsi une continuité de peuplement, des tropiques aux régions paléarctiques. Où, dans cette continuité, placer les frontières ?
Bien sûr, la sélection n’a jamais cessé son œuvre. Des différences de phénotype sont apparues au cours des derniers millénaires. Il est donc en effet absurde, comme le soulignent justement les auteurs, de contester la réalité de ces différences. Mais, les migrations et les mélanges de population n’ayant jamais cessé, ces différences s’inscrivent dans un continuum de diversité qu’il est impossible d’incarcérer dans une classification rigide de systématicien. L’ethnie, notion complexe qui tient compte de considérations socioculturelles, linguistiques, etc., peut parfois être invoquée, mais la race, comme catégorie biologique, est un leurre.
LE MONDE | 03.06.2013 à 11h48 • Mis à jour le 03.06.2013 à 11h57
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